Pour certains locataires, une facture d’électricité est aussi incompréhensible qu’un manuscrit chinois. À Bruxelles, les accompagnateurs énergie de la Fédération des services sociaux aident les plus précarisés à déchiffrer leur consommation pour mieux la maîtriser. Mais l’exercice a ses limites, liées à la réalité d’un marché locatif très inégalitaire.
Quand nous entrons chez Christian, la télévision est allumée. Il l’éteint aussitôt. C’est la règle : un appareil électrique que l’on n’utilise pas dans l’immédiat doit être coupé. Plus question non plus de laisser l’ordinateur veiller du matin au soir.
Christian, locataire à Molenbeek, a bien intégré tous les conseils que lui ont donnés les accompagnateurs du service énergie de la Fédération des services sociaux (FdSS). Il est très fier de présenter ses relevés d’index à Mélanie qui suit l’évolution de sa consommation de gaz, d’électricité et d’eau. Elle lui a apporté les graphiques de sa consommation mensuelle en eau et en électricité. Ensemble, ils examinent les écarts par rapport à la norme qui a été établie sur base notamment des caractéristiques de son logement. Depuis août, le nombre de kWh a sérieusement baissé. On sent une certaine fierté chez Christian qui accepte avec plaisir le papier transparent devant recouvrir les fenêtres mal isolées de sa chambre. Mais il a déjà pris l’initiative de suspendre des tentures, de fermer systématiquement les portes pour couper l’air froid qui vient du couloir. Le thermostat est bloqué à 19 degrés dans la pièce de séjour. À 17 dans la chambre. Et tous ces gestes se révèlent payants. Ses factures intermédiaires de gaz et d’électricité sont passées de 198 euros par mois à 130 puis à 70 euros. « Je suis désormais remboursé au lieu de devoir payer une facture de régularisation, jubile-t-il. C’est vraiment encourageant. »
C’est la première facture de régularisation d’un montant de 300 euros reçue après son aménagement à Molenbeek qui a fait le déclic. C’était trop. Trop pour ses revenus qui ont sérieusement baissé lors de sa mise à la prépension. Une assistante sociale l’a orienté vers le service énergie de la FdSS. « Ils m’ont appris à faire toute une série de petits gestes pour réduire ma consommation. J’ai un peu froid le soir ? Je mets un peignoir. Quand je travaillais, je me promenais en plein hiver en T-shirt et en slip dans mon appartement à Etterbeek. Je ne faisais pas attention à ma consommation énergétique. Je payais pourtant 320 euros par mois, avec des factures de régularisation qui pouvaient monter jusqu’à 500 euros. Aujourd’hui, j’ai découvert les lampes économiques. J’ai cessé de laisser couler l’eau en continu quand je lave une assiette. Je fais un relevé de mes index tous les quinze jours. Je prends tout cela très au sérieux. » Au point de vouloir aussi convaincre ses proches de la nécessité de changer de comportement. « Je deviens un accompagnateur énergie adjoint », dit-il en rigolant.
Christian est à ce point méthodique qu’il a décidé de livrer bataille contre sa surconsommation en trois étapes. « L’année passée, j’ai ciblé le gaz. Cette année, l’électricité, l’année prochaine sera l’eau. » Mais le bon élève a aussi des gestes de rébellion. On a tenté de le convaincre d’utiliser un pommeau de douche économique. Ce sera non. L’eau coule trop lentement pour lui. « Cela me met juste en forme pour me remettre au lit. »
Cela fait rire Mélanie. Christian, il est vrai, est un « cas » encourageant et pas trop compliqué car lui, au moins, n’a pas de problème avec son propriétaire. Le frigo consommait trop ? Il a été remplacé. Christian laissait ses convecteurs de gaz allumés en plein été parce qu’ils étaient difficiles à allumer et à éteindre ? Le propriétaire est aussi intervenu. Cette bonne volonté est malheureusement loin d’être la règle.
La facture qui provoque le déclic
Le service énergie est composé de cinq accompagnateurs et d’un coordinateur qui travaillent en relation directe avec les services sociaux partenaires de la Fédération. Il a accompagné l’année dernière 218 ménages bruxellois, des locataires dans la toute grande majorité des cas. « Notre rôle est d’aider les gens à réduire leur consommation en énergie mais ce qui entrave leurs efforts, c’est souvent l’état du logement et les relations difficiles avec le propriétaire », analyse Mélanie. Que faire si le problème de surconsommation s’explique par une chaudière qui fonctionne mal et que le propriétaire ne veut pas la remplacer ? Pas grand-chose. On atteint là les limites de l’intervention des accompagnateurs énergie qui en sont bien conscients. Jessica ajoute : « Nous devons obtenir la confiance des gens et partir de leurs demandes. S’ils refusent que les assistants sociaux interviennent auprès du propriétaire, nous devons l’accepter. »
Et c’est fréquent. Il s’agit souvent de locataires très précarisés qui craignent avant tout de perdre leur logement s’ils devaient se montrer trop revendicatifs. « Nous essayons avant tout que les ménages se réapproprient la maîtrise de leur consommation en énergie, poursuit Mélanie. Pour ce faire, il faut parfois apprendre des gestes élémentaires : savoir où se trouvent les compteurs, pouvoir relever les index, utiliser des ampoules économiques. »
C’est un lent travail de conscientisation pour changer les comportements et qui suppose, pour être efficace, de pouvoir toucher tous les membres du ménage. Pas seulement celui qui paie la facture. Ce sont souvent les adolescents qui sont les plus difficiles à convaincre. L’élément déclencheur est toujours d’ordre financier, constate l’équipe d’accompagnateurs. « La grosse facture, celle que l’on n’arrivera pas ou difficilement à payer est le point d’entrée pour un travail en profondeur sur les comportements. »
Celui-ci se heurte à la réalité du marché locatif à Bruxelles, avec des propriétaires parfois aussi démunis que leurs locataires quand ils ne sont pas absents du pays. Mais les sociétés de logement social ne sont pas toujours non plus un modèle de concertation pour œuvrer dans le sens du bien-être du locataire. Jessica se débat actuellement dans un dossier où les locataires vivent avec des températures de 12 degrés à peine dans leur appartement. Et rien ne bouge au niveau de la société concernée pour faire les travaux nécessaires. Les locataires finissent par s’épuiser et se résigner.
Les accompagnateurs voient parfois leurs efforts ruinés par les comportements de certains démarcheurs agissant au nom des fournisseurs d’énergie. Cela frise l’escroquerie, estime le service énergie : « Des personnes se laissent embobiner par des démarcheurs qui leur proposent de changer de compagnie pour payer moins. On leur fait miroiter un montant de facture intermédiaire très, trop bas. Et la mauvaise surprise viendra un an plus tard, lors de la facture de régularisation. Ces démarcheurs ciblent les quartiers habités par des personnes d’origine étrangère qui maîtrisent mal le français et ne comprennent pas ce qu’elles signent. »
Comprendre sa facture. C’est la première étape et elle est essentielle, insistent les accompagnateurs. Comprendre pour reprendre le contrôle. Cela demande du temps, de nombreuses visites à domicile et, parfois, un accompagnement en profondeur avec les services sociaux partenaires. La précarité énergétique n’est qu’un des aspects de la précarité tout court, qui laisse souvent peu de marge de manœuvre.
En savoir plus
Fédération des services sociaux (FdSS) :
– adresse : rue Gheude, 49 à 1070 Bruxelles
– tél. : 02 223 37 74
– courriel : info@fdss.be
– site : http://www.fdss.be