L’Aide à la jeunesse dispose désormais d’un outil statistique lui permettant d’avoir une vision d’ensemble du secteur sur les cinq dernièresannées. Des données encore parcellaires, mais éloquentes à bien des égards.
Les nouvelles statistiques de l’aide à la jeunesse ont été présentées au cours d’une journée d’étude le 17 avril dernier àDampremy. Les principaux chiffres proviennent de la base de données Sigmajed dont le seul objectif est de déterminer ce que coûte le secteur. Ils renseignent sur «l’ensemble des mesures prises par les conseillers et directeurs de l’Aide à la jeunesse ainsi que les juges de la jeunesse à l’égard des jeunes,lorsqu’elles donnent lieu à une prise en charge financière par la Communauté française ». En clair, ils servent à gérer les dépenses, pasà mieux connaître les jeunes. En outre, un nombre considérable d’actions menées par les services d’Aide à la jeunesse, mais ne donnant pas lieu àdes dépenses selon la définition Sigmajed – prévention, dossiers ouverts voire traités mais en attente faute de places, investigations, permanences, etc. – nesont pas répertoriées dans ce bilan. De même que les jeunes pris en charge dans les AMO ne font pas partie des comptes. La base de travail a beau être parcellaire, leschercheurs ont considéré qu’elle restait pertinente pour évaluer certaines grandes tendances, tordre le cou à des poncifs, ou confirmer des intuitions.
La Direction générale de l’Aide à la jeunesse et l’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse (OEJAJ)1 sesont donc emparés des colonnes de chiffres afin de les faire « parler ». Pour accroître la pertinence du propos et dessiner un portrait le plus ressemblant possible dusecteur, les données ont été croisées avec celles de l’Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC) et celles des IPPJ (STATIPPJ). Débusquerdu vécu derrière la froideur statistique n’est pas une mince affaire : l’analyse a nécessité deux ans de travail !
Une minorité de « délinquants »
Un premier constat posé en préambule, notamment par la ministre de l’Aide à la jeunesse, Catherine Fonck (CDH), et amplement repris par tous les intervenants au fil dela journée, va à l’encontre de la croyance populaire : 87 % des enfants pris en charge par l’Aide à la jeunesse sont en difficulté ou en danger et 15 % ontcommis des faits qualifiés d’infraction (FQI)2. Si l’on prend la moyenne journalière entre 2002 et 2006, la tendance est encore plus nette. « Chaque jour,on compte environ mille jeunes délinquants pour dix mille enfants en difficulté ou en danger, pris en charge », note Françoise Mulkay, auteure de l’étude. Ladifférence entre les deux séries de chiffres tient à la durée de l’intervention qui est, en moyenne, quatre fois plus longue pour les enfants en danger ou endifficulté que pour les jeunes délinquants (39 mois et 10 mois). Ce qui tendrait également à démontrer que la démarche est beaucoup plus «sanctionnelle » que « protectionnelle » pour les mineurs qui commettent des FQI.
À noter qu’un quart des jeunes pris en charge reste plus de quatre ans dans le système et que les filles sont prises en charge plus longtemps que les garçons (cinq moisde différence, en moyenne). Quant aux jeunes qui ont fait l’objet de mesures à la fois dans l’aide volontaire et dans l’aide contrainte, la durée moyenne deprise en charge dépasse les cinq ans (61 mois).
Dans le même ordre d’idée, on remarque qu’il y a plus de jeunes qui entrent dans une prise en charge que de jeunes qui la quittent année après année.Cela signifie que le « stock »3 de jeunes augmente continuellement. Sur les cinq années de référence, 33 469 jeunes ont été pris en charge aumoins une fois, ce qui représente de 15 659 (en 2002) à 17 677 jeunes (fin 2006) et une progression constance du « stock » de 3 % par an.
Des évolutions marquantes
En ce qui concerne la nature de l’aide, les tableaux sont également très parlants : tendance à la hausse, ici encore, mais de manière beaucoup plus marquéepour l’aide contrainte (+23 % en cinq ans) que pour l’aide volontaire (+11 %). À partir de 2003, les courbes de croissance s’écartent et l’aide contraintedépasse la volontaire. Les évolutions des prises en charge par type de service, marquent aussi les esprits. Cette fois, on distingue clairement l’impact de la réforme desservices privés de l’Aide à la jeunesse, avec une diminution de capacité des Services d’accueil et d’aide éducative (SAAE) et un envol, entre 2002 et2004, de celle des familles d’accueil, encadrées ou non, qui deviennent le premier mode de prise en charge à partir de 2003.
