Nico Lauwers travaille à la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles au sein du Herscham team1. Attentifs, à l’écoute, lui et ses deux équipiers tententd’apporter des solutions concrètes aux habitants de la rue.
1978. Nico Lauwers a dix-sept ans. Depuis quelque temps déjà, il voue une admiration à la gendarmerie. « J’avais une image de celle-ci comme celle d’uncorps d’élite avec des hommes fiers de faire leur boulot. » Il décide de postuler et plaque l’école où il apprend l’électricité. Àl’époque, il se retrouve caserné à Bruxelles, rue de Louvain. Il y reste jusqu’en 2001, année de la réforme des polices. Entre-temps, il apprend lesdifférentes facettes du métier. Après la réforme, il se retrouve à la police fédérale du métro qui a ses bureaux station Rogier.
Bien entendu, le quotidien de Nico Lauwers consiste aussi en patrouille dans le métro comme tout le monde. C’est là que s’opère le déclic. « En faisant cespatrouilles, je me suis rendu compte de l’existence d’un monde parallèle : celui des sans-abri. Bien connu par le secteur social, méconnu par le secteur policier. » Ils sont moinsnombreux qu’aujourd’hui. Ceux de l’Est ne sont pas encore arrivés. Et il n’y a quasi pas de Roms, se souvient le policier. Et puis, il est encore possible de « placer » les sans-abri àMerkplas ou à Saint-Hubert.
Agir différemment
Déjà, à l’époque, les sans-abri ne sont pas les bienvenus dans le métro. Les consignes d’alors sont simples (et strictes) : « On ne les veut pas ! Dehors !» Et de les sortir manu militari. « Mais cela ne servait à rien, ils revenaient après », raconte Nico Lauwers avant d’ajouter qu’il a toujours essayé de fairecela poliment. « Du coup, ils préféraient être mis dehors par moi que par un autre, dit-il en riant. J’avais aussi moins de problèmes que mes collègues. Mescollègues me voyaient comme un martien, mais au niveau de « la rue » il y avait une reconnaissance – sans que l’on se connaisse. On me disait toujours : « Pourquoi s’occuper de ces gens?” À chaque fois, je répondais : « Si tous les sans-abri étaient des blondes avec des jupes courtes, tous les policiers s’en occuperaient ». »
Pourquoi agir différemment de ses collègues ? Par esprit de challenge : « J’ai toujours été quelqu’un qui cherchait à faire ce que les autres ne faisaientpas. J’ai réussi à m’investir là-dedans. Je suis parvenu à convaincre mon chef de l’utilité de ce boulot. Les SDF sont considérés comme une nuisance,mais ils sont là… Moi je veux savoir qui sont les sans-abri qui vivent dans ce monde parallèle, où ils vivent… On a plusieurs fois retrouvé des SDF quis’étaient endormis sur des voies, sur des bancs, dans des gares… On a aussi retrouvé des SDF morts : ils s’étaient fait écraser, étaient morts de froid ou toutsimplement de mort naturelle. Et on s’est rendu compte qu’on ne savait pas qui ils étaient, que personne ne les réclamait. Cela ne diffère pas d’un autre décès.»
Le portable de Nico Lauwers sonne. Il s’excuse. Prend l’appel. Un temps d’échange. Il met fin à la communication et la résume : « Deux de « nos gars » sont morts dansl’effondrement d’un squat. » « Nos gars » est la formule respectueuse que le Herscham-team utilise pour nommer les sans-abri. Il affectionne aussi l’appellation « habitant dela rue » – inventée par Diogènes, une association qui fait du travail de rue avec les sans-abri, précise-t-il –, car elle est moins péjorative que cellede « SDF ». Pour le policier, le respect est fondamental. « Pour obtenir quelque chose, il faut du respect mutuel. Pour Monsieur Tout-le-Monde, un SDF c’est quelqu’un qui pue, quiest sale. Mais les gens ne sont pas nés SDF. »
Un peu de douceur…
De son expérience de terrain, notre policier constate que les bagarres qui éclatent entre la police et les sans-abri résultent souvent d’un malentendu entre les deux parties.Et d’évoquer un cas classique : « Si un SDF est endormi et qu’il est réveillé en sursaut, il se sent agressé et réagit. Le policier interprète celacomme de la violence et cela dégénère. Le premier truc qu’on a appris à faire, c’est de leur parler doucement pour les réveiller. Il faut se mettre à leurniveau – accroupi ou à hauteur de leur visage –, leur parler, les rassurer le temps qu’ils se réveillent, et puis seulement les inviter gentiment à quitter la stationtout en leur expliquant le pourquoi. » Et d’insister sur l’explication du pourquoi : la station ferme, etc.
