Depuis quatre ans, chaque premier mardi du mois, le P’tit Ciné, qui a planté son projecteur à l’Espace Delvaux (Watermael Boitsfort), tente courageusement de fairedécouvrir un autre cinéma, celui du réel : le documentaire 1. Pas toujours facile d’imposer un genre boudé par les salles classiques alors que s’y nichent devéritables trésors. La preuve ? «Regards sur le travail», les premières rencontres documentaires du P’tit Ciné qui se sont déroulées ces 23 et 24avril. 14 films encadrés de débats et de rencontres avec les réalisateurs autour du travail et de sa représentation. Le travail qu’on cherche ou celui qu’on perd, celuiqu’on choisit ou celui qu’on subit, celui qu’on partage, celui qu’on aime passionnément ou celui qu’on quitterait volontiers…
Parmi les cinéastes présents, Fabrice George, réalisateur belge auteur de «Post mortem : quelle vie après la mort sociale ?». L’histoire d’unedélocalisation, celle des laboratoires pharmaceutiques Sanofi à Vilvorde, mais surtout des travailleurs qui l’ont subie. Ils ont entre 35 et 45 ans, certains cherchentfrénétiquement un emploi, d’autres tentent de combler des journées vides et de gérer l’abysse qui s’est installé dans leur vie. Que faire de ce temps soudain«offert» ? Une façon pour le réalisateur de réinterroger la notion même de travail. Autre cinéaste invité, Eric Pittard, Français. Son film«L’usine, un jour de moins, un jour de plus» donne la parole aux ouvriers et au patron d’une des premières entreprises en France à avoir diminué la duréehebdomadaire du temps de travail sans perte de salaire, la fonderie Bouhyer, près de Nantes. Récit des luttes syndicales, des négociations patronales mais aussi récitsindividuels d’ouvriers qui ont dû s’adapter à une autre organisation du travail, images où l’on sent la sueur et la poussière jusque sur la caméra.
Chômiste, c’est plus sympathique…
Et puis… une petite perle : «Alter Egaux», un film de Sandrine Dryvers. Le décor est simple : une chaise. Une chaise sur laquelle se succèdent des chômeurs, desanciens chômeurs, on ne connaît pas toujours leur statut et peu importe, ce qui compte, c’est leur parole, ce qu’ils ont à dire. Ils sont assis face caméra, parlent dutravail, de l’absence de travail, du temps, de la stigmatisation. Ainsi ce chômeur qui préfère s’appeler «chômiste» parce que cela rime avec cycliste, c’est plussympathique pour les gens que chômeur qu’on fait trop souvent rimer avec «glandeur»… Certains expriment leur souffrance, d’autre leur bonheur d’un temps retrouvé comme cenouvel «homme au foyer» ou aussi la culpabilité, celle qu’on endosse ou qu’on vous fait endosser. Et cette interrogation : «Est-ce que la vie, c’est travailler ?» etpuis des silences parfois touchants, parfois maladroits. La réalisatrice, elle-même chômeuse, leur a laissé carte blanche, seule contrainte : s’asseoir sur la chaise etparler face caméra de ce que recouvre pour eux la notion de travail. Pas de question, juste un témoignage. Un film terriblement interpellant qui nous renvoie à nos propresinterrogations et contradictions : la désacralisation du travail et la souffrance de ne pas en avoir. Un film en tout cas à ne pas rater lors de ses prochaines diffusionstélévisées ou au cinéma dans les «bonnes» salles… (malheureusement en version courte : 12 minutes au lieu de 26)2.
1 Le P’tit Ciné, Espace Delvaux, place Keym, Watermael-Boitsfort, Pour le programme : 02/376 78 21 ou 02/ 503 11 94, e-mail : ptitcine@yahoo.com ou Libérations films : 02/217 48 47.
2 «Alter Egaux», passages télévisés le 2 mai à la RTBF et le 10 mai sur Arte, avant-première cinéma le 1er mai à l’Arenberg àBruxelles et au Parc à Liège. On peut retrouver les témoignages du film ainsi que d’autres dans le livre de S. Dryvers «Alter Egaux», éd. Luc Pire et ArteEditions, 1999.
Archives
« P’tit Ciné, Sandrine Dryvers : interpellations sur le travail »
Alter Échos
26-04-1999
Alter Échos n° 51
Alter Échos
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