La prévention générale sera réformée. Evelyne Huytebroeck propose de recentrer la prévention sur l’Aide à la jeunesse. Ce qui divise le secteur. Mais surprise, d’autres modifications qui ne concernent pas la prévention devraient être intégrées. Ce qui augure de bonnes prises de bec.
La réforme des CAAJ, c’est parti ! Et cette fois, c’est peut-être la bonne. La ministre de l’Aide à la jeunesse, Evelyne Huytebroeck (Ecolo) fait circuler dans le secteur sa proposition de réforme.
Les Conseils d’arrondissement de l’Aide à la jeunesse avaient déjà fait l’objet des velléités réformatrices de la précédente ministre, Catherine Fonck (CDH). Mais cette réforme, conçue sans concertation et en fin de législature, fut vite mise de côté. En 2010, le Conseil communautaire de l’Aide à la jeunesse (CCAJ) remettait l’idée d’une réforme sur le tapis. L’instance d’avis du secteur avait planché sur la question, via un groupe de travail.
Mais pourquoi faut-il réformer ces conseils ? A cela plusieurs raisons. Les CAAJ sont généralement présentés comme des instances un peu fourre-tout qui dysfonctionnent. On y regroupe des individus de différents secteurs pour parler de « prévention générale » et, éventuellement, mettre en place des actions de prévention à destination des jeunes. L’idée est de croiser les regards entre secteurs, de dégager les tendances locales, propres à chaque arrondissement, de mettre en lumière les problématiques récurrentes qui nécessiteraient une action de prévention. Mais concrètement, le fonctionnement de ces Conseils est soumis à la bonne volonté de leurs participants. Les discussions s’enlisent bien souvent sur l’examen de situations individuelles. Beaucoup se désintéressent des débats, parfois rebutés par le jargon indéchiffrable de l’Aide à la jeunesse.
Définition de l’avis 50 — communément admis — du CCAJ
« Tout projet d’actions de prévention générale a pour objet de répondre aux diverses violences s’exerçant au quotidien sur les populations touchées par une situation économique, sociale et/ou culturelle précaire. La prévention générale menée dans le secteur de l’Aide à la jeunesse vise à réduire la quantité globale de ces violences, qu’elles soient intrafamiliales, institutionnelles, relationnelles ou symboliques et à éviter que les réactions des jeunes à ces violences quotidiennes n’appellent en retour à de nouvelles violences. »
Proposition de définition de la ministre intégrée, dans un « principe n° 21 » du décret de l’Aide à la jeunesse :
Prévention générale : l’ensemble des actions menées tant au niveau local que communautaire par le secteur de l’Aide à la jeunesse en concertation et en collaboration avec les autres secteurs visant à répondre de façon structurelle aux phénomènes sociaux identifiés comme des facteurs de risque ou d’exclusion des jeunes et de leur famille pouvant entraîner à terme l’intervention de l’aide spécialisée. »
« Un acte de foi »
La ministre propose sa vision de ce que devraient être les CAAJ. Et, à travers cette vision, elle nous livre son regard sur la « prévention générale ». Bénédicte Hendrick, conseillère au cabinet d’Evelyne Huytebroeck1 parle même d’un « acte de foi », avant d’en dire plus : « Nous sommes convaincus que le travail des CAAJ sera plus efficace. » C’est Alain Lising, toujours du cabinet de la ministre, qui nous explique cette nouvelle architecture et ce souci d’efficacité : « Nous voulons à la fois recentrer les actions de prévention sur l’Aide à la jeunesse et favoriser le travail intersectoriel. Nous faisons donc le choix d’un conseil resserré sur le secteur de l’Aide à la jeunesse. »
La transversalité, à partir des CAAJ, sera à l’honneur dans des commissions intersectorielles bilatérales. L’une avec les CPAS. L’autre avec le secteur de l’enseignement. Une troisième commission devra être mise sur pied, dont le thème de travail pourra être choisi parmi les suivants : santé mentale, handicap, petite enfance, jeunesse, mineurs étrangers non accompagnés. Enfin, d’autres commissions, facultatives cette fois, peuvent être créées en fonction des besoins de chaque conseil d’arrondissement. « On vise des commissions qui se spécialisent sur des thématiques, avec des gens qui ont des expertises. On imagine que les gens seront plus intéressés. Car à l’heure actuelle, les thèmes abordés sont très généraux. On observe de nombreuses défections dans les CAAJ », déclare Alain Lising.
Les nouveaux CAAJ seraient donc des structures composées presque exclusivement de représentants du secteur de l’Aide à la jeunesse. Ils auraient pour mission d’élaborer un diagnostic social, un plan d’action puis de le mettre en œuvre et de l’évaluer.
A cette nouvelle architecture s’ajoute une nouvelle définition de la prévention. Un grand objectif de la prévention serait désormais d’éviter que les mineurs se retrouvent dans les circuits de l’Aide à la jeunesse (cfr encadré).