Nous sommes à l’époque du prédémarrage d’Herscham. Nico Lauwers tourne un demi-jour par semaine pour s’occuper des sans-abri. Il fait cela seul. Il ne lui est pasfacile de trouver un collègue. L’inspecteur Michel Delobbe se joint à lui. Ils ont le même âge, le même point de vue. Ils sont désormais à deux àfaire des rondes. Le commissaire divisionnaire est convaincu de l’utilité de leur travail. Les faits le démontrent : les nuisances diminuent, le sentiment d’insécuritéaussi. Les deux policiers obtiennent l’autorisation d’accorder plus d’heures pour mener ce type de patrouille préventive. Plus ils discutent avec les SDF, plus ils les rencontrent, plus laconfiance s’installe.
« Malheureusement, après quelque temps, Michel n’a plus pu continuer. Je me suis retrouvé avec l’inspecteur Robin Berthels. Même si c’était un jeune policier, il ya eu un déclic professionnel entre nous. Herscham est né à ce moment-là, à la fin 2003. On a cherché un nom qui interpelle. En cherchant sur Internet, on atrouvé un dieu de jeux de rôles (Warhammer), qui représente les exclus et les mendiants. À partir de ce moment-là, les patrouilles se sont intensifiées.» Un an plus tard, « la rue » les a acceptés. « Parce qu’on ne s’impose pas à « la rue », on se fait accepter ou pas », dit Nico Lauwers. Voilà quidiffère du discours policier classique selon lequel les forces de l’ordre doivent « tenir » la rue. Nico Lauwers nuance : « La rue appartient bien à l’ordre public,mais pas ses occupants. » Et d’ajouter : « Cela ne sert à rien de punir des gens qui n’ont rien. Si on n’offre pas d’alternative, quel est l’intérêt d’intervenir ? Siquelqu’un est dans une station de métro et qu’il pleut dehors, ça ne sert à rien de lui dire : « Il faut sortir ». Sinon lui va demander : « Où je vais aller ? ». Ça nel’aide pas de dire : « Je n’en sais rien, tu dois sortir ». »
Un moment de gloire
À la fin 2005, Alain Magnée les rejoint à temps partiel. L’équipe tourne à plein régime. Avec l’intensification des patrouilles, ils voient dix fois plusde personnes. Ils assurent un jour de permanence le mercredi. Les autres jours sont consacrés aux patrouilles, aux devoirs du Parquet,
etc. Et parfois, il y a de véritables contes deNoël. Nico Lauwers se rappelle d’un sans-abri dont les parents étaient décédés et qui avait droit à un héritage : « Personne ne parvenait àle trouver. Nous, nous l’avons retrouvé et nous avons joué l’intermédiaire entre la personne et le notaire. Grâce à cela, cette personne est sortie de la rue.» Il évoque un conte plus attendrissant : « Le plus beau souvenir qu’on garde, c’est d’avoir réuni un père et une fille qui ne s’étaient plus vus depuis vingtans. À un moment donné, il a eu besoin d’en parler et il nous en a parlé. On a contacté la fille et on lui a demandé si son père pouvait l’appeler. Elle aaccepté. » Bien sûr, ces pratiques peu courantes au sein des forces de l’ordre ne plaisent pas à tous. « Certains disent que ce n’est pas le boulot de la police, pourmoi, c’est de l’humanité pure », tranche le policier.
