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Regard critique · Justice sociale

Oser le part’âges d’habitats ? Pas si simple

Une journée de rencontres et d’échanges sur la thématique des habitats intergénérationnels a montré que ce type d’habitat n’est pas forcémentévident à mettre en œuvre.

29-10-2010 Alter Échos n° 304

Le vendredi 1er octobre 2010, s’est tenue à l’Abbaye de Saint Denis (Obourg), une journée de rencontres et d’échanges sur la thématique deshabitats intergénérationnels. Organisée conjointement par l’asbl Habitat et participation 1, l’UCP, mouvement social des aînés 2,et la Ligue des familles 3, cette journée a montré que l’habitat intergénérationnel est sans doute une réponse parmi d’autres, quin’est pas forcément évidente à mettre en œuvre, étant donné les pièges et écueils d’un système peu adapté à cetype de projets, et qui doit être prônée avec discernement, notamment par les opérateurs institutionnels.

Alors que les exemples de Gated Communities, ou quartiers résidentiels enclos et sécurisés, réservés à des communautéshomogènes, notamment en fonction du critère d’âge, sont bien implantés aux Etats-Unis et tendent à essaimer sur le Vieux Continent, rassemblant des seniorsdésireux de vivre dans un environnement préservé qui leur est dédié, un certain nombre de projets mettent plutôt en avant la nécessité etl’intérêt de rassembler les générations sous un même toit ou dans un même complexe de logements, de façon à restaurer les solidaritéset favoriser les échanges « gagnant-gagnant ».

Habitat groupé, partagé, kangourou… Chacune de ces formules d’habitat intergénérationnel présente des caractéristiques propres, maiselles reposent toutes sur le principe d’un partage et d’une mutualisation des espaces de vie, tout comme des ressources inhérentes à chaque génération afin deconstruire des relations de vie qui réconcilieraient les âges. Est-ce à dire qu’elles sont dans les faits une solution aux problèmes de logement que peuventaujourd’hui rencontrer les aînés, en interaction avec les besoins d’autres catégories comme les familles avec enfants, les ménages monoparentaux, les personnesisolées ou en décrochage social ? Faut-il mettre l’intergénérationnel au devant de la scène comme la solution miracle, permettant la rencontre desbesoins de chacun et de tous ? C’est sans doute la question que se posaient les nombreux aînés venus assister aux présentations et autres ateliers qui ontjalonné cette journée de réflexion.

Un public curieux et en recherche d’infos

Comme l’a relevé Anne Jaumotte (UCP), « il est clair que le public présent était avant tout à la recherche d’explications à propos del’habitat intergénérationnel, désireux sans doute de trouver des alternatives au trajet trop souvent tracé qui va de la maison unifamiliale devenue trop grande etinadaptée à l’entrée en maison de repos. Cela ne veut pas dire qu’ils ont tous été conquis par ce modèle qui nécessite une mobilisationimportante et un investissement en temps, mais ils étaient curieux d’en savoir plus » 4. Des explications, en ont-ils trouvé en suffisance ? Pasforcément car, sans doute, comme le relevait David Mignolet, d’Habitat et participation, « la journée a-t-elle manqué de balises pédagogiques, surtout enmatinée, concernant les formes d’habitat intergénérationnel et leurs conditions de possibilité. »

Cela étant, des constats ont d’emblée été dressés en matière de démographie et de vieillissement important de la population ou encore enmatière de parcours résidentiel chez les plus de 55 ans 5. En matière de logement et plus largement d’aménagement du territoire, il a étérelevé que le modèle jusqu’ici en vigueur de la villa quatre façades, occupée par un ménage composé d’une cellule familiale restreinte et sedéplaçant dans son véhicule personnel, pourrait bien avoir vécu, même s’il reste profondément ancré dans nos schémas de vie. En effet, bonnombre de ces villas sont aujourd’hui sous-occupées par des personnes âgées, isolées, de moins en moins capables de gérer de telles infrastructures, maisnéanmoins attachées à leur lieu de vie tout en étant peu désireuses de le partager. Par ailleurs, des jeunes ménages avec enfants sont clairement à larecherche de ce type de biens, sans pour autant en avoir les moyens, ce qui pose la question de l’adéquation sur le long terme d’un tel mode d’habitat. Un même constatpeut également être transposé au secteur du logement social où des logements trop grands restent encore trop souvent (sous-)occupés par des personnesâgées attachées à leur lieu de vie, quelque part au détriment de ménages avec enfants qui peinent à trouver un toit adapté à leursbesoins, faute de disponibilités dans le parc immobilier social.

Des exemples qui interrogent

Le décor ainsi posé, la matinée a été consacrée à la présentation, tantôt par des films, tantôt par des témoignagesdirects, de plusieurs exemples de mise en œuvre d’habitat intergénérationnel. Trois initiatives menées par des porteurs de projets issus d’horizons multiples,et initiées à des époques différentes, qui finalement témoignaient de la diversité des formules et probablement aussi des difficultésengendrées par de tels dispositifs (voir encadré).

