Pour faire face à la pénurie de logements publics, la Ville de Namur a lancé une nouvelle forme de partenariat qui vise à encourager la création de logements publics dans la rénovation ou la construction de logements privés. Un «engagement logement» salué par beaucoup mais dont les grands absents pourraient être les plus précarisés.
Article publié dans Alter Échos n°419, 9 mars 2016.
Namur, ton univers impitoyable. En 20 ans, la ville s’est transformée. Côté pile, de nombreux projets immobiliers ont vu le jour. Côté face, les loyers se sont envolés alors que la population n’a cessé d’augmenter. Résultat: de plus en plus de ménages éprouvent des difficultés à se loger dans la capitale wallonne.
Les autorités estiment que 550 logements publics supplémentaires seront nécessaires à l’horizon 2020. Plus de 3.000 personnes seraient en liste d’attente pour l’obtention d’un logement public. «Et sur ces listes ne figurent pas que des citoyens très précarisés», recadre Stéphanie Scailquin, échevine de la Cohésion sociale, du Logement et de l’Urbanisme.
Épée de Damoclès
Chaque commune wallonne est censée respecter un quota de 10% de logements publics sur son territoire. Mais en raison du grand nombre de logements construits en peu de temps, Namur souffre aujourd’hui d’un déficit pour cette catégorie de logements. Les communes qui ne respectent pas ce seuil s’exposent à des sanctions financières. Certaines communes choisissent délibérément de ne pas respecter ces 10% et préfèrent payer. Mais ce n’est pas le cas de la ville de Namur dont le manque à gagner est évalué à près d’un million d’euros par an. Alors elle a décidé de prendre des mesures. «Nous aurions pu faire peser sur les promoteurs une nouvelle charge d’urbanisme, mais nous avons opté pour le dialogue et la mise en place d’un partenariat avec les opérateurs privés», s’enthousiasme l’échevine. Un partenariat public-privé brandi comme un lapin sorti du chapeau d’un magicien. Son nom? «L’engagement logement».
C’est l’engagement du promoteur immobilier à confier une partie des logements créés à l’agence immobilière sociale (AIS) namuroise. Les logements sont loués pendant une période de 3 à 9 ans par des ménages à revenus modestes. Toute personne qui sollicite un permis pour créer un ou plusieurs logements sur le territoire de Namur tombe sous le coup de la mesure. Toutefois, des dérogations sont prévues, notamment pour un propriétaire qui crée un logement pour lui-même ou pour sa famille jusqu’au 3e degré.
D’après la Ville de Namur, une septantaine de logements seraient en préparation depuis le lancement de la mesure en juin 2015. Un chiffre que nuance le directeur de l’AIS GLNamur, Joël Schallenberg: «Plusieurs projets sont en discussion mais, jusqu’à présent, deux ont été signés avant la mise en œuvre de la mesure en l’anticipant et une dizaine depuis qu’elle a été annoncée à l’ensemble du secteur.»
Home-jacking
Ce n’est pas un «home-jacking», insiste Stéphanie Scailquin. «Le promoteur immobilier reste propriétaire de l’appartement mais en confie la gestion à l’agence immobilière sociale namuroise avec tous les avantages que ça comporte: garantie de paiement du loyer, dispense d’impôts fonciers (précompte), absence de vide locatif, remise en état des lieux entre chaque location et la perspective à terme de récupérer un bien en bon état.» Un partenariat qui permet à la Ville d’agir avec plus de souplesse tout en disposant de l’expertise et de l’expérience des partenaires privés.
Une opération où tout le monde y trouve son compte? Du «win-win» à en croire tous les partenaires. «L’intérêt du privé est d’aller plus vite, d’être plus souple, d’avoir moins de contraintes par rapport aux marchés publics ou de contraintes administratives», détaille Nathalie Henry, de la société immobilière Cobelba, le premier promoteur à avoir signé un engagement logement avec la Ville de Namur. «À l’inverse, le secteur public dispose de terrains, dans certains cas il va pouvoir dégager des subventions ou encore intervenir dans l’accompagnement et la gestion des logements et de leur locataire.»
