Ces dernières années, les CPAS se sont vu décerner de nouvelles missions, dont celle de développer la participation de leurs usagers à la vie sociale, culturelleet sportive. Mais est-ce bien leur rôle ?
L’asbl Culture et Démocratie1 a débattu de la question avec tous les acteurs lors d’une rencontre à Bruxelles le 15 novembre 2005.
Petit récapitulatif historique. La mesure est née du constat que l’exclusion sociale est multiple et que ses dimensions sont interdépendantes. « Lesactivités, les projets soutenus en matière de participation sociale, culturelle et sportive sont, rappelle Christian Dupont, ministre de l’Intégration sociale, des outilsà leur disposition pour proposer un projet de vie, un premier pas vers l’inclusion sociale pour tous ceux qui sont restés au bord de la route et qui ne connaissent pas la placequ’ils peuvent occuper dans cette société. »
Les CPAS ont reçu un subside pour mener une politique de partenariat avec des acteurs culturels et des artistes. Mais, loin d’aller de soi, ce partenariat interroge. Les artistes nesont pas des travailleurs sociaux. Les CPAS doivent-ils s’ingérer dans les loisirs de leurs usagers ? Culture et Démocratie a rédigé un guide pratique2qui se propose de mettre en perspective quelques aspects de cette mesure et présente des projets concrets menés par des associations en collaboration avec des CPAS.
« On crève de solitude et d’ennui avant de crever de faim »
Jean Blairon4, directeur de RTA à Namur, résume quelques-uns des écueils à éviter. « Les usagers des CPAS ont une culture. Il ne faut pasl’oublier. Mais depuis plusieurs décennies, l’industrie culturelle produit elle-même de l’exclusion tout en matraquant la culture des pauvres. Elle impose un typeformaté de consommation culturelle. Il ne faudrait donc pas croire que la solution peut entièrement venir de ceux qui sont en partie responsables du problème. »
Représentante du CEC Graffiti et professeur à l’École supérieure d’action sociale, Claire Walthéry rappelle qu’il faut agir avec prudence etréflexion. « Nous avons à faire à un public précarisé et en grandes souffrances. Faut-il créer du lien social à travers un projet culturel ?L’important est de ne pas s’illusionner et surtout de ne pas illusionner les personnes avec qui nous travaillons. »
L’art apparaît souvent déconnecté du quotidien des personnes précarisées. Comment renouer l’art à la vie des personnes ? «L’important est de permettre à la parole de circuler en donnant l’espace à tout le monde, souligne encore Claire Walthéry. De créer une expressioncréatrice. Car le piège serait de tomber dans la consommation. L’objectif de ces projets est de permettre aux personnes d’imaginer leur vie, de créer leur parole, demieux comprendre notre monde en partageant le plaisir de la découverte dans une ambiance de bien-être et d’écoute. »
Le service au fond du couloir
Les CPAS exercent un pouvoir non négligeable sur la vie des personnes précarisées. Les assistants sociaux sont chargés d’octroyer un revenu qui est de plus enplus soumis à des conditions. La participation à la vie culturelle, sociale et sportive doit-elle aussi subir ce contrôle ? « Le piège serait de reproduirel’institution totale, prévient Jean Blairon, en concentrant entre les mêmes mains le matériel et le culturel. »
« Au CPAS d’Ixelles, remarque Patricia Schmitz, nous avons scindé clairement les deux services. Les usagers sonnent à une autre porte de leur propre initiative ou parfoisrenseignés par leur assistant social. Le service qui s’occupe de la participation culturelle ne porte pas le poids de la problématique de la personne même si les assistantssociaux peuvent avoir accès au dossier. »
La mission culturelle doit reposer sur un partenariat entre des partenaires… improbables. L’artiste travaille l’imaginaire, le monde intérieur. Le travailleur socialtravaille avec des objectifs d’insertion. Il doit veiller à éviter que des collègues qui jugeraient son travail « futile » ne franchissent jamais la porte de son bureau aufond du couloir. Et les usagers se voient imposer des projets culturels qu’ils n’ont pas choisis. Comment réussir cette rencontre ? « Il faut être vigilants auxrésistances, remarque Mariska Forrest, des Ateliers de la Banane5. J’ai vu, lors d’un atelier d’écriture en prison, les gardiennes faire les piresdifficultés car elles ne comprenaient pas pourquoi les détenues avaient le droit de participer à ce genre de projet alors qu’elles en étaient elles-mêmesprivées. Une solution serait de faire participer les gardiennes, mais dans un atelier séparé. »
« Cette rencontre n’est jamais évidente, explique Claire Walthéry. C’est toujours un choc. Il ne faut pas avoir peur de la confrontation. Rien n’est pire quele consensus mou. On a gagné quelque chose quand tous les partenaires ont changé leur regard : les usagers découvrent leur potentiel. Les travailleurs sociaux neréfléchissent plus en termes de manques à combler mais de compétences à reconnaître et sur lesquelles appuyer leur travail social. Et l’artiste investitle champ social. »
« La tentation est grande de tout contrôler, rappelle Jean Blairon. La participation doit rester volontaire. La bonne volonté peut se révéler dangereuse. Nesous-estimons pas le poids du stigmate. Tout au long du travail avec les usagers, il est important de renégocier le projet. » En conclusion de la rencontre de Bruxelles, un desparticipants, Mohammed, relevait ce point fondamental: « Ce que vous faites pour moi sans moi, vous le faites contre moi. » La citation est de Gandhi.
1. www.cdkd.be
2. Clé, Anne, « Participation culturelle, sportive et sociale, nouvel horizon pour les CPAS. Guide pratique – Comment utiliser le subside octroyé aux CPAS pour promouvoir laparticipation sociale et l’épanouissement culturel et sportif de leurs usagers ?- », Éd. EPO, 2005
3. Rapport général sur la pauvreté, 1994, p. 287.
4. Jean Blairon est également coauteur de « L’Institution recomposée » avec Jacqueline Fastres et Emile Servais. Plus d’informations sur le site www.rta.be
5. Les Ateliers de la Banane, rue du Métal, 38 à 1060 Bruxelles – tél. : 02 538 45 36.