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Economie

Mobiliser l’épargne ardennaise

Une coopérative immobilière à finalité sociale dans les Ardennes? Prométhique s’y colle avec un premier projet d’appartements supervisés pour adultes handicapés, au cœur de Saint-Hubert.

Une coopérative immobilière à finalité sociale dans les Ardennes? Prométhique s’y colle avec un premier projet d’appartements supervisés pour adultes handicapés, au cœur de Saint-Hubert.

Fiscaliste et fonctionnaire au SPF Finances, Pierre-Alexis Roland connaît les rouages – et les blocages – du système économique. «Des études ont montré que la rentabilité potentielle de maints projets sociaux était absorbée par l’intérêt dû aux banques. Or, 260 milliards d’euros sont aujourd’hui sur des comptes d’épargne en Belgique. On dit souvent que l’argent, c’est le pouvoir… Rien qu’avec le dixième de cet argent, on pourrait faire beaucoup de choses», avance-t-il. Il y a trois ans, ce cinquantenaire sensibilisé à la finance alternative décide d’organiser dans sa petite ville de Saint-Hubert une série de trois conférences sous l’intitulé «Épargnons et investissons autrement dans nos Ardennes!», avec pour objectif de faire connaître le modèle coopératif à finalité sociale. Parmi les orateurs, la fédération d’économie sociale SAW-B, la coopérative de crédit alternatif Credal mais aussi Jean-François Ramquet, administrateur délégué de la coopérative immobilière liégeoise Les Tournières. «Plusieurs personnes – un assistant social, un instituteur à la retraite, un comptable… – ont commencé à marquer leur intérêt», explique Pierre-Alexis Roland.

À partir de ce noyau dur, la coopérative immobilière Prométhique voit le jour au printemps 2014. Quelques mois plus tard, elle rachète un ancien magasin de meubles à Saint-Hubert et y installe deux appartements supervisés, mis à la disposition des bénéficiaires d’Andage, une asbl active dans le milieu du handicap mental et/ou physique depuis la fin des années 70. «Plusieurs adultes handicapés que nous accueillons en journée manifestaient depuis longtemps le besoin d’avoir plus d’autonomie par rapport à leur famille, explique Jean-Marc Caris, directeur d’Andage. Cette convention de partenariat avec une coopérative à finalité sociale – un milieu que nous ne connaissions pas du tout – nous a permis de trouver une solution pour ces personnes mais aussi de nous mettre en contact avec toute une série d’acteurs comme Credal, pour développer nos autres projets.» Situés à 400 mètres à peine des locaux de l’asbl, les deux logements adaptés se trouvent par ailleurs dans le centre de Saint-Hubert. «Les personnes bénéficient de cette proximité avec nos services mais sans y être assimilées. Cette distance est nécessaire à leur indépendance tandis que la localisation facilite l’intégration sociale», poursuit Jean-Marc Caris. Le bâtiment accueille par ailleurs deux appartements familiaux “classiques” et deux salles d’événements/réunion. «Nous travaillons dans une dynamique d’inclusion, de manière à favoriser les échanges avec les autres locataires et à donner la possibilité aux personnes handicapées de s’impliquer dans les activités du lieu», commente Pierre-Alexis Roland.

Garanties immobilières

À ce jour, Prométhique compte une centaine de coopérateurs, dont 10 à 15 asbl de la région. «Notre ambition est de mener des projets un peu partout en province de Luxembourg», explique le fondateur. La part est fixée à 250 euros, payable en plusieurs mensualités. Pas simple, pour autant, de convaincre l’Ardennais de desserrer les cordons de sa bourse pour investir, quand bien même les taux des comptes d’épargne frôlent actuellement le zéro. «Notre projet est proche de celui des Tournières, à Liège, mais l’enjeu est très différent: nous sommes dans des zones tout à fait rurales, où la mentalité n’est pas la même au niveau du collectif, analyse Pierre-Alexis Roland. Amener l’Ardennais à changer son comportement financier est tout sauf facile. Certains s’offusquent qu’on ose même évoquer le sujet!» Pour Stéphane Lejoly, conseiller en entreprise sociale à la SAW-B, les freins sont certes culturels – le modèle coopératif, rappelle-t-il, est beaucoup moins développé en Belgique que chez nos voisins français – mais aussi sociodémographiques. «Il est plus facile de maximiser les apports de capitaux quand vous vous approchez de régions plus riches et plus densifiées. Il faut parfois aller jusqu’à Bruxelles pour trouver de gros investisseurs – ces industriels, ces banquiers, ces hommes d’affaires qui ont “réussi”. Des profils beaucoup moins présents dans les régions rurales.»

