Dans notre «monde abîmé par les pratiques du capitalisme avancé», il serait temps d’être à l’écoute des choses qui ne parlent pas, estime Marielle Macé, historienne de la littérature1, dans son dernier essai Nos cabanes. Elle rappelle d’ailleurs combien les poètes sont aptes à prêter l’oreille aux pensées de l’eau, de l’arbre ou encore de la forêt. Écouter, dans le remous des vagues de la Méditerranée, les traces des vies perdues, écouter aussi la raréfaction du chant des oiseaux (en quinze ans, près d’un tiers des oiseaux ont disparu de nos paysages), c’est percevoir aujourd’hui toute la fragilité des écosystèmes qui résonne avec les violences sociales. C’est entendre «notre monde en abîme».
Un monde en abîme où toutes sortes de cabanes voient le jour. Des dizaines de cabanes bâties sur la ZAD (zone à défendre) de Notre-Dame des Landes – qui seront détruites par les gendarmes français le 9 avril 2018 –, aux abris construits après un séisme ou aux tôles qui s’amoncellent pour former d’un bidonville, en passant par ces nouvelles formes d’«hébergements insolites» (les yourtes par exemple)… Dans toute leur diversité, les cabanes ont ceci de commun qu’elles manifestent une soif de vivre autrement. Elles sont animées par une même lutte: «Se refaire un séjour quand on n’en a pas, ménager et réaménager des mondes. Ici s’énonce au plus fort le rêve d’une autre vie, d’une autre ville […].»
Souvent illégales, souvent menacées, les cabanes sont fabriquées tant «par le saccage» (les destructions, les expulsions, les refus de séjour) que «par les gestes qui lui sont opposés», explique Marielle Macé, qui les compare avec ces nids d’oiseaux tressés avec des bouts de plastique et des déchets autant qu’avec des brindilles et des feuilles. Dans ces abris, l’auteure voit non pas un moyen de s’accommoder des précarités – et encore moins de les enchanter –, mais plutôt une manière de les braver. Ils servent donc non pas à se retirer du monde ou à lui tourner le dos, mais plutôt à lui faire face autrement. Les cabanes représentent de nouvelles façons d’habiter et d’être en lien. Car aujourd’hui, écrit-elle, l’enjeu n’est pas de «sauver» ni de «survivre», mais bien de vivre, «de favoriser avant tout la vie en coopérant avec toutes sortes de vivants».
La ZAD de Notre-Dame des Landes symbolise cet autre rapport au monde, à la nature – et à ses ressources écologiques – et, par là même, aux individus. C’est un territoire d’où ont émergé des cabanes certes, mais également où s’énoncent des idées de vie, où s’expérimentent des pratiques, où se nouent des liens. Autrement dit, un espace où s’érigent des «cabanes des idées» qui sont, elles aussi, «des zones à défendre».
Et pour continuer à élaborer ces cabanes métaphoriques, Marielle Macé nous invite à développer nos perceptions: il s’agit d’élargir le «Parlement des vivants» aux autres intelligences: aux modernités non occidentales, aux résistances à la modernité, mais aussi aux bêtes, aux océans, aux pierres… qui ne parlent pas mais qui n’en pensent pas moins. Aux traces des vies perdues dans l’eau et au silence des oiseaux.
Nos cabanes, Verdier, coll. La Petite Jaune, mars 2019, Marielle Macé, 128 p., 6,5 euros.
- Notamment auteure, en 2017, de Sidérer, considérer: migrants en France, 2017, Verdier, 2017.