Des expériences concrètes

De l’expérience vécue au sein de la maison communautaire « la Verte voie » à Thimister (www.dbao.be), initiée dans les années 70 parsept jeunes couples et amis désireux de s’engager dans la voie de l’habitat groupé couplé à un lieu d’animation socioculturelle, on peut retenir quecette initiative correspondait à un souhait de vie communautaire et à des idées alternatives partagées pendant un certain nombre d’années par les personnesà la base du projet. Solidarité, transmission des savoirs, apprentissage de la vie en commun, bénévolat sont quelques-unes des valeurs qui ressortent clairement de cetteexpérience de vie, tout autant que la difficulté de mener un tel projet dans le temps. En effet, au gré des départs et des arrivées d’un projet initiéil y a plus de 35 ans, ne réside finalement plus qu’un seul des couples présents à l’origine, lequel rencontre bien des difficultés à conserverl’esprit de
départ, du fait de locataires davantage à la recherche d’un logement temporaire et bon marché que d’un lieu de vie pérenne et axé surune mise en commun.

Autre expérience : celle du Clos Roger Thiéry, menée par le CPAS de Linkebeek désireux de créer du logement social intergénérationnel. Leprojet imaginé en 1995, puis enterré, réactivé en 2004 et finalement réalisé fin 2006, comprend dix habitations moyennes de deux et trois chambres,destinées à des jeunes couples, ainsi que douze appartements sociaux pour personnes âgées (dont six réservées à des personnes à mobilitéréduite). Les architectes en charge du projet, Pierre Lenders et Antoinette Defay, présents lors de la journée ont relaté les difficultés qui ontémergé lors de la mise en œuvre du programme ainsi déterminé, notamment en raison de la méfiance des habitants de la commune vis-à-vis d’unetelle configuration, lesquels ont introduit un recours auprès du Conseil d’Etat. Autre écueil : alors que le programme initial prévoyait un espace communautaire,celui-ci a malheureusement été éliminé, pour des raisons d’aménagement des espaces. Enfin, le projet une fois réalisé, des difficultésont surgi dans la cohabitation des différentes générations en présence, notamment dans le chef des personnes âgées se plaignant du bruitgénéré par les plus jeunes. Enfin, les liens entre générations se sont avérés peu soutenus dès lors qu’un accompagnement ne venait pasencadrer le dispositif de départ.

Dernier cas de figure : celui du Collectif Logement de la maison de la solidarité de Hannut (www.collectiflogement.be) qui, dans le cadre de ses activités d’insertionsociale en tant qu’association de promotion du logement (APL), offre à une population précarisée treize logements à loyer modéré. Depuis 2005, lecollectif y a associé une dimension intergénérationnelle en accueillant dans certains logements des personnes âgées. De l’avis des initiateurs de ce projet, sila première préoccupation de ces personnes en difficultés sociales est de trouver un logement de manière urgente, la dimension intergénérationnelle a parfoisdu mal à prendre sa place et demande dès lors ici aussi un accompagnement assez consistant pour permettre d’impliquer les locataires dans des projets communs.

A l’issue de ces présentations, David Mignolet (Habitat et participation) n’a pas manqué de relever que s’engager dans une démarcheintergénérationnelle demandait beaucoup d’investissement, une énorme maturité et une volonté de s’inscrire dans un projet collectif : « Notreexpérience nous montre que si la seule préoccupation des partenaires dans un projet d’habitat groupé ou partagé est le facteur économique, ce dernier estdéjà fortement hypothéqué. La pérennité de ces expériences repose sur d’autres liens existants et à tisser entre les membres du groupe.Le caractère intergénérationnel suppose de surcroît un certain regard sur la société et le mélange des âges. Dès lors, il faut bienpréparer ces projets, a fortiori s’ils sont initiés par des opérateurs institutionnels. »

D’une manière un peu provocatrice, Denis Lambert, secrétaire général de la Ligue des familles et co-organisateur de la journée, n’a pas manquéde mettre en exergue le décalage de ces projets intergénérationnels avec nos modes de vie individualistes : « L’intergénérationnel est unmot-valise, mais qui peut prendre de multiples visages : est-ce à dire que nous devons tous nous engager dans l’habitat groupé ou partagé ? Avons-nous envie devivre ensemble, toutes générations confondues ? Pas forcément. Ne faut-il pas plutôt réfléchir à créer des quartiersintergénérationnels, en repensant la mobilité, l’aménagement du territoire ? C’est une réflexion que mène la Ligue desfamilles. » 6

Lever les obstacles

Dans l’après-midi, la question du part’âges d’habitats a continué d’être explorée, lors d’ateliers cette fois plus didactiquesconsacrés aux solidarités intra- et interfamiliales, à la structuration d’un projet intergénérationnel (conception, mise en œuvre, étapessuccessives,…), aux rapports sains entre différents publics (réciprocité, mixité sociale), au caractère acquisitif ou locatif des habitats groupés oupartagés. Une visite du projet des habitants de l’Abbaye de Saint-Denis qui abrite dans ses murs une expérience d’habitat groupé était égalementprévue au programme. Enfin, l’après-midi a aussi permis un débat entre acteurs politiques et secteur associatif, au cours duquel la nécessité de lever lesfreins juridiques à ces projets (risque de perte des allocations sociales au taux isolé, règles urbanistiques ne permettant pas la division d’un logement ou enmatière de lotissements…) a été réaffirmée, ainsi qu’une aide à apporter aux projets-pilotes. Comme l’a rappelé Bernard Monnier,chef de cabinet adjoint du ministre wallon en charge du Logement, Jean-Marc Nollet (Ecolo), lors de ce débat, « on ne décrète pas la mixité sociale etintergénérationnelle, mais on peut la susciter. »

