«On ne peut plus rester les bras ballants! Nous allons déterminer si nous pouvons encore tolérer que cela se reproduise systématiquement ou si nous nous retroussons les manches.»
Ces déclarations, volontaristes et pleines d’allant, c’est Charles Michel qui les faisait le 23 avril 2015. Elles suivaient le naufrage le plus meurtrier de l’Histoire en mer Méditerranée qui avait provoqué la mort, le 19 avril, de plus de 800 personnes. Des adultes, des enfants, des personnes âgées qui fuyaient la guerre ou la pauvreté.
Les opinions publiques avaient été touchées par le destin de ces exilés entassés sur des bateaux de fortune. Les dirigeants européens embrayaient. Pour une fois, ils n’avaient pas détourné les yeux. Ils s’étaient réunis en urgence, à Bruxelles, pour un sommet extraordinaire. «Sauver la vie d’innocents est notre principale priorité», déclarait même Donald Tusk, président du Conseil de l’Union européenne. On allait voir ce qu’on allait voir!
Certes, le grand sommet n’accoucha que d’une petite souris. Le blocage des frontières et la sous-traitance de leur gardiennage aux pays limitrophes de l’Union n’étaient pas remis en cause. Mais au moins, le sujet avait une réelle importance. Et les moyens alloués à l’opération de sauvetage en mer «Triton» étaient triplés.
C’était il y a un an. Une éternité. Le 7 avril dernier, un bateau de migrants quittait le port d’Alexandrie. Il n’est jamais arrivé à destination. On parle de 500 morts. Rien n’a donc vraiment changé.
Et pourtant, tout a changé. Cette fois-ci, point de sommet à l’horizon. Pas de réunion d’urgence. Juste de l’indifférence.
Il faut dire qu’en un an, le temps a semblé s’accélérer. L’Europe affronte, depuis lors, la fameuse «crise des réfugiés», faisant face à un nombre d’arrivées sans précédent. Et l’Europe panique. Des propositions audacieuses européennes de répartition des demandeurs d’asile ont fait face à des refus d’États recroquevillés sur leurs peurs, dans un contexte de résurgence des nationalismes.
À l’attitude courageuse et un rien bravache d’Angela Merkel, qui ouvrait ses bras aux réfugiés, a succédé un sinistre marchandage avec la Turquie, mené par cette même Angela Merkel; ramenée au bon port de la realpolitik. Ce plan turco-européen génère une ingénierie ultra-complexe d’échange de réfugiés qui sape les fondations mêmes du droit d’asile. En scellant la frontière turco-grecque, on pousse les exilés à prendre des routes plus dangereuses.
Depuis le 23 avril 2015, il y a aussi eu les attentats. Certains des terroristes, une minorité, avaient emprunté la fameuse «route des Balkans». Il n’en fallait pas beaucoup plus pour mélanger tout ça, terrorises et réfugiés, dans le même sac. La Pologne a utilisé l’alibi des attentats de Bruxelles pour mettre un terme à sa participation au plan de répartition européen des demandeurs d’asile.
Il ne s’agit pas de céder à la naïveté. Des membres de Daesh se faufilent parmi ceux qui fuient la guerre. Et il est nécessaire de les identifier. Mais les auteurs des attentats étaient surtout belges ou français. Les dysfonctionnements des services de police, de la coordination européenne, du renseignement, mais aussi de l’enseignement, des politiques sociales sont certainement plus à blâmer que le supposé laxisme à l’égard des réfugiés.
Il est peut-être encore temps de prendre Charles Michel et ses homologues au mot en leur rappelant qu’on parlait alors de «se retrousser les manches». En 2016, selon l’Organisation internationale des migrations, 1.232 personnes sont mortes en Méditerranée.
Aller plus loin
«Réinstallation des réfugiés : les premiers pas d’un programme belge», Cédric Vallet (Photos de Pauline Willot et de Fedasil), Focales n°5, mai 2014