Les grands principes qui président à l’élaboration du pacte associatif (autonomie des associations, complémentarité et dialogue avec les services publics,contractualisation, esprit de service public, égalité d’accès des utilisateurs) devront trouver à s’appliquer dans des dispositifs qui les respectent au mieux.À moins de faire table rase du passé, les acteurs de l’élaboration du pacte seront guidés, entre autres, par leur expérience des dispositifs existants.Comment ceux-ci permettent-ils de rencontrer les grands enjeux de l’articulation des rapports entre pouvoirs publics et associations » de service » ? Comment certaines pratiques -qu’aucune règle ne commande – assurent-elles néanmoins souplesse et fluidité à ces rapports ? En quoi ces dispositifs et pratiques sont-ils susceptiblesd’inspirer le pacte associatif ? À la recherche de quelques balises dans des secteurs de la compétence de la Région wallonne et de la Communautéfrançaise.
Trois modèles et un « non-modèle »
Mais d’abord, une petite typologie des grands modèles réglant les rapports entre État et initiative privée non lucrative. Jacques Defourny, professeurd’économie sociale à l’École de gestion de l’ULg, identifie « trois plus une » grandes traditions dans les démocraties libérales occidentales.
La tradition germanique repose sur la subsidiarité. Elle considère que l’action privée non lucrative remplit mieux que les pouvoirs publics certaines fonctions. Le « pour cent » d’impôt librement affecté par le contribuable, dans les domaines de la santé, de la culture et de l’éducation notamment, participe de cettephilosophie.
La tradition française repose sur l’affirmation régalienne que toute organisation privée ne peut que rechercher des privilèges. Les valeurs républicainesviennent signifier, en surimpression, que l’État seul assure la tutelle des missions de service public. On observe néanmoins une évolution des pratiques en rupture aveccette conception dominante, sous l’influence de la régionalisation et des politiques de développement territorial. Une Charte d’engagements réciproques avaitmême été signée au niveau national en 2001 sous le gouvernement Jospin. Dénoncée par le gouvernement suivant, elle est aujourd’hui tombée endésuétude.
La tradition britannique fait de l’engagement volontaire des citoyens pour l’intérêt général un véritable devoir civique. La Grande-Bretagneconnaît le plus haut taux mondial de volontariat et le National Council of Voluntary Organisations, qui n’est « qu’une coupole », compte 80 permanents. À la fin desannées ’90, un processus semblable à celui du Pacte associatif a abouti à la signature du Compact. Décliné dans toutes les régions d’Angleterre, ilscelle un accord entre pouvoirs publics et acteurs associatifs et communautaires pour améliorer leur partenariat.
Enfin, la tradition scandinave considère que tous les services d’intérêt général sont l’apanage des pouvoirs publics. L’action associativeexiste, mais son objet est circonscrit au monitoring du fonctionnement des services publics. Sa fonction première, et presque exclusive, est la critique institutionnelle. Sous les effets dedifficultés de financement des services publics, apparues dans les années ’90, la situation évoluerait sensiblement.
Reconnaissance des acteurs ?
Comment sont déterminées les politiques d’un secteur donné ? L’Aide à la jeunesse fournit un modèle intéressant. Le décretprévoit une concertation étroite entre le ministre de tutelle et le Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse (CCAJ). Pour Pascal Rigot, responsable d’AJMOà Charleroi et de la Fédération des initiatives de prévention éducative (FIPE), « la concertation est de qualité correcte : le secteur est autour de la tabledès l’amont. »
En Wallonie, le directeur du Service régional de prévention La Teignouse asbl, à Comblain-Au-Pont, met en évidence deux aspects informels qui concourent à lalégitimation et à la crédibilité des associations comme interlocuteurs des pouvoirs publics. Pour Ariste Wouters, « quand les relations s’inscrivent dans ladurée, les acteurs apprennent à bien se connaître et l’info du terrain ‘passe’ au sein des services ad hoc de l’administration. » Ce qui suppose néanmoinsune double condition tout à fait formelle : la stabilité des cadres réglementaire et budgétaire dans lesquels s’inscrit le travail de l’association.
