Le pacte d’excellence est sur de bons rails. En décembre dernier, le «groupe central», chargé d’élaborer le pacte, a remis sa copie. Plus de 300 pages de mesures ambitieuses pour changer l’école belge francophone. Tour d’horizon non exhaustif avec Frédéric Delcor, secrétaire général de la Fédération Wallonie-Bruxelles et coprésident du groupe central.
Alter Échos: Après deux ans de travail, le groupe central du pacte pour un enseignement d’excellence a remis son rapport final. Ce document est le fruit d’un travail entre tous les acteurs de l’école. Comment s’est passé ce processus?
Frédéric Delcor: L’objectif initial était de dépasser les problèmes que l’on constate depuis des années: le système scolaire belge francophone est inefficace et inéquitable. Pour aller au-delà de ces constats, il fallait proposer des réformes systémiques, inscrites sur la longue durée. Les principaux résultats de ce pacte se feront sentir sur une période de 15 ans. Ces réformes nécessitent donc l’adhésion de tous les acteurs. Enseignants, syndicats, parents, associations, etc. Nous avons donc fait le pari de travailler avec eux, en leur demandant de se responsabiliser collectivement pour qu’ils dépassent leurs propres tabous. Les acteurs de l’école ont pu coconstruire ce projet qui dépasse toutes nos espérances. Bien sûr, cela a pris du temps. Certaines discussions ont été difficiles. Après avoir partagé le constat sur l’état actuel de l’école, le groupe central a élaboré une vision commune avant de proposer en décembre dernier un ensemble de mesures concrètes équilibrées et financées. Le résultat n’est pas un consensus mou mais bien une vision collective.
Alter Échos: Les inégalités à l’école sont un élément central de cette ébauche de pacte…
FD: Il y avait deux éléments que nous avions toujours en tête. Renforcer l’efficacité globale du système scolaire et réduire les inégalités. On ne peut pas faire l’un sans l’autre, car les mauvais résultats sont aussi dus au fossé entre les élèves. Pour atteindre cet objectif, il y a deux «mamelles» qui sont la mise en place d’un véritable tronc commun polytechnique et pluridisciplinaire et l’instauration d’un tout nouveau système de gouvernance de l’école.
Le groupe central du pacte pour un enseignement d’excellence est présidé par Frédéric Delcor, secrétaire général de la Fédération Wallonie-Bruxelles, et Laurence Weerts, représentante de la ministre de l’Éducation.Sont représentés dans le groupe: les pouvoirs organisateurs, les syndicats d’enseignants, les fédérations de parents et des membres de l’administration.
Le 2 décembre, le groupe central a remis son «projet d’avis n°3». Cette note, qui devrait constituer l’essentiel du futur pacte pour un enseignement d’excellence, s’appuie sur les nombreuses réunions des douze groupes de travail qui avaient été mis en place en 2015.
Alter Échos: Le tronc commun est une réforme majeure que réclamaient de nombreux acteurs de l’école…
FD: C’est un élément fondamental. Nous proposons d’instaurer un tronc commun depuis la première maternelle jusqu’à la 3e secondaire. L’idée est de proposer les mêmes contenus à tous les élèves. Ce tronc commun serait donc rallongé (jusqu’à 15 ans contre 14 aujourd’hui) et renforcé autour de l’apprentissage de sept grands domaines (dont la culture, les compétences techniques, le sport, la philosophie, NDLR). L’objectif étant qu’après s’être essayé à diverses disciplines, l’élève pose un choix éclairé entre l’orientation vers l’enseignement ordinaire ou le qualifiant. Avec ce tronc commun, nous souhaitons contrer les mécanismes de séparation précoce des élèves qui prévaut actuellement et se fait en fonction des résultats et souvent de l’indice socio-économique des élèves.
Alter Échos: Un tronc commun ne peut à lui seul résoudre les enjeux d’inégalités scolaires…
FD: Non bien sûr. Nous proposons un cursus commun revisité qui implique de revoir en profondeur la façon d’enseigner pour solliciter les intelligences multiples des élèves. Et puis les fronts sont multiples. Pour casser les mécanismes qui créent la séparation, les acteurs de l’école proposent de s’attaquer au redoublement et posent comme objectif de faire baisser de 50% le taux de redoublement d’ici à 2030.
Alter Échos: Casser les logiques de séparation des élèves entraînera davantage d’hétérogénéité dans les classes. Comment y faire face?
FD: Ceux qui expriment des réticences à l’égard du tronc commun craignent que certains élèves n’aient aucun goût pour le français ou les maths et se retrouvent à la traîne. On ne peut pas adhérer à cette hypothèse qu’il y aurait des enfants qui «ne seraient pas faits pour ça». Donc on va maintenir dans des classes des élèves qui ne sembleront pas très intéressés par certaines matières. Comment les intéresser? Tel est l’enjeu. Des moyens devront être donnés aux enseignants pour faire face à cette hétérogénéité. L’évaluation du contenu des cours et des méthodologies pédagogiques devront être approfondies. Cela suppose aussi de revoir la formation initiale, et de faire une plus grande place à la formation continuée.
Alter Échos: Mais concrètement, comment cela se passera-t-il en classe?
FD: Il faudra des moments où les plus faibles pourront se retrouver pour rattraper le retard. Des diagnostics en temps réels devront être faits pour chaque élève afin de proposer de la remédiation en temps réel. Cela passe par la création d’un dispositif dit de «remédiation, consolidation, dépassement» (RCD). Cela signifie que certaines tranches horaires devront être consacrées à la remédiation pour certains élèves, ou à l’approfondissement des savoirs pour d’autres. Les élèves pourront être séparés lors de ces plages horaires pour se retrouver ensuite.