Là encore, l’objectif d’efficacité et de recentrage sur l’Aide à la jeunesse est manifeste. « Nous voulons que la prévention générale évite l’intervention de l’aide spécialisée. La nouvelle composition des CAAJ que nous proposons est cohérente avec cette définition », affirme Alain Lising. En gros, la prévention descendrait de ses hautes sphères un peu vaporeuses et abstraites pour s’ancrer dans le concret. C’est ce que décrit Bénédicte Hendrick : « Cette définition permet d’avoir des indicateurs concrets pour les interventions du CAAJ. On veut donner des outils, des indications claires aux CAAJ pour qu’ils construisent leur plan d’action sur base triennale. Pour que les Conseils retrouvent du dynamisme, il faut les aider à voir en quoi ils participent à la prévention et voir si les actions entreprises ont des effets. » « Le CCAJ lui-même, dans son avis 77, estimait que sa définition était peu opérationnelle et trop intellectualisante », justifie Alain Lising.
Un secteur divisé
Le projet de la ministre de l’Aide à la jeunesse n’échappe pas à la loi d’airain de toute réforme : elle engendre son lot de mécontents (et de satisfaits).
Pour l’instant, l’Interfédération de l’Aide à la jeunesse2 consulte. « Il n’y a pas d’avis global à donner », explique Thierry Dufour, son président. Et ce, pour une simple et bonne raison, « les réalités locales sont très différentes. Dans certains arrondissements, le travail des CAAJ avec les autres secteurs était assez solide. Ils regrettent donc ce recentrage. L’inverse est aussi vrai. » A Liège, par exemple, Geneviève Kinnen, présidente du CAAJ3 accueille avec enthousiasme ce projet de réforme : « Dans les CAAJ, il y a des acteurs qui ne connaissent rien à l’Aide à la jeunesse. Le recentrage est une bonne chose. La nouvelle mouture des CAAJ pourrait être beaucoup plus dynamique car au moins, les gens sauront de quoi ils parlent. »
A Bruxelles, on apprécie aussi ce recentrage, qui revient sur l’illusion que « l’Aide à la jeunesse pouvait prendre en charge l’ensemble de la prévention générale ». C’est ce qu’affirme Xavier Verstappen, le président du CAAJ4 tout en regrettant que la définition proposée par la ministre ne s’appuie pas sur l’avis 50 du CCAJ.
L’opinion est encore plus nuancée à Marche-en-Famenne. Pour Jean-Claude Noël, qui représente le CAAJ5, « le fait d’inscrire l’action des CAAJ sur trois ans est positif car cela donne à l’action un caractère plus réfléchi, plus construit ». Côté « points négatifs », Jean-Claude Noël, à l’instar d’autres représentants du secteur, pointe la définition de la prévention : « Nous sommes circonspects car la prévention était définie par l’avis 50 du CCAJ (cfr encadré). La définition proposée vise à éviter les prises en charge. Nous préférons une définition positive, où la prévention vise à solutionner des difficultés. La baisse du nombre de prises en charge dans les services spécialisés de l’Aide à la jeunesse devrait être vue comme une conséquence des actions de prévention et non comme l’objectif à atteindre. »
Quant à la nouvelle composition des CAAJ, elle ne suscite pas l’enthousiasme du représentant du conseil de Marche : « Un des atouts des CAAJ est de proposer des regards croisés sur certaines problématiques. C’est un lieu de rencontre entre secteurs. Avec un CAAJ recentré, on perd un peu l’âme de cette institution. »
D’autres se font plus acerbes. Un responsable de Fédération, qui préfère garder l’anonymat, voit dans ce projet une « mutation », une « tentative de l’administration et des politiques de reprendre le contrôle ». Sans aller aussi loin, Jean-François Servais, du Service droit des jeunes Liège6 et ancien président de la Fédération des institutions de prévention éducative, dénonce une définition « managériale » de la prévention. Il s’interroge sur l’objectif d’éviter l’intervention de l’aide spécialisée, « comme si l’objectif de la prévention générale était d’éviter l’engorgement des services ». Ce qu’il aurait souhaité : « Une définition plus globale, qui impliquerait toute la Fédération Wallonie-Bruxelles autour du même objectif de prévention générale et pas seulement l’Aide à la jeunesse. » Car ce recentrage équivaut pour Jean-François Servais à « un repli sur soi ».
Le groupe du travail du CCAJ7 avait proposé une tout autre architecture pour le secteur de la prévention générale (création d’une nouvelle plate-forme de concertation du secteur de l’Aide à la jeunesse et CAAJ devenant le lieu central de la transversalité). Chez Guy De Clercq, son président, on sent poindre la déception. Mais il se confiera peu, car son institution « prépare un avis pour avril ». Il rappelle cependant que « le modèle qu’avait proposé le groupe de travail du CCAJ avait sa cohérence et donnait priorité au CAAJ dans l’intersectorialité. » Comprenez par là que la ministre ne l’a pas suivi.
