Willy Borsus, ministre-président wallon, veut modifier le parcours d’intégration pour les primoarrivants, suscitant l’inquiétude des opérateurs de terrain. Ces derniers rappellent que le décret vient d’être modifié et qu’il n’a jamais été évalué en profondeur. De premières difficultés concrètes sont d’ores et déjà pointées et discutées.
L’unité affichée des partenaires de la majorité wallonne se fissure dès que l’on parle d’intégration des étrangers. Willy Borsus, ministre-président de la Wallonie, a choisi le journal La Meuse du samedi 14 octobre pour annoncer de nouvelles mesures contre la radicalisation.
C’est dans ce contexte qu’il a évoqué le parcours d’intégration. Le parcours devra être à la fois «renforcé», notamment en étoffant l’offre de cours de français; et raccourci de 18 à 10 mois.
Alda Greoli, vice-présidente de la Région et ministre de l’Action sociale, en charge de l’intégration des étrangers, aura la tâche d’étoffer ces annonces laconiques. Mais la sortie impromptue de Willy Borsus ne lui a pas forcément plu. Le 24 octobre, elle s’exprimait sur ce thème au parlement wallon. La ministre rejetait «l’amalgame entre un dispositif d’intégration et des actions de lutte contre le radicalisme». «Le parcours d’intégration doit rester un outil d’autonomie et d’émancipation», précise-t-on au sein de son cabinet. La ministre CDH, au parlement wallon, affirmait toutefois «être ouverte» à la réduction de la durée du parcours, tant que les délais «restent réalistes». Passer de 18 à 10 mois s’avérerait «très compliqué», concluait-elle.
«Certains dispositifs sont presque vides.» Thierry Tournoy, directeur du CRI de Charleroi
Deux visions du parcours d’intégration coexistent donc au sein de la majorité. Aujourd’hui, c’est l’équipe d’Alda Greoli qui rédige une note-cadre pour le gouvernement afin de rapprocher les points de vue. Les centres régionaux d’intégration (CRI), pierres angulaires du parcours wallon, sont consultés.
Ces derniers, dans une note commune, demandent «qu’une évaluation approfondie du parcours d’intégration soit réalisée afin de fournir une base objective à une modification de ses dispositions fondamentales». Car le parcours d’intégration, lancé le 27 mars 2014, vient à peine d’être modifié, le 28 avril 2016. Depuis cette date, l’ensemble du parcours d’intégration (cf. encadré) est devenu obligatoire. Le 13 juillet 2017, un premier (petit) rapport d’évaluation a été remis par le comité de coordination du parcours. Il sera suivi d’une évaluation qualitative. Pour l’instant, quelques éléments issus de ce rapport et du constat des centres régionaux d’intégration permettent de tirer les premières leçons de l’application du parcours.
Une faible demande, une offre morcelée
La Région wallonne prévoyait que 7.800 personnes participeraient au parcours d’intégration en 2016. «Mais le nombre de participants est beaucoup moins important que prévu», constate Thierry Tournoy, directeur du CRI de Charleroi.
En effet, 2.552 personnes seulement ont suivi, sur une durée d’un an, un bilan social dans un centre régional d’intégration. Et parmi eux, seuls 1.548 primoarrivants étaient soumis à l’obligation de participer au parcours. Les 1.004 autres le faisaient sur une base volontaire. «Certains dispositifs sont presque vides», constate Thierry Tournoy, directeur du centre régional d’intégration de Charleroi.
Comment l’expliquer? D’abord, les demandeurs d’asile, arrivés avec la grande vague de 2015, sont le plus souvent repartis vers Bruxelles ou vers la Flandre, là où ils estiment avoir plus de chance de travailler, d’avoir une vie sociale, «et où les problèmes de mobilité sont moins importants», explique Gerson Falcao, de la coordination des activités d’intégration au centre d’action interculturelle (CAI), le CRI de Namur. Et, ajoute-t-il, hormis le canal de l’asile, «il existe peu de possibilités d’accéder au territoire». Thierry Tournoy, de son côté, pointe surtout le public cible: «Il est trop limité, les dispenses sont trop nombreuses» (cf. encadré).