Heureusement, d’autres apprécient le travail d’Herscham. La même année, ils remportent le prix belge de la sécurité et de la prévention de lacriminalité, organisé par le Secrétariat permanent à la Prévention. Ils vont ensuite présenter le projet en Angleterre aux « European Crime Awards». Là, ils décrochent le deuxième prix, juste derrière les Pays-Bas qui ont mis sur pied un projet similaire, qu’ils ont étendu à leurs villes.
Sur le terrain, le travail se poursuit. Jusqu’à la mi-2009, le nombre de patrouilles s’est intensifié. Le mercredi, jour de permanence, l’équipe reçoit entre 60 et 70personnes entre 9 h et 16 h. À trois, ils essaient de trouver des solutions. « Heureusement, commente Nico Lauwers, le contact avec le secteur associatif et les hôpitaux estexcellent et nous permet de résoudre rapidement les problèmes de certaines personnes. »
Chute et rebond
Et puis, en août 2009, c’est le coup de massue. L’équipe doit cesser ses activités. « Le Herscham team cesse alors d’exister pour des raisons indépendantes denotre volonté », commente sobrement Nico Lauwers, avant de reconnaître que « ça n’a pas été une période facile ». Au passage, il remercieses deux « loubards » de lui être restés fidèles, de l’avoir soutenu et de l’avoir suivi chez Polbru. Lorsque le Herscham team a dû cesser ses activitésdans les gares et stations de métro, ils ont décidé de ne pas abandonner leurs « gars ». « Dès ce moment, le team a décidé en bloc que letravail qu’on faisait était trop important pour que cela ne continue pas, se souvient notre interlocuteur. On disposait d’un outil de travail utile et qui avait fait ses preuves. Et comme nousavons toujours eu le projet de faire tache d’huile, on a décidé de faire tache d’huile nous-mêmes. Et donc, la tache s’est étendue en surface. Lors de nos patrouilles, ons’était rendu compte qu’on était trop limité par notre secteur, parce qu’il y a avait beaucoup de sans-abri en surface et que cela dépendait de la police locale. Il nous aalors semblé normal de postuler au service de police de la ville sur le territoire duquel on était actifs depuis des années. Nous avons postulé et je crois que Polbru aestimé notre connaissance du terrain et que, par la même occasion, cela nous permettait de faire tache d’huile tout en faisant de la prévention. »
Le 3 mai 2010, soit après une absence de huit mois sur le terrain, le Herscham team a repris du service. « Le but final c’est d’être là pour nos gaillards, explique NicoLauwers. Depuis qu’on est de retour, les appels téléphoniques pleuvent. Deux jours après avoir repris du service, tout le monde était déjà au courant. Toutnotre ancien réseau nous a recontactés. Je crois que nous sommes le seul service de police pour lequel le secteur social a lancé une pétition lorsqu’il a dû cesserses activités. Mais il faut aussi un temps d’acclimatation. On espère qu’en septembre, le Herscham team sera tout à fait opérationnel. » Le terrain à couvrirest beaucoup plus grand, signale-t-il : « Il faut prendre le pouls du terrain, découvrir les gens en rue… Avant, on rencontrait les gens de station en station, maintenant ils sont dansla rue. » Il faut aussi prendre le temps de rencontrer et de faire connaissance avec les autres acteurs de terrain. Avant, les trois hommes avaient 25 collègues, maintenant ils en ont…2 500.
« C’est une mission à caractère pédagogique que nous avons, conclut le policier. Il faut avoir un effet boule de neige auprès des collègues. Pour eux,c’est bien, parce que c’est une problématique assez spécifique. Ils apprennent de nos manières de faire. Certains SDF nous ont déjà dit qu’un tel policier avaitchangé d’attitude, qu’il était plus poli. Mais cela marche dans les deux sens. L’habitant de la rue change aussi d’attitude par rapport aux policiers. »
1. Police Bruxelles-Capitale-Ixelles :
– adresse : rue Marché au Charbon, 30 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 279 74 60
– courriel : herscham@herscham.be
– site : www.herscham.be