Syndicats, associations, pouvoirs organisateurs élaborent le Pacte pour un enseignement d’excellence. Si l’espoir de réinventer l’école belge francophone est toujours bien présent, les premiers travaux s’accompagnent des premiers grincements de dents. Ce dossier clôture notre série sur l’enseignement.
Excellence rime avec urgence. C’est écrit en toutes lettres dans la note d’orientation du «pacte pour un enseignement d’excellence»: «Le renforcement de la qualité de l’enseignement francophone est devenu une réelle urgence collective.»
Les pouvoirs organisateurs de l’enseignement francophone, les syndicats, les associations de parents, les mouvements pédagogiques, les universitaires se réunissent donc à un rythme soutenu pour construire ce pacte. Un rythme que certains, comme le syndicat CSC-enseignement par exemple, décrivent comme irréaliste. Mais tous jouent le jeu…. pour l’instant.
Peu importe que l’architecture voulue par Joëlle Milquet pour élaborer ce pacte soit un tantinet complexe (cf. encadré), tous ces acteurs transmettent des notes, des idées, des revendications. Ils se rencontrent régulièrement et discutent à bâtons rompus. Espérant que le processus mène à quelque chose de concret, à des changements de long terme. À la Fapeo, par exemple, Véronique De Thier «veut y croire». Elle pense que l’objectif de repenser l’école est «ambitieux» et espère que «chacun sorte de son propre lobby».
Car l’urgence, on la connaît. Le système scolaire belge francophone n’est pas performant. Il est dual et renforce les inégalités sociales au lieu de les atténuer. Les rythmes scolaires sont souvent mis en cause. Les enseignants sont insuffisamment formés. La complexité du système, ses réseaux, sa concurrence entre écoles, coûtent beaucoup d’argent et ouvrent des failles dans lesquelles tombent le plus souvent les élèves issus de milieux défavorisés (cf. Alter Échos n°389). Le décrochage scolaire, les taux spectaculaires de redoublement sont autant d’indicateurs d’un système qui dysfonctionne.
Pour imaginer le pacte pour un enseignement d’excellence, différentes «structures» ont été créées:
– un groupe central. On y trouve des représentants des pouvoirs organisateurs, des syndicats d’enseignants, des fédérations de parents, de l’administration et des ministres concernés. C’est le groupe qui oriente les travaux, arbitre et prend des décisions;
– un comité d’accompagnement. On prend les mêmes que dans le groupe central et on y ajoute une quantité de gens venus d’horizons divers. Associations, monde économique, scientifique, culturel. Le groupe se prononce «à chaque étape du pacte», sur les résultats des travaux du groupe central. Il s’agit d’une instance de consultation.
Six groupes de travail se réunissent. Ils sont principalement composés des pouvoirs organisateurs, syndicats et associations de parents. D’autres acteurs ou associations sont parfois invités.
À l’heure actuelle, deux groupes de travail se réunissent:
– le groupe état des lieux. Il propose un diagnostic de la situation de l’école;
– le groupe «sens, valeurs, objectifs et missions de l’école du XXIe siècle».
Les quatre autres groupes devraient se réunir à la rentrée de septembre. Ils pourront donner naissance à des sous-groupes de travail:
– le groupe «acteurs de l’école»;
– le groupe «parcours de l’élève»;
– le groupe «savoirs et compétences»;
– le groupe «gouvernance».
À noter: il existe un groupe scientifique composé des différents universitaires qui accompagnent les travaux.
À la suite de ces travaux, un plan d’action sera proposé, qui sera discuté avec les acteurs de l’enseignement, avant adoption du pacte prévue pour avril 2016.
Réinventer l’eau chaude
C’est face à ce constat d’une école belge francophone claudicante, ressassé depuis de nombreuses années, que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a lancé l’idée d’un grand pacte, afin de «tirer chaque élève vers le haut» et de réinventer l’école d’ici à 2025.
