Coordonné par Culture et démocratie, le réseau Art et Santé rassemble artistes et soignants afin d’encourager le développement de projets culturels enmilieu de soins. En mettant l’accent sur la professionnalisation du secteur.
Clowns, conteurs, plasticiens, comédiens, les artistes sont de plus en plus nombreux à intervenir en milieu de soins. Auprès des petits comme des grands. Dans deshôpitaux, mais aussi, dans des institutions psychiatriques, des maisons de repos, des centres de revalidation, des maisons médicales, etc. Une façon de faire oublier, le tempsd’un spectacle ou d’un tour de passe-passe, la douleur et l’angoisse de la maladie. Et aussi de favoriser l’accès à la culture dans des milieux fragiliséstant en termes de santé que sur le plan social. « On intervient souvent dans des endroits où l’on n’est pas du tout attendu. Et auprès d’un public quin’a pas toujours accès à l’art, remarque Inghe Van den Borre, membre active du réseau Art et Santé et coordinatrice de l’asbl Pont des arts1.Il m’arrive de retrouver des enfants rencontrés à l’hôpital, par la suite, à mes spectacles. Il y a aussi des enfants qui ont eu l’occasiond’essayer de faire du chant ou du dessin à l’hôpital et qui s’inscrivent à des cours après. »
Depuis 2005, le réseau Art et Santé2, coordonné par Culture et Démocratie, rassemble des artistes et des soignants autour d’une réflexion surces pratiques. Une de ses premières missions a été de définir les contours de la profession d’artiste en milieu de soins et de la doter d’un code dedéontologie. Des points comme le respect du patient dans ses choix et ses croyances, le secret professionnel, la collaboration avec les équipes médicales y sontabordés.
Pour la petite histoire
Les premiers nez rouges apparaissent dans les hôpitaux au début des années 90. En Belgique, Paolo Doss est un des premiers clowns à arpenter les couloirs del’hôpital Saint-Luc (Woluwe-Saint-Lambert). Rapidement, d’autres artistes se lancent dans l‘aventure. Fantaisie et poésie d’une part. Contrôles, normesd’hygiène de l’autre. Deux univers aux langages et méthodes contrastés se rencontrent. « Le milieu hospitalier est soumis à des exigencesd’efficacité et de rentabilité. Vingt minutes par patient, pas plus. Le travail artistique, lui, ne peut être rentable, efficace, cloisonné en vingtminutes », résume Christelle Brull de Culture et démocratie.
Si l’on ne peut parler de véritables réticences, il a parfois fallu prouver au monde médical que les artistes n’étaient pas que de simples farfelus et des douxrêveurs. « On paraissait un peu incongrus », se souvient Catherine Vanandruel, du projet des Clowns à l’hôpital3. « L’idée de ce quefait un artiste ne correspond pas à la réalité. Les gens n’imaginent pas que c’est un travail à part entière, exigeant et qui demande d’êtrerégulier », constate pour sa part Inghe Van den Borre. Conteuse et ancienne infirmière, Inghe travaille depuis 1998 dans les services de pédiatrie. « Il a fallu serenifler, s’apprivoiser. Qui c’est celle-là ? Qu’est-ce qu’elle fait ? Mais les choses ont rapidement évolué. Au début, les soignants entraientà tout moment. Aujourd’hui, on n’ose plus m’interrompre pendant un conte. »
De leur côté aussi, les artistes ont dû se familiariser aux contraintes qui pèsent sur les travailleurs du secteur médical. Un des objectifs à terme duréseau Art et Santé est d’ailleurs de proposer une courte formation pour présenter les réalités du monde médical aux artistes. « Je dis toujours auxjeunes qui commencent d’essayer de comprendre ce que vivent les soignants, souligne Catherine Vanandruel, membre du réseau depuis ses débuts. Les horaires qui sont lourds, la peurde se tromper, la responsabilité humaine qu’il faut porter, le stress, les contraintes d’hygiène… Il faut s’imaginer ce que c’est ! »
Artistes avant tout
Les membres du réseau Art et Santé ont pour point commun d’intervenir en milieu de soins. Ils tiennent toutefois à garder leur distance par rapport à l’artthérapie, qui considère l’art comme une technique parmi d’autres pour soigner. « L’art peut éventuellement avoir un effet thérapeutique. Mais cen’est pas l’objectif recherché », souligne Inghe Van den Borre. Les artistes, insiste-t-on au réseau Art et Santé, ne donnent pas leur spectacle comme onadministrerait un médicament. Leur rôle, tout au plus, est de proposer un moment d’évasion. « A l’hôpital, les enfants sont entravés dans leurmobilité. Ils souffrent, ils ont des perfusions. Mais dans l’imaginaire, on peut voyager même si on a mal à la jambe », prend pour exemple Catherine Vandandruel.