Si les sociétés immobilières n’ont pas pour finalité de résoudre les problèmes de logements publics, Nathalie Henry souligne que «les promoteurs sont tous bien conscients des défis en matière de logement. C’est aussi dans notre intérêt parce que c’est du travail à terme pour les entrepreneurs, ça crée de l’activité et de l’emploi». Un partenariat qui, à ses yeux, ne serait pourtant pas dénué de risques car «avoir 10% de logement public au sein d’un projet classique peut représenter un frein à la commercialisation des appartements auprès d’un certain public». Surtout qu’il ne s’agit encore que de projets pilotes. «Le jour où des montages de ce type seront devenus la norme, ce sera différent.»
Dans l’ancienne moutarderie située à Jambes depuis 1926, l’odeur de vinaigre témoigne encore des activités passées du bâtiment. Depuis 2013 et le départ de l’entreprise Bister vers Achêne, les bâtiments sont vides. Rachetés par la société immobilière Cobelba, ils seront rénovés pour accueillir les premiers appartements estampillés «engagement logement» à Namur. «Sur les 28 appartements, quatre sont vendus avec un bail déjà présigné pour des logements AIS, détaille Nathalie Henry, de la Cobelba. Nous allons conserver l’ancienne façade caractéristique du bâtiment. Les travaux de démolition, dépollution et aménagement vont débuter en mars 2016.» Remise des clés prévue à l’automne 2017.
Mixité sous conditions
La Ville et l’AIS répondent à ces craintes en mettant en avant l’accompagnement des locataires par l’AIS. «C’est un élément essentiel de ce dispositif, reconnaît Joël Schallenberg, de l’AIS GLNamur, partenaire du projet. Le fait de pouvoir proposer aux propriétaires un accompagnement les rassure. Pour un propriétaire qui vient d’investir, c’est important de pouvoir lui dire que son bien ne va pas être démoli ou dégradé par manque d’entretien du locataire.» Une façon aussi de montrer aux futurs propriétaires que «tout est mis en œuvre pour assurer un véritable “vivre-ensemble” au sein de la promotion», souligne Nathalie Henry.
Et le locataire? Du côté de la Ville de Namur et de l’AIS, on insiste particulièrement sur cet objectif de mixité sociale. «C’est tout l’intérêt du projet, explique Joël Schallenberg. C’est intéressant d’avoir des logements “anonymes” et des locataires disséminés au sein d’un ensemble plutôt que d’avoir d’un coup 30 ou 40 logements qui créent un effet “ghetto” et stigmatisent les locataires.» Des logements variés répartis un peu partout dans la ville qui permettent aussi à l’AIS
de varier son offre de logements. Une diversification devenue indispensable pour tenter de répondre aux besoins multiples des personnes qui viennent frapper à sa porte.
Remède miracle?
Pour le Rassemblement wallon pour le droit à l’habitat (RWDH), il y a urgence. Et pas qu’à Namur mais partout en Wallonie. «Il faut bien se rendre compte qu’aujourd’hui, les candidats locataires sur les listes d’attente des logements sociaux ont un profil économique encore inférieur à ceux qui se trouvent déjà dans ces logements», s’inquiète Marie-Claude Chainaye, du RWDH. Dans ce contexte, toutes les initiatives méritent d’être explorées, y compris les partenariats «public-privé» du type de «l’engagement logement». Le RWDH insiste : il faut non seulement des moyens pour construire de nouveaux logements mais aussi pour accompagner et suivre les locataires. «Parce qu’on dit toujours que c’est au moment où on pose ses valises dans un logement que tous les problèmes se révèlent: sociaux, médicaux, administratifs…»
Philippe Defeyt, président du CPAS de Namur, s’interroge: «Les AIS n’ajoutent pas véritablement de logements au stock existant puisque ceux-ci intègrent le circuit à titre provisoire.» C’est effectivement une des questions que soulève ce projet. Les propriétaires mettent leur logement à la disposition de l’AIS pour une période de 3 ou 9 ans. Et après, que va-t-il se passer? «Le pari est de fidéliser, répond Joël Schallenberg. L’expérience nous montre que les propriétaires s’y retrouvent. Si l’AIS gère aujourd’hui près de 300 logements à Namur, c’est parce que les propriétaires renouvellent généralement leur contrat.»
