A Bruxelles, les francophones ont voté pour l’adoption d’un parcours d’accueil pour primo-arrivants. Invité des discussions : le nouveau code de la nationalité. Celui-ci stipule que les cours d’intégration sont un critère pour devenir belge. Ce qui pose des problèmes pratiques et, pour certains, politiques.
C’est au mois de juillet dernier que le Parlement francophone bruxellois a voté le projet de décret instaurant un parcours d’accueil pour primo-arrivants à Bruxelles. Alors qu’on traîne en Wallonie, les primo-arrivants francophones, ou aspirants francophones, de la capitale, pourront bientôt bénéficier d’un bilan linguistique et social (premier volet du parcours), puis de cours de français, de cours de citoyenneté et même d’une orientation vers une formation (deuxième volet). Un peu comme en Flandre. Cela faisait des années qu’on en parlait, maintenant c’est fait.
Léger problème toutefois. Alors que le débat sur la nécessité d’un parcours d’accueil suivait son bonhomme de chemin depuis des années, la réforme du code de la nationalité de décembre 2012 s’est invitée dans les discussions. Ce qui a douché les enthousiasmes de certains acteurs associatifs. Car ce nouveau code a instauré, de fait, un lien entre nationalité et cours d’intégration. Ce lien est simple : avoir participé à des cours d’intégration est sur la liste des conditions pour devenir belge (voir encadré).
Le code de la nationalité a considérablement durci la possibilité de devenir belge. Certaines associations ont donc considéré que le parcours d’accueil devenait un « outil de restriction de l’accès à la nationalité » plutôt qu’un outil d’émancipation. C’est ce qu’on pense par exemple au sein d’Objectif asbl. D’autres structures relativisent cette assertion, comme le Ciré qui, au vu des autres critères prévus dans la loi sur la nationalité pour prouver son intégration sociale, se demande si le cours d’intégration n’est pas justement le moyen le plus « léger » pour prouver son intégration.
Alexandre Ansay, du Centre bruxellois d’action interculturelle (CBAI) abonde en ce sens. Pour lui, ce sont surtout les preuves demandées concernant l’intégration à la vie économique qui sont problématiques. « On place la barre très haut », dit-il. Une conséquence notable : la barre est placée tellement haut que les étrangers qui voudront acquérir la nationalité seront nombreux à vouloir participer au parcours d’intégration, car celui-ci devient la seule porte ouverte vers la nationalité belge pour beaucoup de migrants. « Ils en seront même quasiment obligés », ajoute Rachida Meftah, directrice d’Objectif.
« Un effet de triage »
Pour Rachida Meftah, le lien entre nationalité et parcours d’accueil pose plusieurs problèmes. Le premier d’entre eux concernera ceux qui n’auront pas la possibilité de suivre ce parcours. Ils perdront de fait l’une des possibilités de devenir belge. Rappelons que le parcours d’accueil s’adresse aux étrangers présents en Belgique depuis plus de trois mois et moins de trois ans. Quant à la nationalité belge, elle peut être demandée au bout de cinq ans de résidence. Au cours des premières années, que faire de ceux qui sont là depuis plus de trois ans qui souhaiteraient devenir belges ? Idem, tant que le parcours wallon n’existe pas, combien d’étrangers seront mis à l’écart de ce canal d’accès à la nationalité ? Pour Alexandre Ansay, « ce décret va exclure du spectre une partie des migrants. Cela créera un effet de triage ». Une différence notable entre parcours flamand et bruxellois francophone : le parcours flamand est accessible à tous. De quoi augurer un sérieux déséquilibre.
Se pose donc la question : qu’est-ce qui sera reconnu comme cours d’intégration par le pouvoir fédéral ? quel type d’attestation, à l’issue des parcours d’intégration, sera jugée valable pour devenir belge ? Une attestation de suivi ? de réussite ? un suivi du premier volet du parcours ? des deux volets ?
Quelles attestations pour quels parcours ?
La mention des cours d’intégration dans la loi engendre une série de questions pratiques, à l’impact potentiellement important. Dans le décret de la Commission communautaire française (Cocof), les choses ne sont pas si claires. Certes, il est écrit qu’une attestation sera délivrée à l’issue du premier volet, assez léger, du parcours d’accueil. Mais l’ambiguïté figure dans le commentaire des articles où l’on stipule que « l’attestation sera délivrée au terme du volet primaire aux bénéficiaires auxquels le bureau d’accueil n’estime pas devoir proposer de s’inscrire dans le volet secondaire. » Un flou qui inquiète Rachida Meftah : « Il ne faut pas délivrer l’attestation à la fin du second volet. Cela deviendrait trop sélectif. » Elle espère que deux attestations bien distinctes seront fournies. L’une concernant la citoyenneté, l’autre concernant la langue et ce, dès le premier volet du parcours.
Au cabinet de Rudy Vervoort, ministre-président de la Région bruxelloise, on estime que ces questions sont prématurées. Philippe Sterckx, rédacteur du décret, n’a pas encore vraiment digéré la mention de ces cours d’intégration dans la loi sur la nationalité, donnant l’impression d’une récupération du parcours d’accueil par le Fédéral. « Le parcours d’accueil n’est certainement pas une réponse à la loi sur la nationalité », martèle-t-il. « Le Fédéral a décidé sans concertation de mentionner les cours d’intégration. Il faut d’abord avancer sur une harmonisation des parcours d’accueil dans la Fédération Wallonie-Bruxelles et sur une ordonnance au niveau bruxellois. Ensuite, nous verrons si le Fédéral reconnaîtra notre parcours d’accueil comme un cours d’intégration. » Concernant les attestations, Philippe Sterckx affirme qu’il y en aura deux, « l’une à la fin du premier volet du parcours, l’autre du second. Elles seront peut-être acceptées comme telles par le Fédéral. Mais tout cela n’aura lieu que dans cinq ans. Lorsque les premiers primo-arrivants qui ont suivi le parcours pourront demander la nationalité. En cinq ans, beaucoup de choses peuvent changer. »
Une réponse qui révèle, selon Alexandre Ansay, « que l’on est loin d’un accord politique. Pour le moment, c’est le brouillard ». Car aujourd’hui, il reste encore pas mal de choses à préciser. Lui pense qu’il faudrait des organismes de validation de ces cours d’intégration dans chaque Communauté. Ces organismes devraient harmoniser leurs pratiques. « Cela permettrait de se mettre d’accord sur ce qu’est un cours d’intégration. » Aujourd’hui, rien ne dit que les parcours d’accueil seront les mêmes au Nord et au Sud du pays. Même si, pour le Ciré, « rien ne laisse non plus présager le contraire. Tout dépendra de la façon de faire des francophones concernant la citoyenneté ».
Aux yeux d’Alexandre Ansay, cette relative confusion qui règne actuellement est l’ultime preuve « que cette question de l’intégration est prise en otage par les tensions communautaires ».
La loi du 4 décembre 2012 a durci les conditions d’accès à la nationalité belge. Parmi les critères que doivent remplir les étrangers présents sur le territoire national, notons ceux qui concernent l’intégration économique et sociale :
Peut acquérir la nationalité belge en faisant une déclaration de nationalité :
– l’étranger qui a atteint l’âge de 18 ans, séjourne légalement en Belgique depuis cinq ans, apporte la preuve de la connaissance d’une des trois langues nationales et prouve son intégration sociale (par un diplôme belge, une formation professionnelle d’au moins 400 heures, un cours d’intégration ou bien en ayant travaillé de manière ininterrompue au cours des cinq dernières années) ainsi que sa participation économique (…).