Mais n’existe-t-il pas un risque de réinventer l’eau chaude? Il y a dix ans, le Contrat pour l’école avait beaucoup mobilisé d’énergies. Idem avec les assises de l’enseignement, en 1995. Tous les dix ans, un grand raout. Pour quels changements? Concernant les inégalités à l’école, Frédérique Mawet, secrétaire générale du mouvement Changements pour l’égalité (CGé), estime que «la situation n’a pas changé significativement». Ce qui corrobore les constats d’un récent avis du Conseil de l’éducation et de la formation (CEF), chargé d’évaluer la mise en œuvre du contrat pour l’école. Selon le CEF, la «pertinence et l’importance des objectifs du contrat pour l’école sont plus que jamais d’actualité», soulignant en creux le manque d’avancées dans différents domaines, dont «le niveau d’éducation de la population scolaire», les «performances de chaque enfant», la «lutte contre les mécanismes de relégation» ou la «mixité sociale».
Des difficultés que n’élude nullement la note d’orientation du pacte d’excellence. Justement parce qu’elles sont connues. C’est ce qui intrigue certains observateurs avisés. Un ancien membre du cabinet de Marie-Dominique Simonet (cf. encadré) s’interroge sur «l’opportunité du processus. En 2005, au terme d’une large consultation des acteurs de l’enseignement, un contrat pour l’école a été adopté. On sait que les objectifs du contrat sont loin d’être atteints. Pourquoi ne pas se baser sur ce document, aller jusqu’au bout des objectifs du contrat pour l’école. C’est déjà un vaste chantier».
Parmi les interlocuteurs qu’Alter Échos a interviewés, beaucoup ont conscience du potentiel «usine à gaz» du pacte d’excellence. Pascal Chardome, président de la CGSP-Enseignement, échaudé par les assises et autres contrats, craignait que les discussions ne tournent au «grand remue-méninges qui ne débouche pas sur grand-chose». Il reste donc vigilant. Mais, comme la plupart des représentants du secteur de l’enseignement, il souhaite donner sa chance au processus souvent décrit comme «ouvert». Même si certains, comme Eugène Ernst, secrétaire général de la CSC-Enseignement, émettent déjà des réserves sur la note initiale posant les jalons du pacte: «Dans la note de départ, certains éléments sont trop peu présents, comme les inégalités dans le système scolaire. D’autres, trop présents, comme la nécessité pour l’école de s’adapter aux réalités technologiques et économiques du monde d’aujourd’hui.»
Sauver l’école, c’est le titre du livre de John Rizzo, publié aux éditions Ker, dont on parle abondamment dans les médias grand public. Après avoir «dirigé une start-up» qu’il avait fondée, cet ancien formateur dans le domaine de l’informatique s’est lancé dans une étude approfondie de l’école belge francophone. Il a donc décidé d’écumer les écoles de Belgique en tant que remplaçant. En parallèle à son étude de terrain, il s’est consacré à la lecture compulsive des textes concernant l’école belge et en a rencontré les principaux acteurs.
De cette expérience, l’auteur tire quelques leçons. Il dénonce les nombreux cloisonnements de l’école belge. Cloisonnements par année (1re primaire, 2e primaire, etc.), entre primaire et secondaire, le cloisonnement social, le cloisonnement par réseaux, le cloisonnement des matières. «Une manière de sortir de l’immobilisme
est d’enlever le plus de cloisons possible», nous dit-il.
Dans cet ouvrage, il propose des pistes pour renouveler l’approche pédagogique: «Qui a dit que les élèves doivent être groupés par âge, qui a dit qu’ils doivent tous passer les mêmes examens alors qu’ils ont tous un niveau différent? Qui a dit que l’école devait davantage ressembler à une caserne qu’à une bibliothèque?» Il imagine des enseignants «coaches», polyvalents, qui guident les élèves, leur donnent une partie du pouvoir de décider comment atteindre l’objectif qu’il leur a fixé. Des élèves qui s’entraideraient en fonction des difficultés de chacun. Le tout dans un contexte où l’informatique jouerait un rôle central.