« Par ailleurs, complète le directeur, il faut adopter une attitude sans arrogance, respectueuse vis-à-vis des partenaires publics. L’humilité permet que de bonnesengueulades ne remettent pas fondamentalement en cause l’estime réciproque et la capacité de revenir en négociation. » Ce qui n’empêche parfois pas de grossesfrayeurs, comme lorsque la ministre de l’Emploi et de la Formation avait menacé l’asbl de non-reconduction du programme Prime en 2001 (voir AEchos n° 103).
Financement et autonomie d’action
Ici aussi l’Aide à la Jeunesse est, semble-t-il, exemplative. Si la question des barèmes reste délicate et que le montant des frais de fonctionnement estgénéralement jugé insuffisant, la masse salariale concernant le secteur devient satisfaisante. Surtout, souligne Pascal Rigot, « la Communauté française, en tantqu’institution, est idéale du point de vue de l’autonomie et de la critique institutionnelle ». D’abord la distance existant entre le centre administratif et les associationsprestataires de services : elle permet une négociation débarrassée en grande partie des tentations d’instrumentalisation dont font preuve encore trop souvent desmandataires locaux. Ensuite, la réglementation contenue dans le décret relatif à l’Aide à la jeunesse de 1991 prévoit explicitement une commande sociale de critiqueinstitutionnelle. Celle-ci se manifeste souvent par des interpellations d’autres institutions, d’autres services (mandataires, établissements d’enseignement,…). Etelle garantit une grande autonomie d’action, parallèlement à l’obligation de rendre des comptes sur les missions d’accompagnement individuel.
Du côté régional, les choses se sont organisées différemment. En 2003, le fédéral et la Région wallonne ont préféréfaire transiter les moyens budgétaires des contrats de sécurité et des plans de prévention de proximité (PPP) par les communes concernées. Ce choix et sesprolongements ont des conséquences sur l’autonomie de pilotage des associations. À quoi vient s’ajouter la configuration politique propre de chaque commune. Dans les PPP,c’est au sein de la commission de prévention de proximité que se déterminent les options locales, en concertation entre associations et pouvoir subsidiant.
Dans l’Ourthe-Amblève, les conventions de partenariat entre les communes et l’asbl La Teignouse sont claires : les objectifs généraux sont définis parl’association et proposés aux pouvoirs communaux. « En fait, la concertation est permanente », relève Ariste Wouters, directeur de l’AMO. Active sur un territoiresupracommunal essentiellement rural, l’asbl exerce, via son travail en réseau, un quasi-monopole en matière d’aide à la jeunesse et de prévention. Signant desconventions PPP avec pas moins de … neuf communes, elle occupe une position favorable pour négocier ses options de travail.
« À Ottignies, le contexte politique (une majorité « olivier » à trois partenaires, ndlr) est favorable au jeu de la complémentarité et de la collaboration entreassociations ; on est loin d’un modèle où la ville imposerait purement et simplement ses volontés » note Étienne Scorier, de la cellule de développementcommunautaire de la commune.
Son de cloche sensiblement différent à Charleroi, où la concertation sur les contrats de sécurité laisse peu de place au débat, selon Pascal Rigot.D’après lui, si ce dernier est cadenassé, c’est en partie dû au fait que la commune dispose d’une majorité absolue. Ce qui concourt peu à uneculture de la concertation, quel que soit le parti dominant.
Dans tous les cas, les témoins réclament une déclinaison locale du pacte associatif.
Une question de culture ou une question stratégique ?
Pourquoi et pour quoi établir des partenariats entre pouvoirs publics et associations ? L’objectif ultime de ces dernières devrait-il être de disparaître, lesbesoins révélés étant désormais rencontrés par les institutions publiques ?
« Vaste blague » pour Wouters, qui confesse pourtant avoir tenu pareils propos lorsqu’il était président des écoles de devoirs, au milieu des années 80. « Pouratteindre pareil objectif, il faut commencer par travailler ensemble, en partenariat. Et que dire, surtout en milieu rural, de la jeune fugueuse du samedi pour qui il faut attendre le lundi matin,l’ouverture du SAJ ? » Ici, clairement, c’est la complémentarité qui joue, l’associatif assurant un service durant les heures de fermeture des services publics.À moindre coût ?
