Alter Échos: Infiniment confinés, c’est le thème de ces journées. Plus que jamais, les personnes détenues sont l’angle mort des politiques. Il n’y a jamais eu un mot à l’égard des détenus comme du personnel pénitentiaire lors de la dizaine de conseils de sécurité liés à la crise sanitaire.
Mélanie Bertrand: Tout à fait. Ce sentiment d’abandon s’accentue même ces derniers temps avec un second confinement encore plus dur pour les personnes détenues. En prison, entre mai et octobre, il n’y a jamais vraiment eu de déconfinement… Tout était cadenassé pour les détenus et leurs proches. Les visites ont mis beaucoup de temps pour reprendre, et quand elles ont recommencé, c’était avec des conditions très strictes et pas toujours faciles à vivre. Dès qu’il y avait une petite évolution dans le quotidien des détenus, cela s’accompagnait, quelques jours après, de grèves d’agents craignant pour les conditions sanitaires. Tout le monde a vécu très difficilement cette période. Le poids psychologique de la crise se fait toujours plus ressentir et ce ne sera plus tenable encore très longtemps… Imposer des mesures strictes en refusant les visites, en limitant les activités, en empêchant les différents services de continuer leurs activités ne peut pas être une réponse sur le long terme même pour des motifs sanitaires. Personne n’y gagne! Avoir ce lien avec l’extérieur est essentiel, c’est ce qui permet de rester en lien avec la société. On a beaucoup de témoignages qui indiquent une dégradation de la santé mentale de nombreux détenus. Ce n’est pas une surprise, quand on voit que c’est le cas aussi dans la société avec les confinements successifs et cette mise en suspens de nos rapports sociaux.
Dans ce contexte, c’était d’autant plus important de mettre en place ces journées afin de mettre l’accent sur cette situation, complètement passée sous silence dans les médias et auprès des autorités. D’autant plus que les déclarations du nouveau ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), paraissent inquiétantes, puisqu’on parle de la préparation d’une loi «corona» qui proposerait des mesures très dures, avec une annulation des congés pénitentiaires jusqu’à fin mars, par exemple. C’est vraiment étonnant, alors que lors du premier confinement, le message était totalement différent avec une politique qui visait à faire baisser la population carcérale, en recourant à ces congés pénitentiaires. Une politique qui a permis d’éviter une crise sanitaire dans les établissements et qui n’a pas eu d’effets négatifs dans la société. On est revenu, en pleine seconde vague, à un taux de surpopulation assez élevé.
«Les différences d’un établissement à un autre se sont creusées. Il y a des prisons qui essaient de préserver un peu plus, un peu mieux les droits des détenus, et d’autres où l’institution devient encore plus écrasante, casse encore plus certaines libertés qui, normalement, restaient maintenues dans ce milieu clos.»
AÉ: On constate, on en parlait au sujet des congés pénitentiaires, un rapport sécuritaire plus fort ces derniers mois, avec pour conséquence une perte des droits des détenus, perte justifiée par la crise sanitaire…
MB: À ce niveau, même si elles ont toujours existé, les différences d’un établissement à un autre se sont creusées. Il y a des prisons qui essaient de préserver un peu plus, un peu mieux les droits des détenus, et d’autres où l’institution devient encore plus écrasante, casse encore plus certaines libertés qui, normalement, restaient maintenues dans ce milieu clos.
Dans le cadre des «Prison Walk» qui sont organisées pour les Journées nationales des prisons, on a recueilli le témoignage d’un ancien détenu qui a fait une assez longue peine de prison et qui a été libéré en septembre dernier. Il a vécu le premier confinement et le déconfinement. Son constat est tout à fait lucide sur la réduction des libertés et le poids de l’institution qui, par moment, notamment en période de crise, peut devenir «totalitaire»… Il évoque aussi la rupture des contacts sociaux et la brutalité avec laquelle tout cela est arrivé, sans explication, sans information, sans perspective. Avec un sentiment profond d’impuissance.
AÉ: Et au niveau des associations actives en prison, ce lien a-t-il aussi été tout à fait rompu durant les confinements?
MB: Cela a été variable en fonction des secteurs comme des établissements. Lors du premier confinement, tout a été réorganisé au niveau de l’administration pénitentiaire et, c’est normal, tout fonctionnait au jour le jour. Il y a eu des périodes où les services comme les nôtres n’étaient pas du tout informés de ce qui était encore permis ou pas. Il y a eu parfois de l’incompréhension, sentiment renforcé par le fait que tout le monde n’avait la même lecture des directives. D’un établissement à un autre, certaines directions ont eu l’impression que les services ne venaient plus, les avaient un peu abandonnés, mais dans le même temps, certains services ne pouvaient plus se déplacer parce qu’ils n’avaient pas l’autorisation de leur administration pour le faire… Il a fallu trouver un nouveau rythme et être le plus pragmatique possible. Certains ont mis en place des numéros verts pour conserver le contact avec les détenus. Des brochures et affiches ont été réalisées pour donner toutes les informations nécessaires sur les mesures sanitaires. D’autres services ont recueilli les messages destinés aux proches des détenus afin de faire le lien. Actuellement, les services d’aide aux détenus peuvent retourner en prison, mais tout peut être chamboulé d’un jour à l’autre, si un nombre important d’agents est malade ou si une aile est placée en quarantaine. Raison pour laquelle il y a une réelle réflexion au niveau des services, vu la durée de la crise sanitaire, pour repenser les activités et soutenir au mieux les détenus. À notre niveau, en lançant notre deuxième édition de notre concours d’écriture «Libre d’écrire» en octobre dernier, on a constaté une très grande adhésion de l’administration pénitentiaire par rapport à notre démarche et une plus forte participation de détenus parce qu’il n’y a pas d’autres activités proposées pour l’instant. Ce n’est pas toujours pour le concours en lui-même que le détenu participe, parfois c’est simplement pour lui l’occasion de parler, de se confier sur sa situation… Beaucoup nous disent que c’est un moyen de s’évader.
«On a beaucoup de témoignages qui indiquent une dégradation de la santé mentale de nombreux détenus. Ce n’est pas une surprise, quand on voit que c’est le cas aussi dans la société avec les confinements successifs et cette mise en suspens de nos rapports sociaux.»
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À relire: «La fièvre des prisons», Alter Échos n°483, avril 2020, Pierre Jassogne.