Une participation de qui, pour quoi?
C’est dans l’air du temps. Tout responsable politique aime accoler le sceau «participatif» à côté de ses actions. Le pacte d’excellence n’échappe pas à la règle. «Cette participation (du monde éducatif) est primordiale dans le succès de notre entreprise commune», lit-on sur le site internet du pacte.
Mais qui participe? Majoritairement les acteurs institutionnels du système éducatif. Les corps intermédiaires: associations représentant les parents, syndicats représentant les enseignants, et représentants des pouvoirs organisateurs.
Ce sont eux qui ont les clefs des discussions dans les groupes de travail décisifs. Ils siègent au comité central, organe décisionnel, et dans les groupes de travail spécialisés qui façonnent, sous la houlette d’universitaires, les grandes lignes de ce que pourrait être le pacte. Certains «outsiders», comme le mouvement Changements pour l’égalité, ont réussi à se faufiler dans un de ces groupes (celui sur le sens, les valeurs, les objectifs et missions de l’école), sur le tard, et non sans difficulté.
Pour Bernard Delvaux, du Groupe interdisciplinaire de recherche sur la socialisation, l’éducation et la formation, le fait que ce soient presque exclusivement ces «acteurs de toujours» que l’on trouve autour de la table n’augure rien ne bon sur les possibilités de «bouger les lignes». Il regrette au passage que le «processus participatif soit très maigre», faisant référence à la consultation des enseignants ou parents d’élèves.
Certes, tous ces gens peuvent à loisir s’exprimer sur le site internet qui leur alloue un espace d’expression. Mais à l’heure qu’il est on ne sait pas trop à quoi serviront ces consultations. «Il y a une contradiction entre un document d’appel qui affirme vouloir rendre l’école aux enseignants et l’absence de collaboration systématique avec ces mêmes enseignants», dénonce Bernard Delvaux.
Outre les acteurs institués du secteur scolaire, on trouve dans le «comité d’accompagnement du pacte», une foule de participants. Le comité d’accompagnement n’est pas une instance décisionnelle. Mais chaque acte posé par les groupes de travail y sera discuté. Bien sûr, les syndicats, associations de parents et pouvoirs organisateurs y siègent. Mais on peut aussi y croiser le délégué général aux Droits de l’enfant, des associations en vue, comme la Ligue des familles, des représentants du monde académique, économique, scientifique et culturel. Une composition «trop large» pour Eugène Ernst, secrétaire général de la CSC-Enseignement. «Un chien qui passe avec un bonnet, la ministre l’invite», ajoute-t-il, non sans humour. Ce qui prouve, s’il en était besoin, qu’il n’est jamais évident de trouver le bon dosage lorsqu’on souhaite faire du «participatif».
Il a préféré garder l’anonymat. Car cet ancien du cabinet de Marie-Dominique Simonet a bien des réserves au sujet du pacte d’excellence de Joëlle Milquet. Et qu’entre membres du même parti, cela peut créer des remous. Extraits:
«La politique actuelle est en rupture par rapport à la législature précédente. Nous avions essayé d’accompagner des pratiques innovantes et locales. Notre stratégie était d’accompagner l’innovation de terrain par des recherches-actions, de la mise en réseau, sans commencer par des réformes structurelles. Lorsque nous prenions un décret, c’était à la fin d’un processus. Avec le pacte, on fait un processus de consultation, afin de reconstruire une vision globale de l’école du XXIe siècle. Pourtant, tous les enjeux, les diagnostics, les réformes pédagogiques efficaces sont connus, la littérature est abondante. Le risque est donc de répéter un processus qui, par essence, est très lent. Deux ans auront passé et on voudra ficeler quelques réformes trop vite.»