Du côté de la Ville de Namur, on est très satisfait de la mesure. À tel point que Stéphanie Scailquin parle d’une première étape qui s’adresse «aux ménages à revenus modestes mais les plus précarisés ne seront pas oubliés». L’échevine de la Cohésion sociale et du Logement avance même l’idée de transposer à terme la mesure au logement social. Une idée à laquelle Joël Schallenberg ne croit pas. «Tout simplement parce que ce serait un changement de métier pour les sociétés de logement social. En revanche, qu’il y ait des partenariats, oui, pourquoi pas. Nous sommes complémentaires même si nos modes de fonctionnement sont très différents.»
Philippe Defeyt se montre plus critique avec cette proposition. «Je ne vois pas très bien l’intérêt de cette idée, recadre-t-il. Est-ce que vous voyez vraiment un propriétaire descendre le loyer de son studio à 150 euros pour arriver au niveau de celui d’un logement social?» Il faudrait que la Région wallonne intervienne par l’intermédiaire des «chèques-logements» pour payer la différence entre ce que le propriétaire exige et ce que le locataire peut payer. «L’idée serait géniale, mais inapplicable dans ce cadre-ci étant donné le montant des loyers exigés et le manque de moyens.»
Risque d’écrémage
Philippe Defeyt connaît bien la question puisqu’il est aussi président du Conseil supérieur du logement de Wallonie. Pour lui, ce type de mesure pourrait engendrer un effet pervers. Il évoque un «risque d’écrémage». «À cause du manque de moyens et pour garantir des rendements intéressants aux propriétaires, les promoteurs privés et les AIS privilégieront les logements destinés aux ménages à revenus “moyens” pour percevoir les loyers les plus intéressants.» Résultat: les publics les plus précarisés risquent fort de rester une nouvelle fois sur le carreau. D’après l’économiste, c’est un phénomène auquel on assiste déjà dans les sociétés de logements sociaux: «Les finances sont dans le rouge alors on les rééquilibre en jouant sur le niveau de revenus de leurs locataires.» Pour lui, c’est une question de choix politique et de moyens. «Tant qu’on n’aura pas résolu cette équation, on fera entrer des personnes avec des revenus plus élevés et, au final, les personnes les plus pauvres resteront pénalisées par le modèle», déplore-t-il.
Dans le cadre du plan «Alliance Habitat» (annoncé en 2013), la SLRB lance des marchés de partenariat public-privé (PPP). L’objectif? La production de 500 logements moyens locatifs publics. Outre ces 500 logements, le partenaire privé est également chargé de l’apport de foncier. Selon la ministre Fremault, «cette nouvelle formule permettra donc de répondre au manque criant de terrains publics disponibles».
Le budget total du projet est de 197.000.0000 euros pour les 500 logements de classe «moyens». Soit 394.000 euros par habitat. 23% des logements seront dotés d’une seule chambre pour une superficie totale de 55 m2. 45% seront dotés de trois chambres ou plus, pour une superficie allant de 85 à 120 m2. Enfin, dans chacune de ces catégories, 5% des logements seront adaptés pour les personnes à mobilité réduite.
Dossier téléchargeable d’Alter Echos n°363, «Logement social wallon : pas à pas les référents sociaux tracent leur voie», juin 2013
Alter Echos n° 417, «Le logement social à la ferme»Pierre Jassogne, 25 janvier 2016