«Pour quelqu’un qui veut investir dans le social, le fait que les capitaux soient attribués à de l’immobilier est rassurant.», Stéphane Lejoly, SAW-B

Les nouvelles réalités économiques, sociales et professionnelles sont pourtant en passe d’imposer de manière sensible ces modèles alternatifs. «Depuis environ trois ans, on voit de plus en plus de coopératives émerger, y compris en milieu rural, notamment dans le secteur de l’agriculture bio», poursuit Stéphane Lejoly. Pour convaincre les plus frileux, Pierre-Alexis Roland est quant à lui persuadé que l’immobilier reste une valeur sûre: «Le volet immobilier donne au coopérateur des garanties sur la viabilité du projet. Des appartements, dans tous les cas, ça se loue! Et au pire, ça se revend. En revanche, si vous vous lancez dans une coopérative maraîchère dans les Ardennes, les aléas du climat suffisent à rendre les choses beaucoup plus incertaines.» Stéphane Lejoly confirme: «Pour quelqu’un qui veut investir dans le social, le fait que les capitaux soient attribués à de l’immobilier est rassurant.»

Capitaux privés d’utilité publique

Prométhique a aujourd’hui un nouveau projet dans la ville de Paliseul où elle souhaiterait réaffecter un ancien bâtiment de Bpost. «Une partie pourrait être consacrée au logement et une autre à un commerce de proximité par exemple», explique Pierre-Alexis Roland.

Si trouver des coopérateurs ardennais n’est pas simple, les besoins en termes de services et logements sociaux, eux, ne sont pas moins importants ici qu’ailleurs. «Dans le secteur du handicap, il y a des manques à tous niveaux, que ce soit en accueil de jour, en résidentiel ou en logement supervisé. Nous accompagnons aujourd’hui 370 personnes à travers nos différents services mais il y en a 150 à qui nous ne pouvons pas répondre, faute de moyens», raconte le directeur d’Andage. «Il y a clairement une défaillance des pouvoirs publics qui ne parviennent pas à proposer une politique cohérente en matière de logements sociaux, estime de son côté Pierre-Alexis Roland. Au départ, nous avions un partenariat avec l’agence immobilière sociale de Centre-Ardenne mais la Région wallonne a complètement gelé les capitaux fin 2015 et nous avons donc avancé sans eux.»

Alors, les coopératives à finalité sociale sont-elles destinées à prendre le relais d’un pouvoir public à sec? «Les autorités publiques sont cadenassées par les accords européens qui les empêchent de continuer à faire des emprunts, rappelle Stéphane Lejoly. Cela signifie que, même quand il s’agit d’investissements capables d’augmenter les recettes économiques globales, elles ont aujourd’hui très peu de marge de manœuvre. Il leur faut donc aller chercher de l’argent du côté du privé et envisager des partenariats. Dans ce contexte, la coopérative à finalité sociale est sans nul doute un véhicule intéressant.» Mais si l’autorité publique voit d’un bon œil l’utilisation de vivres jusque-là insoupçonnés – l’épargne citoyenne –, le partage du pouvoir décisionnel continue de lui donner des sueurs froides… «Dans la logique ancienne, à partir du moment où les pouvoirs publics interviennent, ce sont aussi eux qui décident», opine Stéphane Lejoly (SAW-B). «L’autorité publique craint de perdre le contrôle face à des projets qui prennent les devants. Mais il temps de considérer l’épargne citoyenne comme une alternative sérieuse pour redynamiser l’économie, sans toujours recourir à l’impôt ou à la taxation», estime encore Pierre-Alexis Roland, le fondateur de Prométhique. Foi de fiscaliste. Foi de coopérateur.

 

En savoir plus

«Cowfunding: nouvelle vache à lait pour les producteurs laitiers?», Alter Échos n°418, 25 février 2016, François Corbiau.

Julie Luong

Julie Luong

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