Omezzine Khélifa a vu la révolution depuis Paris. Elle a tout quitté pour revenir en Tunisie et s’engager à reconstruire la vie citoyenne de son pays. Elle estdésormais candidate aux élections du 23 octobre qui permettront d’élire l’assemblée constituante. Portrait.
Le ministère de l’Intérieur tunisien est entouré de barbelés. Le bâtiment, protégé de la population, est l’une des rares tracesvisibles d’une révolution toujours en cours. Un lieu qui représente la brutalité de l’ancien régime. Toutes sortes d’uniformes s’y croisent. Les militaires, biensûr, qui montent la garde. Des policiers tout de bleu vêtus font la circulation. On voit aussi quelques uniformes noirs, reflets des sombres desseins qui animaient ces « forcesde sécurité ».
C’est là qu’Omezzine Khélifa nous a donné rendez-vous. Cette jeune Tunisienne de 27 ans, rayonnante et enthousiaste, est l’antithèse de la violence des années dedictature. Elle qui n’a pas vécu la révolution du 14 janvier s’investit à fond dans la vie démocratique. Elle se présente aux élections de l’assembléeconstituante, à Tunis. En tant que quatrième de liste, elle a conscience de n’avoir que des chances « minimes » d’être élue, mais elle participechaque jour, rencontre les Tunisiens, fait du porte-à-porte et se lance à bride abattue dans la campagne.
Ses habits rouges sont aux couleurs de son parti, Ettakatol, un parti social-démocrate de centre gauche. Alors qu’on évoque souvent ces Tunisiens qui quittent leur pays pour une viequ’ils espèrent meilleure en Europe, Omezzine a suivi le chemin inverse. Après dix années passées en France, elle décide de tout quitter, laissant derrièreelle son emploi à la Société Générale, son « cocon douillet » et son mari, qui la soutient depuis Paris. « Mon plus grand regret,dit-elle, c’est de n’avoir pas été présente le 14 janvier. On faisait des manifestations à Paris, ça bougeait de partout, mais ça ne me suffisait pas. Je nepouvais plus continuer mon petit train-train. Je ne pouvais pas rester indifférente au sort du pays. » La frustration d’avoir manqué quelque chose a pu être en partiecomblée par sa participation aux « Casbah 1 et 2 ». Ces manifestations monstres qui firent tomber les premiers gouvernements provisoires encore infestés dereliquats de l’ancien régime.
« Notre devoir était de montrer la brutalité policière »
Entre son diplôme d’ingénieure en informatique et télécommunications obtenu à Grenoble, son travail dans la finance et la candidature aux électionstunisiennes, il y a un fossé qu’elle a décidé de franchir. Le grand saut. « Mais l’engagement politique n’est que la fin d’un processus », tient-elleà préciser.
Avant de s’inscrire en politique, Omezzine a dû faire sa propre révolution. « C’est en décembre 2010 que ma façon de voir les choses a radicalementchangé, explique-t-elle. Je fais partie des jeunes qui, pendant la dictature, ont pris une grosse claque devant le rap d’ « El General » qui disait qu’il irait à la potence etdénonçait les conditions de vie en Tunisie. On s’est ensuite organisés pour partager un maximum de vidéos sur Internet. Nous trouvions tous que c’était notre devoirde montrer la brutalité policière. » Une fois en Tunisie, c’est vers le monde associatif qu’Omezzine s’est tournée. « Je sentais qu’un éveil citoyendevait se faire. On avait un devoir patriotique de contribuer à la démocratie. » Elle participe alors à la création de plusieurs associations dont« Le pacte tunisien » qui a rallié à sa cause 7 000 signataires. Ce pacte réunissait toutes les bonnes volontés prêtes à s’unirpour la démocratie : « L’idée était que tous les signataires proposent de mettre leurs compétences au service du pays. »
C’est en mai qu’elle décide de gravir un échelon supplémentaire dans l’engagement en rejoignant le parti Ettakatol. Omezzine défend son camp :« Ettakatol est un parti qui évolue, qui passe de parti de résistance à parti de projet. On milite pour la justice sociale, l’égalité des chances,l’égal accès aux soins, à un logement décent. » Son rôle dans le parti n’est pas accessoire. Omezzine Khélifa est responsable de la campagneporte-à-porte, « seule manière d’humaniser les politiciens en expliquant l’engagement, en plaçant le citoyen au centre », s’enthousiasme-t-elle.
Même si elle constate la méfiance profonde des jeunes à l’égard des partis, elle a l’optimisme chevillé au corps : « Je suis optimiste, car on vacontinuer la lutte pour instaurer une réelle démocratie. Cela va prendre du temps, car il faut reconstruire la citoyenneté. Cela prendre peut-être unegénération, mais ça marchera. »