«Ce type de concertation peut poser des problèmes. On ouvre la boîte de Pandore des points de vue historiques, des divergences liées aux réseaux, aux piliers, aux acteurs dont les finalités ne sont pas les mêmes. La ministre risque de se trouver devant une multitude de points de vue contradictoires. Comment fera-t-elle une synthèse?»
«Dans certains documents de syndicats, on lit que les documents de lancement du pacte sont tellement généralistes et tissés de lieux communs qu’ils ne peuvent pas choquer grand monde. Si les conclusions le sont aussi, alors le risque est que ce pacte soit le reflet d’un consensus mou.»
«Avec le pacte, on ouvre un processus de soutien de la communication. On sent qu’il y a derrière le pacte une volonté d’une communication active.»
Dépasser les clivages traditionnels
«Le but du pacte, c’est de créer une sorte d’union nationale pour relever les enjeux de l’école.» Olivier Laruelle, porte-parole de Joëlle Milquet
Les acteurs institutionnels se connaissent bien. Leurs positions sur l’école, leurs clivages historiques sont de notoriété publique. Prenons l’exemple de la fameuse dualité scolaire, entre écoles pour riches et écoles pour pauvres, ghettoïsées, au niveau médiocre. Le consensus est aujourd’hui unanime pour dénoncer cet état de fait. Mais les solutions préconisées pour en sortir révèlent les failles historiques entre acteurs. Il y a ceux qui rêvent de supprimer les réseaux. Ceux qui voudraient plus de dirigisme, plus de règles pour «composer» la mixité sociale à l’école et mettre des limites à la concurrence entre établissements face à ceux qui mettent l’accent sur l’autonomie des établissements et des directions (principalement les pouvoirs organisateurs).
La discussion se veut «sans tabou». Il se dit que ces sujets, lorsqu’ils sont abordés en groupes de travail, provoquent des discussions animées. Mais sera-t-il possible de dépasser les postures? Quels sont les objectifs des groupes de travail? Atteindre un consensus ou marquer noir sur blanc les dissensions? Pas de réponse claire à ces questions. Olivier Laruelle, porte-parole de la ministre de l’Éducation, précise les contours de la démarche: «Nous avons bien sûr conscience qu’il existe des divergences. Le but des groupes de travail, et plus largement du pacte, c’est de créer une sorte d’union nationale pour relever les enjeux de l’école, de poser des consensus.»
La recherche de consensus ne risque-t-elle pas de construire un pacte sur la base du plus petit dénominateur commun? C’est un risque que souligne Bernard Delvaux: «Un accord consensuel implique un manque de puissance, de souffle. Je crois que, globalement, tout va être fait dans les rapports des groupes pour mettre en avant les consensus, en dépolitisant les débats.»
La façon de concevoir ces discussions en groupe de travail varie en fonction des interlocuteurs. Certains, comme la Fapeo, estiment que «l’idée des groupes de travail est d’acter les consensus,
mais aussi les dissensions». «Après, le gouvernement devra prendre ses responsabilités politiques et arbitrer», ajoute Pascal Chardome.
Côté CSC, au contraire, on espère que ces travaux tendront vers une «analyse commune». Si le gouvernement reçoit moult documents, avis et propositions, des groupes de travail, du comité d’accompagnement, du groupe central et même du consultant externe (le cabinet de consultants, McKinsey, controversé pour certains acteurs de l’école, a en charge de rédiger une partie du diagnostic sur l’école), alors, il pourra «faire son marché dans ces propositions. Sans garantie que l’on respecte le travail mené par les partenaires de l’école», assène Eugène Ernst.
D’autres enfin, comme Bernard Hubien, de l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique, espèrent que chacun «dépasse les slogans et cherche à aller plus loin que ce que chacun connaît de l’autre». Un vœu pieux? Réponse dans dix ans.
Aller plus loin
Alter Échos n°389 du 21.09.2014: «Un enseignement d’excellence: essayons d’y croire!» (Edito)
Alter Échos n°389 du 21.09.2014: «Inégalités: l’école réussira-t-elle sa seconde sess?»