Que ce soit dans des bâtiments réaménagés autour du palais de justice de Bruxelles ou lors d’audiences qui continuent de se tenir dans le mastodonte de la place Poelaert, chaque affaire traitée est une tranche de vie qui met en scène un prévenu et son histoire, des magistrats, un avocat et, au-delà, tout un système qui se mord la queue.
Ce matin-là, à la 47e chambre du tribunal correctionnel de Bruxelles, c’est une histoire sordide qui se plaide: un homme comparaît pour une série d’infractions à l’encontre d’une dame, prostituée de son état. Des multiples devoirs d’enquête réalisés par les policiers locaux (planques, écoutes téléphoniques), il ressort que son comportement est particulièrement violent: il cogne, insulte, menace la femme pour que la vente de ses charmes lui rapporte davantage. Les faits reprochés sont graves: traite des humains, proxénétisme, tortures. Sur fond de campagne contre les violences faites aux femmes et de #balancetonporc, l’affaire semble mal emmanchée.
L’inculpé, arrivé menotté depuis sa prison, essaye de minimiser, parle d’amour, de coups portés par d’autres, de protection de sa compagne. La juge à la manœuvre l’interroge sans ménagement. Alors qu’il demande à pouvoir s’asseoir, invoquant un VIH, elle lève les yeux au ciel, ironise sur son état de santé. Vient le tour du ministère public: une substitute du procureur du Roi à l’allure réservée, mais qui dès l’entame de son réquisitoire se déchaîne. «Ce dossier dégouline de violence: il est temps que M. comprenne que ‘femme’ n’est pas un équivalent à ‘punching-ball’.» Si les faits rapportés sont glaçants, les remarques cinglantes et les invectives à l’encontre du présumé proxénète semblent le confiner à l’inhumanité. L’ensemble de la plaidoirie de son avocat tombe dans le vide tant la cause semble entendue. Celui-ci parle de contexte, de conditions de vie misérables, de jalousie. La juge l’interrompt à plusieurs reprises et persifle, cyniquement: «Ce qui est d’autant plus absurde, c’est que Monsieur frappe cette pauvre femme de telle sorte qu’en définitive il amoche la marchandise. Qui voudrait payer pour une femme défigurée?!» Pour ponctuer la fin de l’audience, la magistrate semble devoir conclure: «En tout cas, visiblement, nous ne sommes pas du même milieu!» On s’en serait douté…
Date est fixée pour le verdict: fin mai. Alors que le prévenu est évacué, aidé par un policier car il a du mal à marcher, sa mère qui a assisté à l’audience s’approche de la juge. Cette dernière lui enjoint avec mépris de quitter la salle, alors que l’instant d’avant, elle blâmait le prévenu d’avoir battu sa pauvre mère.
À quelques pas de là, dans une autre salle d’audience, c’est le calme qui règne: normal, elle est déserte. Pas de prévenus, pas d’avocats, pas d’agents de sécurité. Le juge, la greffière et la substitute semblent converser. Et pourtant, en s’approchant, force est de constater qu’ils sont en train de rendre la justice. «Monsieur O?», s’enquiert le président, en scrutant la salle par-dessus ses lunettes. «Il n’est pas là», constate-t-il sans grande surprise. La substitute enchaîne: «Monsieur O. n’a pas respecté les conditions de sa probation. Il devait suivre une formation à laquelle il ne s’est pas présenté. Je demande la révocation. Vingt-huit ans.» Le juge répond laconiquement: «Accordé». Les affaires défilent, les révocations s’enfilent…