Les analyses ont été accueillies avec intérêt par les acteurs. Mais il faudra du temps pour digérer un tel pavé de tableaux statistiques et de graphiquesen tout genre. Des croisements peuvent encore être réalisés entre les différentes données et il faudra nourrir les chiffres avec les observations du terrain. «Il faudra nuancer tous ces chiffres et leur donner une interprétation plus qualitative », a plaidé Guy De Clercq, président du Conseil communautaire de l’aide à lajeunesse (CCAJ). « Mais d’ores et déjà, certaines données nous interpellent. Ainsi, que penser de l’augmentation systématique de ce qu’on appellele ‘stock’ ? Comment interpréter la progression de la judiciarisation et celle des frais de prise en charge ? On constate aussi que les familles d’accueil sont les premiers lieuxd’accueil pour les jeunes, mais sont-elles proches ou éloignées ? Pourquoi 10 % d’entre elles échappent-elles à tout encadrement ? »
Quant à Alberto Mulas, directeur de la Cité de l’enfance à Charleroi, il a tenu à saluer le rapport statistique permettant une « objectivation », tout enplaidant pour un « outil co-produit par l’administration et les acteurs de terrain afin d’introduire de nouvelles variables » et ainsi d’augmenter la pertinence desrésultats. « Il doit devenir un outil d’orientation des politiques publiques. Le secteur est dans un processus de réforme depuis huit ou neuf ans et, durant cesannées, on a parfois eu l’impression que ce n’était pas toujours le bon pilote qui dirigeait la manœuvre. » Le message est clair et fait écho au discoursd’introduction de la ministre Fonck : « Il faut garder du temps pour la réflexion. Ces chiffres vont nous permettre de développer de nouvelles
politiques, mais cen’est pas le lieu pour en débattre aujourd’hui… »
Pas le lieu, pas le jour certes, mais le secteur est visiblement demandeur ! Puisque les chiffres sont censés refléter les dépenses du secteur de l’Aide à lajeunesse, nombre d’intervenants, sur scène ou dans la salle, en ont profité pour relever la disproportion des moyens consacrés à la prise en charge des jeunesauteurs de FQI par rapport aux jeunes en danger. « En termes de proportion, nous sommes dans des moyennes critiquables. Ce n’est pas dans l’air du temps de dire qu’il y abeaucoup plus de jeunes en difficulté et c’est sans doute la raison pour laquelle le politique a essayé de calquer le budget sur les craintes de la population. On a surtoutinvesti dans la prise en charge et la répression de la délinquance, mais cet outil permettra sans doute de réorienter plus équitablement le budget », asuggéré Michel Noël, directeur des Services législation et agrément, évoquant Everberg.
Les différences par arrondissement
Comme l’a rappelé la ministre, les statistiques et l’émotionnel ne font pas toujours bon ménage. Mais les premières peuvent venir au secours de laréalité lorsque le second dérape. Ainsi, les tableaux comparatifs du nombre de jeunes pris en charge en 2006, selon les arrondissements, apportent un éclairageintéressant sur la problématique. Si, en moyenne, il y a 19 jeunes sur 1000 pris en charge par l’Aide à la jeunesse en Communauté française, il y en a 22,2à Charleroi et seulement 9 à Nivelles. Si l’on considère les jeunes en danger uniquement (moyenne de 16 jeunes sur 1000), ils sont 21 à Tournai et 7 àNivelles. Quant aux jeunes ayant commis des FQI, soit 2 jeunes pour 1000 en Communauté française, la moyenne grimpe à 5 à Bruxelles et tombe à 0,4 àNeufchâteau. En croisant les données, on peut remarquer des effets étonnants. Ainsi, dans l’arrondissement de Huy où il y a peu de signalements, le nombre de jeunespris en charge à la suite des FQI est paradoxalement très élevé et proche de celui de Bruxelles, ce qui indique probablement une sévéritéparticulière au niveau de l’instance judiciaire.
À Tournai, Charleroi, Neufchâteau, Marche et Liège, la proportion de jeunes en difficulté ou en danger est particulièrement élevée, mais la partd’aide contrainte est 45% plus élevée à Charleroi qu’à Liège, par exemple. Ces écarts s’expliquent par des philosophies différentesde l’Aide à la jeunesse. Ainsi dans certains arrondissements, lorsqu’un enfant est signalé comme en danger, les autres mineurs de la fratrie seront égalementsignalés à titre préventif. Ces chiffres ne doivent pas viser à « classer » les arrondissements, mais à faire s’interroger les professionnels dusecteur sur leurs pratiques lorsqu’elles s’écartent fortement de la moyenne. Ils devraient aussi nourrir le débat entre les intervenants.
1. L’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse :
– adresse : bd. Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 37 65
– site : www.cfwb.be/oejaj
2. Seuls 2 % des enfants sont considérés comme faisant partie des deux catégories, alors que pour de nombreux intervenants, un enfant ayant commis un FQI devraitsystématiquement être considéré comme étant en difficulté ou en danger.
3. Le « stock » est le terme qui a été employé pour désigner le nombre de jeunes pris en charge à un moment donné. Plus les jeunes restentlongtemps dans le système, plus le stock grossit, par définition.