Suite et pas fin
Les discussions vont se poursuivre en avril. Lorsque les Fédérations et autres CCAJ auront remis leurs avis. Mais il ne faut pas s’attendre à des changements majeurs dans le texte proposé par la ministre. C’est ce que nous avouait Alain Lising : « Nous n’allons pas changer d’avis sur les options lourdes. Mais s’il y a des propositions d’amélioration, elles sont les bienvenues. » Quant aux délais, ils sont serrés. Le conseiller le rappelle : « Les actuels membres des CAAJ terminent leur mandat en 2012. Il faut donc que le décret soit changé avant la fin de l’année. Pour que les nouveaux CAAJ prennent place début 2013. »
Début janvier, lorsque la proposition de réforme du décret se mit à circuler, une partie du secteur de l’Aide à la jeunesse a bien failli s’étrangler.
Car le texte leur réservait des surprises. La prévention générale allait être réformée ; ça, tout le monde le savait. Mais au menu des changements figuraient bien d’autres choses, sans lien avec la prévention. Voici quelques exemples. Le secteur se voit affublé du qualificatif « d’apprenant ». Chaque service devra « s’auto-évaluer » tous les deux ans. Le décret sera lui-même évalué tous les cinq ans. La participation des bénéficiaires est réaffirmée. La mission des conseillers de l’Aide à la jeunesse est « étoffée ». L’innovation devient un principe fondateur. Quant au conseil sectoriel de l’accueil familial, il devrait être supprimé.
L’ensemble des acteurs que nous avons contactés partage la même indignation : Pourquoi ces changements ? Tous regrettent l’absence d’exposé des motifs. Ils se retrouvent devant le fait accompli à scruter des changements de texte article par article et s’interrogent sur les objectifs poursuivis.
Quant au fond des changements, beaucoup voient avec méfiance l’utilisation du terme « apprenant », emprunté au secteur marchand. Peut-on voir en creux, dans l’utilisation de ce terme, une critique du secteur qui, justement, ne serait pas assez « apprenant » ? Le monde de l’Aide à la jeunesse se sent infantilisé et estime être déjà « apprenant ». Quant à l’auto-évaluation, elle suscite aussi beaucoup de débats. Comment s’auto-évaluer tous les deux ans ? Sur quelle base ?
Quelques éléments de réponse nous sont livrés par Alain Lising, le conseiller de la ministre. S’il estime avoir formellement informé le CCAJ et l’Interfédération de l’intention de la ministre d’insérer des changements dans le décret, il concède que « plus de temps aurait pu être consacré aux explications ».
Le conseiller est néanmoins « étonné que le secteur s’étonne ». Il explique : « Avec ces changements, on formalise une série de principes et on les rend obligatoires. Prenons l’innovation, par exemple. Cela fait deux ans que nous orientons le secteur vers l’innovation. L’inscrire dans le décret n’est pas une surprise. De même avec la participation des bénéficiaires. Nous traduisons dans le décret un principe de la Convention internationale des droits de l’enfant. Quant à l’idée de faire de l’Aide à la jeunesse un “secteur apprenant”, il s’agit de mettre en place une série de principes. L’innovation, l’expérimentation et l’évaluation. On dit « le secteur en tient compte, il évalue, il s’adapte ». L’évaluation se fera sur base des principes énoncés dans le décret. Nous avons fêté les 20 ans du décret mais on ne l’a jamais évalué. L’idée est de répondre à la question : répond-on vraiment aux objectifs définis en ’91 ? Il y aura donc des auto-évaluations au moins tous les deux ans et une évaluation du décret tous les cinq ans. Nous mettons simplement des balises. Les arrêtés d’exécution éclairciront les doutes. »
1. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : place Surlet de Choquier, 15-17 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 227 32 11
– site : http://evelyne.huytebroeck.be/
2. Interfédération de l’Aide à la jeunesse :
– adresse : chaussée de Boendael, 6 à 1050 Bruxelles
– tél. : 0495889669
– courriel : interaaj@gmail.com
3. CAAJ de Liège:
– adresse : place Xavier Neujean, 1à 4000 Liège
– tél. : 04 220 67 43
– courriel : genevieve.kinnen@cfwb.be
4. CAAJ de Bruxelles :
– adresse : rue du commerce, 68 A à 1040 Bruxelles
– tél. : 02 413 20 74
5. CAAJ de Marche:
– adresse : avenue de la toison d’or, 94 à 6900 Marche
– tél. : 084 24 49 20
6. SDJ :
– adresse : rue Lambert de Bègue, 23 à 4000 Liège
– tél. : 04 222 91 20
– courriel : liege@sdj.be
7. CCAJ :
– adresse : boulevard Léopold II, 44 à 1080 Bruxelles
– tél. : 02 413 41 88
– site : http://www.ccaj.cfwb.be