«Des communes font de l’anti-jeu ou n’ont pas envie de participer, elles évoquent l’autonomie communale.» Thierry Tournoy, directeur du CRI de Charleroi
Par contre, le nombre de personnes qui ne sont pas soumises à l’obligation de suivre le parcours, mais qui le suivent quand même, est important. Pour les centres régionaux d’intégration, qui détaillent leur position dans une note commune, «les décisions prises au niveau fédéral obligent des personnes étrangères qui ne sont pas primoarrivantes aux termes du décret à demander de suivre le parcours afin d’obtenir une ‘attestation de fréquentation’ pour obtenir une preuve supplémentaire de leur intégration». Cette attestation pourra leur être utile pour obtenir la nationalité belge, accessible aux étrangers qui peuvent se prévaloir d’au moins cinq ans de séjour (légal) ininterrompu sur le territoire, tout en prouvant leur intégration sociale.
La présence inattendue de ce public n’aura pas suffi totalement à compenser le relatif «manque» de primoarrivants. Les centres régionaux d’intégration ne veulent pas pour autant dire que l’offre de services est trop étoffée. Non, selon eux, le problème est à chercher dans une inadéquation entre l’offre et la demande. «Il n’y a pas trop d’offres de cours français ou de formation à la citoyenneté, détaille Gerson Falcao. À Namur, par exemple, il est facile de suivre des cours de français de tous niveaux. À Gedinne, c’est plus compliqué.»
Des communes qui ne jouent pas le jeu
Les communes ont un rôle important à jouer dans le parcours d’intégration. Elles doivent informer les primoarrivants du fait qu’ils sont obligés de suivre le parcours et sont censées les orienter vers un centre d’intégration. Ce rouage ne fonctionne pas toujours bien.
C’est à la commune qu’un étranger se rend pour entamer ses démarches de «commande» d’un titre de séjour. C’est à partir de ce moment que le délai de 18 mois pour s’acquitter de l’obligation de suivi du parcours commence à courir. Il arrive que des étrangers attendent plusieurs semaines, voire plusieurs mois, entre la commande du titre de séjour et la réception de l’information concernant le parcours d’intégration, leur faisant perdre un temps précieux pour se conformer à l’obligation de suivi des différents modules.
Les communes doivent, de plus, envoyer mensuellement aux centres régionaux d’intégration un listing des primoarrivants enregistrés. Mais, comme le note le comité de coordination dans son évaluation, «certaines communes ne renvoient pas le listing et certaines personnes ne sont pas informées».
Pour le comité, «il est manifeste que faire peser sur les communes la charge de l’identification des primoarrivants éligibles dans le cadre du parcours et l’orientation des personnes vers les CRI reste une méthode inefficiente».
Pour les plus petites communes, c’est le manque de personnel ou de formation qui peut expliquer ces difficultés. «Dans d’autres cas, des communes font de l’anti-jeu ou n’ont pas envie de participer, elles évoquent l’autonomie communale», avance Thierry Tournoy qui rappelle qu’en Flandre «les communes ne jouent pas de rôle dans le parcours d’intégration, les données sont gérées sur la base du registre des étrangers.»
«Le décret prévoit qu’aucune amende administrative ne peut être infligée si la Région ne rencontre pas ses obligations.» Cabinet d’Alda Greoli
Une commune wallonne avait même refusé de signer la convention de partenariat entre les centres d’intégration et les autorités communales, malgré la circulaire du gouvernement. Il s’agissait de la commune de Theux. Philippe Boury, le bourgmestre de la commune, affirme que ce refus «n’avait rien à voir avec une opposition de fond au parcours. On souhaitait nous imposer une convention. Mais les communes sont autonomes, nous sommes dans un État de droit et nous signons les conventions que nous voulons. De plus, la convention était à durée indéterminée, nous avons souhaité que soit inscrit un terme. Mais finalement nous avons signé le document».
