L’ambition de NewB, cette coopérative belge qui travaille à la construction d’une banque éthique et durable, est sans limites. Son crédo? «Changer la banque pour de bon.» Mais les obstacles pour y parvenir sont nombreux. Et les critiques fusent.
Durable et éthique. Démocratique, aussi. Transparente évidemment, et belge, qui plus est! Décidément, sur le papier, NewB a tout pour plaire. Pensée comme une coopérative, avec des coopératrices et des coopérateurs souhaitant gérer leurs économies de manière responsable, NewB révolutionne d’ores et déjà le paysage bancaire du plat pays. Rarement une banque aura autant fait parler d’elle – en bien. Car c’est peu dire que NewB séduit: l’anti-modèle de Lehman Brothers (qui a fait faillite en 2008) ou de Goldman Sachs (qui a eu un rôle décisif dans la crise grecque) a clos, mercredi 4 décembre, une campagne de capitalisation qui lui a permis de récolter 35 millions d’euros grâce à un peu plus de 70.000 investisseurs.
30 millions d’euros étaient nécessaires pour que NewB puisse espérer obtenir son laissez-passer pour intégrer le marché bancaire. Ce précieux sésame – la licence bancaire, telle que prévue par la directive européenne sur les «fonds propres réglementaires» – est délivré par la Banque centrale européenne (BCE), qui, depuis Francfort-sur-le-Main en Allemagne, surveille le bon fonctionnement du système financier des 19 pays de la zone euro. NewB recevra la réponse de la BCE au plus tard le 15 mars 2020.
Si la décision de la banque des banques est positive, alors NewB pourra officiellement se lancer. Pour l’heure, la start-up n’offre que des assurances et des cartes prépayées MasterCard (la «NewB Goodpay»). L’année prochaine, elle prévoit de proposer des comptes courants, des comptes épargne, des crédits, des assurances supplémentaires et, potentiellement dès 2021, des possibilités d’investir dans des «fonds éthiques».
Un succès pas garanti
Lui qui a rejoint l’aventure il y a trois ans (mais le projet est dans les tuyaux depuis 2011), Nicolas Karlshausen, responsable de la communication et du marketing de NewB, a les yeux qui pétillent. Aujourd’hui, une véritable avalanche médiatique étant passée par là, ce sont ceux qui n’ont pas eu vent de l’initiative NewB qui font figure d’exceptions. Pour Nicolas Karlshausen, tel succès n’était pas garanti: «On a toujours eu l’espoir que ça prenne aussi bien que ça, mais aucune certitude que cela fonctionnerait!»
« La dernière chose que l’on souhaite, c’est que des gens se mettent en difficulté pour investir dans NewB », Nicolas Karlshausen, responsable de la communication et du marketing de NewB
Les légers cernes qui barrent son visage témoignent de l’intensité des dernières semaines. La «campagne» – tout le monde chez NewB s’y réfère sans cesse – a battu son plein jusqu’à la dernière minute, grâce à une équipe «de mobilisation» survoltée. Pour sa part, Nicolas Karlshausen s’est largement occupé de la communication dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux. Sur Facebook, NewB rassemble quelque 40.000 abonnés. Son compte Instagram, lui, est tout récent: la première publication remonte à septembre 2019. Toutes les publications sont largement commentées en français et en néerlandais, et les messages de félicitations affluent – «Super dikke proficiat team NewB!», écrit un internaute, tandis qu’une jeune femme s’exclame: «Cool, bientôt adieu BNP Paribas, youhouuuuuu!»
Sur ces pages, un détail frappe. La mention «Publicité. Lisez le prospectus et les risques sur newb.be avant de souscrire» est présente quasiment partout. Pour Nicolas Karlshausen, l’éthique passe aussi par là. Il ne le cache pas: NewB est un projet embryonnaire qui, bien qu’il découle d’une «démarche sincère et positive», comporte des risques. «La dernière chose que l’on souhaite, c’est que des gens se mettent en difficulté pour investir dans NewB», explique-t-il.
Le responsable de communication s’est longuement penché sur le «profil type» des coopératrices et des coopérateurs. Résultat: «Ce sont surtout des personnes qui veulent changer les choses, qui ne sont pas là par intérêt propre», détaille-t-il. Et sans surprise, beaucoup ne sont pas contentés des explications fournies en ligne par la coopérative. Dans les locaux de NewB, à quelques pas du Jardin botanique de Bruxelles, les sonneries de téléphone sont incessantes.
Chaque membre de l’équipe, quelle que soit sa position, doit décrocher le combiné, prendre son mal en patience et réexpliquer inlassablement le projet. Ils ont même inventé une expression consacrée pour désigner cette mission: «Newbing». La tâche est monotone, répétitive, mais cruciale pour NewB, qui a en grande partie tiré son succès du bouche-à-oreille et compte sur les contributions de chacun pour exister. Impossible, donc, de se dispenser de l’exercice.
