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Regard critique · Justice sociale

Emploi/formation

Nathanaël Rouas : «J’ai réalisé qu’aujourd’hui, il fallait travailler pour être heureux»

01-05-2015

Dans son ouvrage intitulé «Le bomeur», Nathanaël Rouas, 30 ans, dresse le portrait d’une nouvelle génération qui fait face à la dure réalité du chômage à sa manière. Avoir un boulot cool, se retrouver au chômage et rester cool. C’est ce que ce jeune Français a qualifié de «bomeur», néologisme formé avec «bobo» et «chômeur». En 2006, Nathanaël intègre une agence de publicité et devient rapidement directeur de création. Cinq ans plus tard, il se retrouve au chômage à la suite d’une liquidation judiciaire et devient lui aussi un «bomeur».

«J’ai un statut social virtuel cool et un vrai statut social de merde», écrit-il dans son ouvrage. Le chômage, c’est une situation difficile que les bomeurs tentent de surpasser en montrant sans cesse une fausse image d’eux-mêmes. Sur un ton léger et parfois cynique, Nathanaël Rouas a insisté sur l’aspect psychologique du chômage et sur l’importance du regard des autres. Après huit mois sans emploi, l’auteur s’est lancé dans la rédaction d’un blog. Ses articles, rédigés sur le ton de l’humour, ont rapidement attiré de nombreux lecteurs. Il a donc décidé de rassembler ses récits de vie et d’en créer un livre. Aujourd’hui, Nathanaël est sorti du chômage en créant sa société, 5duMat, une agence de communication hors média grand public. A l’occasion du 1er Mai, Alter Échos s’est penché sur cet ouvrage traitant de la problématique du chômage, mais aussi inévitablement du travail.

Alter Échos: Dans votre livre, le narrateur porte votre nom. Dans quelle mesure ce personnage, plutôt désinvolte, colle-t-il à la réalité?

Nathanaël Rouas: Effectivement, j’ai décidé d’attribuer mon nom au narrateur car le fait que le personnage porte mon nom, ça crée une réalité à la lecture qui est importante. J’aime qu’on me pose cette question car ça veut dire que je suis parvenu à livrer une réalité. J’ai réussi mon pari. Cela dit, certaines scènes de vie ou personnages n’ont pas vraiment existé, même si je me suis inspiré de faits réels. Cet aspect romancé est particulièrement exagéré étant donné que le but était aussi de faire rire.

A.É.: Vous parlez beaucoup du regard des autres et de l’impact que ce regard peut avoir sur une personne. Dans votre livre, vous parlez de contraste entre ce que les bomeurs montrent sur les réseaux sociaux et dans la vie réelle. Même dans le quotidien, ils mentent en quelque sorte à leur entourage en prétextant sans cesse de nouvelles idées de projets. Pourquoi?

N.R: Les chômeurs aiment raconter qu’ils sont sur de nouveaux projets car l’effet de miroir a vraiment son importance. On ment pour changer le regard des autres. En fait, quand on se retrouve dans cette situation, on a l’impression qu’on doit rendre des comptes aux autres. On ne peut pas se contenter de dire qu’on ne fait rien. Alors, on lance des débuts de projets pour montrer qu’on existe encore. Après, ce ne sont pas que des prétextes, certains projets ont vu le jour.

A.É.: Quel est l’objectif de ce livre?

N.R: L’objectif est de changer le regard des gens sur les chômeurs. Les gens en parlent souvent de la même manière. Oui, ils se disent que ça doit être difficile pour eux, mais au-delà de ça, certains portent un regard hautain sur eux. D’autres sont énervés de payer pour eux. Et finalement, le chômage est une situation qui peut arriver à tout le monde. Moi, ça m’est tombé dessus alors que je n’aurais jamais pensé me retrouver au chômage. Et le seul moyen de se rendre compte que ce n’est vraiment pas facile à vivre est d’avoir été soi-même dans une telle situation.

A.É.: Votre propre perception des chômeurs a-t-elle changé?

Ça a clairement changé ma perception. Avant d’avoir connu cette situation, je disais à mes potes chômeurs «Allez, va travailler. Trouve n’importe quoi». Et en fait, on réalise que c’est beaucoup plus pernicieux que ça. On vous parle souvent de problèmes financiers, or personne ne vous parle des processus psychologiques à l’œuvre. On a tellement de temps pour réfléchir qu’on se pose des milliards de questions. D’ailleurs, je pense que des tas de personnes changeraient de travail si elles avaient le temps de réfléchir à leur condition.

A.É.: «Je ne suis plus rien sans le boulot», affirmez-vous dans votre livre. Au bout de quelques pages, vous dépeignez un quotidien assez noir. Vous dites que vous n’êtes plus capable de faire des choix et que vous doutez de tout. Pensez-vous que le travail est ce qui constitue fondamentalement l’homme?

N.R: Ma période de chômage m’a justement amené à réfléchir à cette question. Et cette période n’a pas uniquement changé ma perception des chômeurs mais aussi celle du travail. J’ai réalisé qu’aujourd’hui, il fallait travailler pour être heureux. Je me suis rendu compte que le travail c’était la santé. Et ça m’a vraiment surpris de prendre conscience de ça. C’est fou de se dire qu’il faut travailler pour être heureux alors qu’il n’y a pas que ça dans la vie. La société a réussi à nous mettre ça en tête. Encore une fois, c’est peut-être lié au fait que le regard des autres est trop important.

A.É.: «Je veux de la nouveauté. Sauf que sur la mosaïque Pôle emploi, on ne te propose que d’être boulanger ou maçon», «Les bureaux que j’ai en bas de chez moi sont dans le 19e arrondissement… mais ils sont dédiés aux chômeurs habitant le 20e», expliquez-vous dans votre ouvrage. Vous émettez plusieurs critiques à l’égard de Pôle emploi dans votre livre. Est-ce aussi une façon de remettre en question les services d’aide à l’emploi?

N.R: Je n’avais pas l’intention de critiquer Pôle emploi, je ne veux surtout pas cracher sur ces services. Pour avoir mis les pieds là-bas, je considère que c’est une démarche importante pour les chômeurs. Même si les situations que je raconte sont réelles, il ne faut pas oublier que le but est aussi de faire rire. Il y a des failles dans le système mais leur travail est indispensable.

 

Nastassja Rankovic

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