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Regard critique · Justice sociale

Maitre Corbeau

Parole contre parole

C’est devant une chambre correctionnelle à trois juges qu’une mère et sa fille comparaissaient le 5 novembre dernier. Trois juges, parce que l’affaire présente une certaine gravité, comme des faits de mœurs ou des crimes qui ont été correctionnalisés. Dans une salle à peu près vide, à part les juges, la greffière, la substitute du procureur du Roi, mère et fille se confrontent par avocats interposés. Et la douleur semble intense… de part et d’autre.

maitre corbeau

Contrairement à la première vague de Covid et de confinement strict, la salve automnale du virus qui rythme désormais nos vies n’a pas entravé l’activité des cours et tribunaux. Sans doute une nouvelle interruption des audiences aurait créé un tel chaos qu’elle n’était pas envisageable. Les fourgons cellulaires font donc entendre leurs hululements aux abords du palais et, en guise d’accueil, c’est une haie de barrières Nadar qui organise désormais l’arrivée dans le sas d’entrée, pour la fouille et le passage sous le détecteur de métaux.

Comme à l’accoutumée lorsque l’actualité ne signale pas un procès particulier à suivre en priorité, nous nous glissons dans l’une ou l’autre salle d’audience pour tendre l’oreille. Dans cette chambre correctionnelle, rien de très palpitant: des demandes de remise, liées notamment à des mises en quarantaine ou des cas de Covid déclarés. On se projette en janvier 2021 pour une nouvelle audience, 30 minutes de plaidoirie par avocat, donc de une heure trente à deux heures d’audience.

Torture et coups et blessures

Affaire suivante: à gauche, la prévenue, une dame d’une quarantaine d’années, qui se tient debout, raide, inquiète, les traits visiblement tirés malgré le port du masque. À droite, une toute jeune fille, queue de cheval impeccable, la tête sur les épaules, déterminée dans sa décision d’être là, présente pour entendre ce qui va être dit. Leurs avocats respectifs se tiennent à leurs côtés, leur chuchotant sans doute des mots de réconfort et d’apaisement.

Le président du tribunal retire son masque et s’adresse à celle dont on saura assez vite qu’elle est la mère de la plaignante: «Vous êtes ici en qualité de prévenue pour des faits très graves, soit des tortures sur mineure par un ascendant. La gravité des faits explique le fait que nous soyons trois juges à siéger. Vous êtes passible d’une condamnation entre 10 et 20 ans si les faits sont établis. Par ailleurs la prévention de coups et blessures envers votre fille est également retenue.»

Le ton est solennel, voire menaçant. Et le président de donner un aperçu des faits qui font froid dans le dos. À la mi-janvier 2020, la police est appelée à 17 h 41: une jeune fille s’est réfugiée chez une voisine et explique que, le matin même, sa mère lui a brûlé la main avec un fer à lisser et qu’au retour de l’école, elle l’a battue avec une ceinture. Elle explique aux policiers qu’elle est maltraitée depuis qu’elle est toute petite et qu’elle ne le supporte plus. Elle ne veut pas rentrer chez elle. Emmenée à l’hôpital Saint-Pierre, des constats de brûlures de cinq centimètres sur la main et dans le dos sont dressés, ainsi que des hématomes sur les deux cuisses et des griffures sur les avant-bras, les cuisses et dans le cou. Maissa*, qui a alors 13 ans, est gardée à l’hôpital vu l’urgence, pour être ensuite placée dans un centre par le service d’aide à la jeunesse. Lors de son audition vidéofilmée par le service Jeunesse de la police, elle explique que les sévices ne sont pas nouveaux, qu’à 4 ans, sa mère chauffait une cuillère et lui appliquait sur le corps, puis la gardait à la maison pour qu’à l’école on ne voie pas ses brûlures.