« L’objectif, c’est d’amener la personne dans un espace de liberté grâce à l’imaginaire. Pour cela, il faut une certaine formation, un savoir-faire queseul un professionnel peut apporter », note Inghe Van den Borre. Au réseau Art et Santé, on insiste sur la professionnalisation du secteur. Tout comme sur lanécessité pour les artistes de se ressourcer. « La plupart des artistes font cette activité à mi-temps. Quand ils ne sont pas à l’hôpital, ilscontinuent à exposer, faire des tournages, jouer dans des pièces… C’est important pour alléger le côté hard de l’hôpital. Sinon, tu finispar devenir comme les infirmières. Tu arrives tous les matins à 8 h, tu entres dans un roulement. Il faut éviter de se médicaliser pour pouvoir continuer àapporter ce côté imprévu et léger », résume Catherine.
Des rires aux larmes
Sur le site du réseau Art et Santé, quelques témoignages permettent de se faire une idée plus précise du travail des artistes sur le terrain. « Le regardétonné des enfants et des parents vite conquis par la présence de ces deux énergumènes, l’interrogation des soignants sur le passage de cesirréductibles semeurs de désordre, qui génèrent rires en cascades et fanfares multiculturelles improvisées, n’a cessé de bousculer les habitudes etd’opérer un changement profond dans les mentalités. Oui, hôpital peut rimer avec joie, avec fantaisie, avec fête à la vie », confient les docteurs Zinzinet Carabistouille. Avant d’adopter un ton plus grave quelques lignes plus loin. « Il a appris par cœur Ta Katy t’a quitté de Bobby Lapointe, une de nos chansonsfavorites. Il la chante avec papa, maman e
t nous, la veille de son décès, malgré sa difficulté à respirer. »
Des témoignages poignants. Catherine Vanandruel tient toutefois à mettre en garde contre les effusions sentimentales. « On essaie d’éviter de donner une imagedramatique dans les médias. La Belgique est un des pays où les enfants reçoivent les meilleurs traitements au monde, rappelle-t-elle. Il y a vingt ans, les enfants étaientlaissés seuls dans leur chambre. Mais de nos jours, on met des lits de camp pour les parents. La télé est allumée toute la journée. Il y a madameergothérapeute qui vient faire des bricolages, madame musique qui vient chanter une chanson, monsieur bonne nuit qui vient les coucher… »
Art et Santé en vogue
En vingt ans, les artistes ont incontestablement trouvé leur place dans les milieux de soins. Au point que les hôpitaux seraient devenus une nouvelle source de débouchéspour les artistes ? « Au départ, il peut y avoir une volonté d’ajouter une corde à son arc. On sait bien qu’un artiste ne tourne pas tous les jours surscène, répond Christelle Brull. Mais travailler en milieu de soins demande un engagement fort. Il faut un intérêt réel, sans quoi on ne tient pas longtemps dans cesecteur. » Pour elle, cet « effet de mode » est plus largement à attribuer à une plus grande ouverture des milieux de la santé à des projets culturels.Et même, d’une plus grande sensibilité de la société pour favoriser l’accès aux droits sociaux et culturels. « Il n’y a pas seulementplus d’artistes qui frappent aux portes des institutions, mais aussi plus d’institutions qui ouvrent leurs portes aux artistes. De façon générale, j’ai lesentiment qu’il y a plus de place pour les projets qui permettent d’introduire l’art dans des milieux qui n’y ont pas accès, comme les CPAS, les prisons »,s’enthousiasme-t-elle.
Reste que les moyens ne suivent pas toujours, se plaint Inghe Van den Borre : « On vous renvoie de la Santé à la Culture et de la Culture à la Santé avec uneraquette de ping-pong, en vous disant qu’il n’y a de place pour vous nulle part. »
1. Le Pont des arts :
– adresse : rue Floris, 47 à 1030 Bruxelles
– tél. : 0484 17 89 65
– courriel : lepontdesarts@live.be
site : www.lepontdesarts.be
2. Réseau Art et Santé
– adresse : rue Emile Féron, 70 à 1060 Bruxelles
– tél. : 02 502 12 15
– courriel : info@cultureetdemocratie.be
– site : www.artetsante.be
3. Clowns à l’hôpital, Catherine Vanandruel :
– adresse : avenue des Nymphes, 59 à 1170 Bruxelles Belgique
– tél. : 02 675 05 43
– courriel : clowns.hopital@gmail.com
– site : www.clowns-hopital.be