Si Wouters voit un intérêt à renforcer les liens avec les pouvoirs publics, ce n’est pas tant dans une perspective d’alliance contre les risques delibéralisation des services publics (dont il se dit convaincu, à condition que chacun garde sa spécificité). C’est surtout en vue d’améliorerl’efficacité des services rendus à la population.
Pour Scorier, le fait pour le chef de projet PPP de dépendre des services communaux n’a pas que des inconvénients. En effectuant une intermédiation entre la populationd’une part, les mandataires et l’administration d’autre part, il peut induire des changements de culture. Et notamment contribuer à faire évoluer les pratiquesadministratives vers les notions de services et de partenariat.
Et l’éthique du travail social dans tout ça ?
« Les plans de prévention de proximité ont raté une occasion d’aborder la question du rapport aux associations », estime Étienne Scorier. « Les PPP mettent lacommune au centre de la coordination de l’activité des associations sur un territoire », ajoute-t-il. Ce qui rend inconfortable la position du chef de projet, travailleur socialemployé par la commune. « On n’est plus dans la situation idéale des plans sociaux intégrés où le président était un mandataire et le chef deprojet, un permanent associatif », précise Ariste Wouters.
Deux logiques sont à l’œuvre, selon E. Scorier : le mandataire communal rend des comptes aux électeurs, l’association à ses membres et usagers. En faisant dutravailleur communautaire un employé communal, les PPP le mettent au cœur de la tension entre celles-ci ; entre loyauté vis-à-vis de l’employeur et éthique dutravail social. Pas facile tous les jours d’expliquer à un échevin ou au bourgmestre que certaines informations restent confidentielles. Si une charte de déontologie fixeles balises qui permettent, en cas de conflit, de se rappeler les fondamentaux du travail social, c’est au jour le jour, dans les rapports quotidiens avec les politiques que se joue laclarification des positions.
À Ottignies, afin de garder une maîtrise sur leur pratique professionnelle, les travailleurs sociaux se réunissent tous les deux mois dans un atelier de rechercheméthodologique. Initialement réservé aux professionnels, il s’est ouvert aux bénévoles. Les membres des pouvoirs organisateurs y sont invités etpourtant rares sont ceux qui y participent.
Pour finir : petit retour sur la méthode
On en sait (un peu) plus sur la méthode que comptent adopter les gouvernements pour la phase de consultation (censée se clôturer fin du mois d’octobre).
À Bruxelles, la Cocof a prévu que chaque ministre rencontre les secteurs concernés par le Pacte. Ordre du jour : informer de la démarche et susciter l’implicationdes associations. Côté Communauté française et Région wallonne, il est prévu de compiler dans un « Livre vert » les questions qui se posent aujourd’huià propos des rapports entre associations et pouvoirs publics. Les divers conseils consultatifs seront sollicités sur cette base, avant une série de rencontres en face àface, avec les syndicats et les associations jugées « incontournables ».
Le politique a évidemment toute légitimité pour décider de qui il va consulter. Mais la portée du Pacte est telle que les gouvernements ne peuvent prendre lerisque de laisser penser à certaines associations qu’elles ont été négligées. Pour Jacques Defourny (ULg), il est important de prévoir des espacesd’échange informels. Ces » forums « , largement ouverts et non institutionnalisés, compléteraient le dispositif de consultation. « La participation est importante pour ladémocratie », confirme Pascal Rigot. « Mais il faut respecter au moins une condition cruciale : les organisateurs de ces forums doivent rendre compte des actions entreprises sur base desdiscussions. » Au risque sinon de démotiver les participants et de mettre à mal la légitimité du processus.
Les neuf ministres impliqués dans le pilotage de l’élaboration du Pacte ont imaginé réaliser un « temps de pause » dans la phase de consultation. Afin de rassemblertous les acteurs associatifs qui le souhaitent, et pas seulement les » incontournables « . Sera-t-il informel, participatif et mobilisateur ?