«Quand elle est rentrée de l’école, j’ai pris une ceinture et je l’ai battue, mais c’était seulement une fois, j’ai perdu le contrôle de moi-même.» La mère de Maissa

Monologue de sourde

Interrogée par le juge, la mère se défend dans une apparence de calme: «Ce matin-là, je l’ai retrouvée derrière la porte du salon où elle se lissait les cheveux. C’est parce que j’ai ouvert la porte brusquement qu’elle a lâché son fer et qu’elle s’est brûlée. C’est vrai que c’est plus difficile ces derniers temps, elle n’accepte pas mon nouveau compagnon. Je me suis énervée parce que Maissa me ment, ne m’obéit plus, imite ma signature à l’école. Elle me vole: juste avant cette journée, j’avais constaté que 3,70 euros avaient été prélevés avec ma carte bancaire. Quand je lui ai demandé pourquoi, elle m’a parlé de l’achat d’un pain… Ce jour-là, lorsque ma fille était à l’école, j’ai regardé dans ses affaires et j’ai trouvé du maquillage, une robe rouge, des boucles d’oreille. Alors, quand elle est rentrée, j’ai pris une ceinture et je l’ai battue, mais c’était seulement une fois, j’ai perdu le contrôle de moi-même. Cela fait dix mois que je ressasse cela tous les jours, que je ne dors plus. Je veux m’excuser auprès d’elle. Mais ma vie n’a pas été facile: je suis arrivée ici quand Maissa avait 2 ans. Je l’avais laissée avec mes parents au Maroc et j’étais sans papiers ici à faire des petits boulots. Quand j’ai pu, je l’ai fait venir et puis j’ai été régularisée en 2014.»

Un second juge la questionne à son tour: «Est-ce vrai que, jeune fille, vous étiez déjà frappée par vos parents? Vous en avez parlé dans une de vos auditions.» La mère confirme: «Ce n’était pas vraiment de la violence. Une chaussure lancée au travers de la pièce, des gifles. Au Maroc, on fait ça. Mais je sais qu’ici ça ne va pas.»

Le troisième juge intervient et questionne la maman: «Comment envisagez-vous votre futur avec votre enfant?» Elle répond tout de go : «On ne peut pas vivre sans famille. Si elle revient, elle se sentira bien. Les autres enfants demandent après Maissa. Mais elle doit changer, ne plus être jalouse de ses petites sœurs, accepter son beau-père.» Et le juge de rétorquer: «Et vous, qu’allez-vous faire pour changer?»

«Je veux te dire, Maissa, que je crois en ta parole. En tant que représentante du ministère public, il est de ma responsabilité de te protéger. Ces faits sont violents et le fait de se retrouver devant un tribunal pour mettre sa mère en cause l’est encore plus.» Substitute du procureur du Roi

La parole de l’enfant au centre du dossier

C’est au tour de la substitute du procureur du Roi de prendre la parole. Elle rappelle les faits, insiste sur la constance des déclarations de Maissa, sur le fait qu’elle n’était pas ingérable dans d’autres sphères, à l’école par exemple où elle réussit très bien et est respectée par ses pairs. Elle cite également des informations relevées durant l’enquête selon lesquelles une camarade de Maissa aurait déjà prévenu leur maîtresse de 6e primaire qu’elle était victime de maltraitance, mais cela n’aurait pas eu de suites.

La substitute insiste aussi sur le cœur de ce dossier: la parole de l’enfant. «Il faut que cette parole soit prise en compte, car elle est le résultat d’un long cheminement et longtemps la peur des conséquences l’a emporté. Je veux te dire, Maissa, que je crois en ta parole. En tant que représentante du ministère public, il est de ma responsabilité de te protéger. Ces faits sont violents et le fait de se retrouver devant un tribunal pour mettre sa mère en cause l’est encore plus.» Finalement elle ne requiert que trois ans avec sursis probatoire, conditionné à un suivi psychiatrique, la mère n’ayant pas d’antécédents.

Maissa ne dira rien, son avocat parlera pour elle. Elle veut rester jusqu’à sa majorité dans le centre où elle a été placée. Son institutrice de 6e primaire viendra dire quelques mots chargés de la culpabilité de ne pas avoir vu plus tôt ce qui se passait.

Jugement le 2 décembre.

* Prénom d’emprunt

 

 

Nathalie Cobbaut

Nathalie Cobbaut

Rédactrice en chef Échos du crédit et de l'endettement

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