Des décideurs sensibilisés

Il est grand temps que la question du vieillissement de la population et des problèmes en termes de logement que cette situation va générer soit prise en compte dans lespolitiques régionales : or, comme le relevait en septembre dernier Christos Doulkeridis (Ecolo), secrétaire d’Etat bruxellois du Logement, lors de la journée internationaledes seniors, « la plupart du temps, les seniors ne sont pas pris en considération explicitement dans les politiques du logement ; ils ne constituent pas une catégoriespécifique en tant que telle ». Et le ministre bruxellois du Logement d’annoncer qu’un des axes de sa politique consiste à essayer de les sortir de cevéritable « angle mort ». Pour cet édile écolo, l’habitat intergénérationnel est une des pistes à creuser, notamment au traversdu principe d’un partage de l’habitat tel que le conçoit le logement kangourou, où plusieurs générations vivent sous le même toit et se rendentmutuellement de menus services.

Concrètement, la Région finance l’agence immobilière sociale (AIS) « Les Trois Pommiers », située à Etterbeek et versée dansl’habitat intergén&ea
cute;rationnel. Des contacts ont également été pris avec le secrétariat d’Etat à l’Urbanisme, Emir Kir (PS), afind’aplanir les difficultés urbanistiques résultant de l’opération de subdivision d’une maison unifamiliale. Des programmes visant à renforcer lacohésion sociale au sein des cités de logement social sont aujourd’hui soutenus et le ministre Doulkeridis souhaite l’inscription de l’habitatintergénérationnel dans le Code du Logement. Enfin, la question de la modularité doit être promue, notamment au travers des primes à la rénovation. Un groupe« droit au logement » dans le cadre de la Conférence interministérielle Social – Santé devrait se pencher sur l’articulation du droit aulogement des seniors avec les questions d’accessibilité, d’intégration sociale, d’autonomie et de soins à domicile.

Côté Région wallonne, une série de mesures ont été adoptées par le gouvernement wallon en vue d’anticiper et accompagner le vieillissement dela population et les besoins inhérents en matière de logements. Ici aussi on sent poindre la sensibilité des écologistes, chargés de la compétence duLogement, à l’égard de la thématique de l’habitat intergénérationnel, notamment à travers le lancement d’un appel à projets« Habitat durable » qui s’est clôturé en septembre dernier et qui visait notamment la mixité intergénérationnelle ou encore lamodularité des logements. Au moment de la rédaction de cet article, la sélection des projets était en voie de finalisation. Autres initiatives : la constitutiond’un groupe de travail autour de l’« habitat kangourou » ou encore le lancement d’une réflexion sur l’utilité de la créationd’une aide individuelle à l’adaptation des logements pour les personnes en perte d’autonomie, à côté du prêt intergénérationneldéjà mis en œuvre par le Fonds du logement des familles nombreuses de Wallonie qui s’adressent aux familles qui souhaitent transformer leur logement pour accueillir un ouplusieurs parents âgés7.

1. Habitat et participation :
– adresse : pl. des Peintres, 1/bte 4 à 1348 Louvain-La-Neuve
– tél. : 010 45 06 04
– sites : www.habitat-participation.be, www.habitat-groupe.be
2. UCP :
– adresse : chée de Haecht, 579/bte 40 à 1031 Bruxelles
– tél. : 02 246 46 77
– site : www.ucp-asbl.be
3. La Ligue des familles :
– adresse : av. Emile de Béco, 109 à 1050 Bruxelles
– tél. : 02 507 72 11
– site : www.citoyenparent.be
4. La rédaction d’un dossier sur l’habitat intergénérationnel est actuellement en voie de finalisation et devrait être disponible sur le site de l’UCP(www.ucp-asbl.be) début novembre (rubrique Publications, revue Balises nº 31).
5. Enquête menée à la demande du département Logement (DG4 du SPW, Service public de Wallonie), rue des Brigades d’Irlande, 1 à 5100 Namur
– tél. : 081 33 21 10
– Pour un résumé de cette enquête, voir les Echos du Logement nº 3, 2009 – téléchargeable sur http://mrw.wallonie.be/…/EchosLog09_3.pdf
6. À parcourir : le dossier « Politique de logement, de mobilité, d’aménagement du territoire et habitat intergénérationnel, novembre 2009
– téléchargeable à l’adresse :
www.citoyenparent.be/Public/combats/PressRelease.php?ID=32333…
7. FLW :
– adresse : rue de Brabant, 1 à 6000 Charleroi
– site : www.flw.be/prets-aux-parents-ages

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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