Alter Échos: Le groupe central propose des investissements substantiels au niveau de l’école maternelle…
FD: Dans notre système, on investit très peu au début de la scolarité alors que c’est là, dès la maternelle, que les inégalités se creusent entre les élèves favorisés et les autres. C’est en partie une question de moyens, c’est vrai. C’est pourquoi la proposition d’embaucher 1.100 membres du personnel supplémentaire en maternel a été faite. Mais ce n’est pas qu’une question de moyens. Des mesures qualitatives sont essentielles. On sait par exemple qu’il n’existe pas de référentiel: jusqu’à présent les pouvoirs publics ne disaient pas quelles compétences et savoirs acquérir en maternelle. Nous proposons qu’un tel référentiel soit mis en place.
Alter Échos: De plus, les acteurs de l’école proposent de rendre l’école maternelle obligatoire dès 3 ans…
FD: Oui, mais il faut faire attention, ce n’est pas une compétence de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour y parvenir, il faut un accord large au niveau fédéral. En attendant, il serait judicieux de prendre des mesures qui encouragent une fréquentation régulière de l’école maternelle. Un travail avec les familles doit être mené.
Alter Échos: Certains acteurs, au début des travaux, rêvaient d’un «grand soir» de l’enseignement et de la mixité sociale en s’attaquant par exemple à la division en réseaux, à la liberté de choix des écoles, au quasi-marché scolaire? D’autres rêvaient d’un décret inscription dès la maternelle. On ne trouve pas de telles propositions dans ce rapport. Ces sujets ont-ils été évités?
FD: Il faut se méfier de l’illusion du grand soir de la mixité sociale. Certains ont pensé que le décret inscription était un pas en ce sens. Or, on ne le constate pas. Et décréter la mixité sans responsabiliser les acteurs, cela ne fonctionne pas. Nous, ce que l’on souhaitait, c’était apporter des solutions concrètes. Si le «réseau unique» avait été abordé… on sait très bien que les discussions auraient été bloquées dès le départ tant par les acteurs eux-mêmes que par les partis politiques. Et puis, culturellement, on sait qu’en Belgique nombreux sont les parents attachés au libre choix.
Alter Échos: Un volet important du pacte concerne la gouvernance. On propose d’un côté de renforcer l’autonomie des équipes pédagogiques, des directions d’école, et, de l’autre côté, de renforcer le pilotage du système scolaire. Ces deux objectifs ne sont-ils pas contradictoires?
FD: Pas du tout, car nous proposons un tout nouveau mode de gouvernance. Dans les faits, le régulateur n’a pas de moyens très forts. Prenons l’exemple du redoublement. Nous aurions pu simplement proposer de l’interdire. Mais sans changement dans la culture de l’école, dans la façon d’enseigner, le résultat d’une telle mesure conduirait à un nivellement par le bas. Un changement de culture ne se décrète pas. Ici, l’idée n’est pas d’imposer aux enseignants une méthodologie en disant «c’est la bonne façon de faire». Il est nécessaire de leur donner de l’autonomie, ainsi qu’aux directions, tout en renforçant le rôle du régulateur. Pour ce faire, nous allons faire un contrat école par école. Nous discuterons avec chaque école des objectifs généraux que tous doivent atteindre, afin de les adapter en fonction des situations particulières. Nous demanderons aux écoles comment elles comptent s’y prendre pour atteindre ces objectifs qu’elles auront affinés. Le tout se fera en dialogue avec l’administration. Nous verrons ensuite si ces objectifs sont atteints. S’ils ne le sont pas, l’idée n’est pas de sanctionner, mais de dialoguer autour de la pédagogie, de la mixité. Si on note de la mauvaise volonté, alors des sanctions pourront être imposées.
Alter Échos: Vous proposez aussi une réorganisation importante de l’enseignement qualifiant, afin d’en faire une filière «d’excellence». Un vaste chantier…
FD: La durée de la filière qualifiante sera réduite d’un an. Nous proposons d’en faire une filière unique (plus de division professionnel-technique, NDLR). La volonté est très claire: ne pas tromper la promesse faite aux parents. Aujourd’hui les parents, souvent de milieux défavorisés, font confiance en la figure de l’autorité, de l’institution scolaire. Et ils reçoivent une fausse promesse, celle d’une filière qui permettra à leur enfant d’obtenir un emploi. En réalité, certaines options ne forment pas à des métiers qui existent sur le marché. Le groupe central propose de rationaliser ces filières. Car, là aussi, l’organisation des options crée de la ségrégation scolaire. Certaines options sont plus «élitistes» que d’autres. Nous constatons que, sur un même bassin scolaire, certaines écoles multiplient les options, qui ne mènent pas forcément à un emploi, dans le but de recevoir des financements ou de différencier les élèves. C’est un effet pervers du quasi-marché scolaire. Nous allons donc rendre les normes plus strictes pour empêcher l’ouverture d’options qui ne mènent pas à un métier et pour éviter le morcellement. Le régulateur, via des appels d’offres, peut développer des options qui correspondent à l’évolution du monde du travail. Et, lorsque trop d’établissements proposent les mêmes options dans une même zone, le régulateur exigera la fermeture de ces options et lancera un appel d’offres pour qu’un seul établissement la propose.
Alter Échos: Le pacte pour un enseignement d’excellence est donc presque né…
FD: Les acteurs du pacte d’excellence organisent des consultations de leurs bases; les syndicats, par exemple, vont lancer des débats décentralisés. Cela prend du temps. Fin février, le gouvernement devrait se prononcer sur un phasage des différentes mesures.
Lire le dossier «Pacte d’excellence: tirer l’enseignement vers le haut?», Alter Échos n°401, mai 2015.