« Si être ‘éthique et durable’ était économiquement viable en système capitaliste, ça ferait longtemps que les plus gros capitalistes seraient devenus des parangons de vertus sociale et environnementale ! » Emmanuel Wathelet, professeur à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS) de Bruxelles
«Un unanimisme à faire peur»
D’autant que NewB fait face à des vents contraires. Ses détracteurs, à l’image du chroniqueur Marcel Sel, n’hésitent pas à multiplier les articles en ligne pour faire part de leurs réserves. Marcel Sel considère ainsi NewB comme un «joujou éthique qui fait crac boum hue». Il insiste sur les risques, moque les faibles revenus engendrés par les activités de la jeune pousse jusqu’ici et pointe du doigt la composition du conseil d’administration de NewB (trois sièges sont occupés par Monceau Assurances, groupe français qui a largement investi dans NewB, mais qui, selon Marcel Sel, «n’a qu’un fonds éthique très marginal») ainsi que le manque de parité dans l’équipe de la coopérative, du moins au début («presque une caricature d’entreprise patriarcale», selon l’auteur).
Emmanuel Wathelet n’est pas plus convaincu: sur son blogue «du radis», où il ambitionne d’étudier «l’économie politique à la racine, même si ça pique», ce professeur à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS) de Bruxelles a publié un article qui fustige l’initiative. Dans un style bien à lui, plus oral qu’écrit, Emmanuel Wathelet s’attelle à démontrer que NewB n’est autre qu’un «cheval de Troie» qui tentera de pénétrer la «mécanique capitaliste» pour y faire changer les mœurs. Mais sans y parvenir. Pire encore, NewB en adoptera les codes. Et Emmanuel Wathelet de noter: «Si être ‘éthique et durable’ était économiquement viable en système capitaliste, ça ferait longtemps que les plus gros capitalistes seraient devenus des parangons de vertus sociale et environnementale!»
Parmi ses arguments «anti-NewB», Emmanuel Wathelet avance notamment que le principe «un homme une voix» (l’idée que chaque coopérateur dispose du même pouvoir, peu importe la somme placée) prôné par la coopérative ne sera pas de mise dans la prise de décision, car les coopérateurs sont divisés en trois catégories – A, B et C, selon les montants – et qu’une décision doit être approuvée par la moitié des voix dans chaque groupe. «Chaque citoyen, organisation, investisseur dispose en réalité d’une voix au sein de son collège, indépendamment du montant qu’il ou elle a investi», réaffirme-t-on chez NewB.
Depuis la publication de son article au vitriol le 23 novembre, Emmanuel Wathelet ne cache pas avoir été «beaucoup attaqué». Il poursuit: «Les réactions à NewB sont d’un unanimisme presque à faire peur! Tout le monde a envie de croire à cette séduisante illusion, et, moi, je tue cet espoir-là. C’est cela qui ne passe pas.» Le communicant Nicolas Karlshausen soupire: «Aujourd’hui, c’est plus vendeur de descendre NewB pour attirer l’attention…»
Un futur à esquisser
Pour autant, pas question pour la «team NewB» de se laisser déstabiliser. Il faut avancer. Les forces vives embauchées temporairement le temps de la campagne de capitalisation ont été remerciées, et le noyau dur de l’équipe s’attelle maintenant à esquisser le futur de la coopérative. Il faut notamment réfléchir à la mise en place d’une infrastructure informatique sécurisée qui réponde aux standards de NewB et songer aux services en ligne. Ces coûts en matière de sécurité sont considérables dans le secteur bancaire.
Il s’agit aussi de penser, très concrètement, la future banque. Disposera-t-elle d’agences physiques éparpillées sur le territoire belge? L’option est déjà exclue par les responsables, qui ambitionnent des solutions plus «créatives». Nicolas Karlshausen cite par exemple l’hypothèse de bureaux mobiles, mais cette idée n’est pas encore actée.
Pour Benoît Lallemand, secrétaire général de l’ONG Finance Watch, «ils n’ont pas plus de chances de se planter qu’une banque classique!», bien au contraire: selon l’expert, le système financier belge est «un petit monde, pas du tout concurrentiel», et l’apparition de NewB est une bonne nouvelle pour la «diversification financière» du paysage.
Il estime que ING, BNP Paribas Fortis et autre Belfius n’ont «aucune envie de voir un nouvel acteur émerger». Pour autant, il ne milite pas pour «le remplacement de la BNP par NewB» et explique: «Il faut souhaiter la multiplication des initiatives plutôt que le grossissement de l’une d’entre elles.» Sur le marché actuel, seule la Banque Triodos, qui se définit aussi comme «durable et éthique», pourrait être considérée comme une rivale de NewB. Mais elle ne propose pas de comptes à vue.
En son sein, Thomas Van Craen, directeur de la Banque Triodos Belgique, refuse de parler de «concurrence», préférant évoquer «une certaine complémentarité». «Je vois de manière positive tout élargissement du mouvement de la finance durable», souligne-t-il. Mais après avoir rappelé que la Banque Triodos existe depuis 1960, il tient quand même à noter que «pour l’instant, NewB, ce n’est pas encore une banque».