Sous la férule d’une directive européenne, l’Afsca chope la présence de listeria dans la production de fromage de José Munnix. Tolérance zéro. Le fermier dit devoir fermer boutique et voilà que la vie se fracasse sur la norme.
Entre obésité technocratique et principe de surprotection, les normes seraient-elles des gnomes insupportables et pourtant indispensables (il suffit de penser à la monnaie, les poids et mesures)? Envahie par ces créatures tatillonnes, la France a lancé il y a un an le nouveau Conseil national d’évaluation des normes (CNEN). Sa mission: négocier avec ces bêtes qui nous protègent mais parfois nous achèvent. En Belgique, on n’y est pas. Le choix d’un habitat permanent en caravane résidentielle est remis en question parce qu’il ne serait pas conforme à l’ensemble des droits de la personne. Mais pense-t-on vraiment qu’une famille ne fasse pas le bilan de sa vie et opte pour le meilleur choix? Pas le nôtre, pas le meilleur dans l’absolu mais le meilleur dans la situation du moment, concrète et pratique. Une norme impose une vision unidimensionnelle, parfois morale, de nos existences.
Il ne s’agit pas de déréguler à tout va. Que les agro-industries ou les entreprises biomédicales soient (très) contrôlées pour protéger notre santé, c’est légitime. Et les règles en urbanisme, en matière de santé, en agriculture, en environnement, en télécommunications contiennent des valeurs qui modifient nos vies, souvent en bien. Mais prenons garde aux dégâts collatéraux, à l’organisation totale, à la peur, au mirage du risque zéro, à la volonté d’une assurance d’absolue sécurité qui nous étouffera.
La question n’est pas tant de savoir s’il faut des normes, mais de cerner jusqu’où elles doivent régir nos vies? Comment organiser sans figer? L’équilibre est fragile. Des normes sanitaires conduisent à l’aseptisation à outrance tandis que d’autres, urbanistiques, rendent insurmontable le moindre projet de lucarne dans un toit. Sommes-nous certains que la cabane au fond du jardin doit se situer à deux mètres au moins des limites mitoyennes? La traçabilité des ingrédients utilisés lors de repas d’école est-elle absolument nécessaire? Sans parler de ces enfants aux troubles de déficit de l’attention à vite piluliser pour renormaliser. À trop cadrer, on emprisonne. Le plus grand risque qui nous menace est peut-être de ne plus vouloir en prendre. Quitte à être à pâte molle, soyons le fromage de Herve.