La Feantsa et la Fondation Abbé Pierre présentaient ce jeudi 23 juillet leur «5e regard sur le mal-logement en Europe». Les deux organisations se réjouissent des mesures prises dans les différents États pour mettre à l’abri les personnes sans domicile pendant la pandémie du Covid-19 tout en appelant à poursuivre cet effort sur le long terme.
La Feantsa (Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri) et la Fondation Abbé Pierre estiment à 700.000 le nombre de personnes sans domicile dormant à la rue ou en hébergement d’urgence/temporaire (estimation sur une nuit) dans l’Union européenne (un chiffre à prendre avec des pincettes, car basé sur des enquêtes parcellaires). Soit une augmentation de 70% en dix ans. De plus en plus de familles à la rue, de plus en plus de jeunes également et des périodes de sans-abrisme qui se prolongent: tels sont les constats posés par les deux organisations.
Outre un large focus sur la situation des personnes en exil et sans domicile en Europe, le rapport fait le point sur les impacts de la crise sanitaire sur les personnes sans domicile et mal logées.
En réalité, un peu partout, la plupart de ces personnes ont été mises à l’abri en quelques semaines, constatent la Feantsa et la Fondation Abbé Pierre. Il y a eu une prise de conscience collective de l’opinion publique, de l’ONU, des États…: «Les gouvernements se sont mis en ordre de marche avec les acteurs de la société civile et ce qui semblait une utopie ces dernières années s’est produit: les rues se sont vidées des sans-abri, avec des nuances selon les pays.» (Relire à ce sujet «Jacques Moriau: ‘Il faut faire remonter au-dessus des agendas des causes au moins aussi dramatiques que le coronavirus’»).
La crise a en effet remis au centre du débat la question du logement – le manque de logement des sans-abri, mais aussi, pour tout un chacun, l’impact du logement sur la santé, la scolarité, etc. Elle a aussi mis en exergue la vulnérabilité des personnes sans abri notamment en matière de santé – leur taux de mortalité est quatre fois supérieur au reste de la population; leur taux de mortalité par coronavirus est 25 fois plus élevé que celui de la population adulte générale, avancent certains chiffres récoltés. «Nous nous réjouissons de ces avancées et nous espérons un maintien de l’effort des États pour ne pas remettre ces personnes à la rue et pour aller vers un système de ‘logement d’abord’ que l’on défend depuis des années!» Car l’augmentation du nombre des personnes en situation de mal-logement devrait se poursuivre avec l’impact de la pandémie, notamment quand les moratoires relatifs aux expulsions mis en place dans plusieurs pays d’Europe prendront fin, craignent la Feantsa et la Fondation Abbé Pierre, qui déplorent d’ailleurs un désengagement des États dans les politiques de logements publics au cours des dernières années.
À Bruxelles, le ministre de l’Action sociale et de la Santé Alain Maron s’engageait en début de législature à la mise en œuvre d’une politique d’accès direct et inconditionnel au logement en vue de la réinsertion des personnes sans abri dans la société (relire «Alain Maron: ‘Ma priorité, c’est la réinsertion sociale des sans-abri’»). La survenue du Covid-19 a pourtant remis au centre de l’action des logiques d’urgence, avec la mise sur pied de dispositifs comme l’ouverture d’un centre de confinement par MSF, d’une dizaine d’hôtels pour héberger des personnes en rue et d’un centre de jour par l’ONG Médecins du monde.
Avec la fermeture des hôtels ouverts pour héberger les personnes sans toit, ce sont aujourd’hui des centaines de personnes qui risquent de se retrouver à la rue (début juin, 841 personnes, dont une majorité de femmes, étaient logées dans 11 hôtels à Bruxelles). «Actuellement il y a urgence à trouver des solutions pour des centaines de personnes: la plupart des hôtels vont fermer en septembre et il est peu probable qu’on passe à une stratégie à long terme comme prévu», explique Mauro Striano, chargé de mission à Bruss’Help.
Tandis que l’organisation de coordination du secteur bruxellois de l’aide aux sans-abri est en train de préparer une stratégie d’action en vue d’une seconde vague de l’épidémie, elle se charge dans le même temps de centraliser l’offre de logement et d’hébergement pour les quelques centaines de personnes hébergées dans les hôtels. Pour l’heure, les cabinets de Alain Maron et de Nawal Ben Hamou (ministre du Logement) sont en train d’identifier les solutions de logement avec les CPAS, les communes, les Sisp, explique Mauro Striano. «L’idée est que Bruss-Help centralise l’offre même si ce ne sera pas forcément dans du logement durable. Nous avons peu de temps pour trouver des solutions et il y a beaucoup de personnes à héberger, à reloger.» Et le chargé de mission d’ajouter: «La volonté d’Alain Maron semble clairement d’aller vers une politique de solutions durables type Housing First. Mais à ce stade de la législature, c’est difficile de dire ce qui va se développer et cette crise sanitaire est un défi en plus.»
En 2018, 4.187 personnes étaient comptabilisées par la Strada comme personnes sans abri ou mal logées dans les rues bruxelloises. Le prochain comptage, qui aura lieu en novembre, permettra de faire un nouvel état des lieux de la situation.
En savoir plus
Sur le sans-abrisme et le confinement, relisez :
«Parc Astrid: la misère moins pénible en plein air?», Alter Échos n° 484, mai 2020, Julie Luong.
«Sans-abri à Charleroi: les naufragés du gymnase», avril 2020, Cédric Vallet.
«SDF, tous aux abris!», Alter Échos n°483, avril 2020, Marinette Mormont.
Sur le sans-abrisme et l’accès au logement, relisez notre dossier «Un pas vers un toit. De la rue au logement», Alter Échos n° 480, 30 janvier 2020.