Les différences de pratique entre communes entraînent une insécurité juridique. Les primoarrivants ne sont pas traités sur un pied d’égalité en fonction de la commune dans laquelle ils résident. C’est notamment ce qui explique qu’aucune sanction n’est encore appliquée aux étrangers qui ne respecteraient pas leurs obligations de suivre le parcours. «Le décret prévoit qu’aucune amende administrative ne peut être infligée si la Région ne rencontre pas ses obligations en termes d’organisation de l’ensemble du parcours», nous rappelle-t-on au cabinet.
Dispositifs concurrents
Le parcours d’intégration est un dispositif obligatoire. Il coexiste à côté d’autres dispositifs obligatoires, comme le projet individualisé d’intégration sociale (PIIS – un contrat entre bénéficiaires du revenu d’intégration sociale et les CPAS).
Dans les deux cas, ces dispositifs incluent des modules d’apprentissage du français et d’insertion socioprofessionnelle. Ils sont tous deux assortis de sanctions. Il peut s’agir d’amendes dans le cas du parcours d’intégration et aller jusqu’à la suppression des aides sociales dans le cadre du PIIS.
Le rapport du comité de coordination souligne que ces programmes (auxquels on peut ajouter le parcours d’intégration du Forem) sont parfois «complémentaires», mais parfois «concurrents» et, dans tous les cas, ils «manquent de coordination».
«C’est compliqué pour les personnes de faire face à ces obligations, regrette Thierry Tournoy. C’est un peu kafkaïen. Et d’un point de vue philosophique cela pose problème qu’un CPAS puisse conditionner les droits de base au suivi d’un cours de français.» Car le cours suivi dans le cadre du parcours d’intégration peut être pris en compte dans le PIIS. Ne pas s’y rendre pourrait avoir des implications négatives dans les deux parcours. «C’est pour ça que nous avons mis en place un protocole de collaboration entre le CRI de Charleroi et le CPAS de Montigny-le-Tilleul. Nous proposons ainsi un parcours d’intégration commun. Le but est d’éviter les doubles sanctions qui mettraient en péril les droits des personnes.» Le but, aujourd’hui poursuivi par les centres régionaux d’intégration et la ministre Alda Gréoli, est de s’inspirer de cette expérience pour «développer les synergies».
Pour les opérateurs de terrain, ce sont tous ces grains de sable dans les rouages qu’il s’agirait d’évaluer avant de se lancer dans des modifications improvisées du parcours d’intégration. Tous saluent au passage un parcours qui aura permis de refinancer un secteur et qui, dans une large mesure, bénéficie aux étrangers qui le suivent.
Parcours d’intégration: session de rattrapage
Le parcours d’intégration, dans sa version obligatoire, s’adresse à tout étranger qui réside en Belgique depuis moins de trois ans et qui dispose d’un titre de séjour de plus de trois mois.
Le Code wallon de l’action sociale et de la santé prévoit une série d’exceptions: les ressortissants de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de Suisse, ne sont pas couverts par l’obligation de suivre le parcours. Les jeunes de moins 18 ans et les personnes de plus de 65 ans sont dispensés tout comme les travailleurs salariés, les handicapés, les étrangers ayant un diplôme de l’enseignement belge, les étudiants réguliers et, enfin, les ressortissants d’États ayant conclu des conventions d’associations avec l’Union européenne (comme la Turquie par exemple).
L’obligation s’applique à tout le parcours, composé de:
– Un module d’accueil. Un bilan social individuel y est réalisé. Une information sur les droits et devoirs est fournie, ainsi qu’une aide dans les démarches administratives et un premier accompagnement social.
– 120 heures d’apprentissage du français, en fonction du niveau du primo-arrivant.
– 20 heures de cours de citoyenneté.
– 4 heures de module d’insertion socioprofessionnelle.
L’ensemble du parcours, à partir de la «commande du titre de séjour», à la commune, doit être réalisé en 18 mois. Ce parcours est néanmoins ouvert, sur une base volontaire, à tout étranger qui souhaite le suivre.
En savoir plus
«Tegenstroom: l’intégration par le vélo», Alter Échos n°444, 17 mai 2017, Aubry Touriel.