En mars dernier, le site Particit était lancé en Fédération Wallonie-Bruxelles. Concrètement, il s’agit d’une plateforme de financement participatif «centrée sur les arts, l’information et la citoyenneté». Un projet présenté comme «unique», mais qui dérange certains acteurs du crowdfunding à cause de sa proximité avec le PS.
Particit est une nouvelle plateforme de crowdfunding en Belgique francophone. Tout est parti d’un constat que Gilles Doutrelepont a pu tirer lui-même, en première ligne, comme chef de cabinet de la ministre de la Culture de l’époque, Fadila Laanan. «En période de crise, les pouvoirs publics ne parviennent pas à soutenir l’ensemble des dossiers culturels et il est regrettable que certains d’entre eux, qui en valent pourtant la peine, ne puissent pas être soutenus.» En janvier 2013, lorsqu’il quitte ses fonctions de chef de cabinet, l’homme a estimé utile de mettre à disposition son expertise dans le champ culturel et médiatique pour apporter un soutien et une aide à des opérateurs culturels, notamment dans leur recherche de financement. «Car tous les opérateurs ne sont pas au fait dans la manière de présenter ce type de dossier, d’établir un budget, de décrire la finalité du projet. À cette réflexion est venue se greffer la nécessité de soutenir des projets qui ne reçoivent aucun ou presque pas de soutien de la part des pouvoirs publics.»
Cette vision est en phase avec la récente volonté de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) de faire appel au financement participatif pour soutenir certains projets culturels. Dans la déclaration de politique communautaire, le gouvernement prévoit notamment de promouvoir la mise en œuvre de ces sources de financement alternatif «telles que le crowdfunding, le microcrédit pour les petits entrepreneurs des industries culturelles et créatives, le mécénat ou le sponsoring y compris pour les infrastructures culturelles et créatives». Une proposition que l’on retrouvait aussi dans le programme du Parti socialiste qui prévoyait de promouvoir le financement alternatif et d’apporter un soutien financier aux plateformes de financement alternatif valorisant les projets culturels et mettant en avant les arts, l’information et la citoyenneté… Et ce, comme le propose Particit!
À peine né, à peine financé
Bien avant le lancement de la plateforme, Particit avait reçu le soutien financier de la FWB et de la Loterie nationale. Concrètement, dès 2013, l’asbl a introduit un dossier pour bénéficier de subsides. C’est ainsi que le projet a été soutenu pour l’investissement dans le développement de la plateforme, à concurrence de 29.000 euros. Par ailleurs, l’association a perçu deux subventions de fonctionnement de 25.000 euros pour chacun des exercices budgétaires, 2013 et 2014. Seule plateforme de crowdfunding à recevoir un tel soutien public de la part de la FWB, aurait-elle bénéficié d’un traitement de faveur, vu les personnalités proches du PS derrière Particit et son asbl Incubart fondée, elle aussi, en 2013?
On retrouve notamment Gilles Doutrelepont, actuel directeur adjoint de l’Institut Émile Vandervelde et ancien chef de cabinet de la ministre de la Culture, Fadila Laanan. À côté de celui-ci, trois membres de la cellule communication du PS: Laurent Noben, Lionel Rubin et Julien Dereymacker. On peut citer aussi la présence d’Arnaud Leclercq, fondateur de l’agence de communication Genome, agence proche du Boulevard de l’Empereur puisqu’elle s’est chargée de plusieurs campagnes électorales du parti.
En aucun cas, il n’y eut de traitement de faveur, se justifie pourtant Gilles Doutrelepont, l’initiateur de Particit. «L’asbl s’est vu octroyer une subvention, à l’instar de 8.000 autres opérateurs dans le champ culturel. Ces subventions ont été soumises et acceptées par le gouvernement. En toute transparence: avec comme bénéficiaire l’asbl, et comme personne de contact moi-même. L’ensemble des membres du gouvernement de la FWB a eu accès au dossier, a pu s’informer et aurait pu s’opposer s’il le souhaitait. Par ailleurs, comme toute subvention octroyée, elle est liquidée à concurrence de 85% dans un premier temps. Sur la base des factures communiquées, justifiant les frais, le solde des 15% est octroyé», explique-t-il.
Étonné d’être interrogé par nos soins sur ce soutien financier, Gilles Doutrelepont estime que Particit est une offre nouvelle dans le paysage francophone pour soutenir des projets socioculturels qui ne le sont pas ou plus par les pouvoirs publics. Et ce, dans une visée associative, car l’autre spécificité de Particit relève de sa structure juridique, celle d’une asbl. «Notre objectif n’est donc pas de générer du profit. Nous agissons comme une courroie de transmission entre des créateurs qui cherchent un soutien pour un projet et des citoyens qui sont prêts à contribuer financièrement à la réussite d’un projet. Au sein de Particit, nous sommes tous bénévoles. L’avantage est de réduire les commissions par rapport à ce qui est habituellement pratiqué par les plateformes classiques.»
Du côté du cabinet de la ministre de la Culture, Joëlle Milquet, on vient «seulement» de découvrir cette plateforme pourtant soutenue par la FWB depuis 2013. Et selon nos informations, il n’est pas encore certain que la plateforme reçoive un financement pour 2015. «C’est un projet parmi d’autres, mais il ne s’inscrit pas directement dans notre volonté de faire appel au crowdfunding en FWB», nous précise-t-on, en s’étonnant du nombre de personnalités «très proches du PS» qui composent l’association. Au cabinet, on nous rappelle que le soutien financier a été décidé par Fadila Laanan sur la base des subsides de la Loterie nationale «que chaque ministre gère de façon discrétionnaire»: «L’une des raisons de ce soutien, c’est que Particit est la première plateforme à soutenir des projets socioculturels en Wallonie et à Bruxelles.» À noter aussi que Particit est la seule plateforme de financement alternatif à être soutenue de la sorte par la FWB, ajoute-t-on au cabinet de la ministre Milquet.
Critiques injustifiées?
Plusieurs acteurs privés en financement alternatif s’étonnent toutefois de ce soutien officiel de la part des pouvoirs publics pour une plateforme lancée par des membres d’un parti présent au pouvoir en FWB. «Ce qui est choquant, c’est de retrouver à la tête de Particit, un chef de cabinet d’une ancienne ministre de la Culture, qui a pu recevoir un subside financier pour lancer une plateforme de financement alternatif sans qu’il n’y ait aucun appel d’offres», explique l’un de ses acteurs, qui y voit même une preuve d’immaturité de la part des pouvoirs publics, mais aussi un risque de déséquilibre d’un marché en plein essor. «Jusqu’ici, les pouvoirs publics ont eu des difficultés pour penser le nouvel essor du crowdfunfing, ce qui a conduit à des déséquilibres comme avec une plateforme comme Particit. C’est bête car en favorisant un acteur en particulier, on empêche les acteurs existants d’avancer et de se développer», poursuit-il.
Choquant peut-être, mais Gilles Doutrelepont balaie ces critiques «injustifiées», car, selon lui, Particit est tout sauf une histoire de sous. C’est avant tout une réponse aux failles rencontrées dans les systèmes de financement traditionnels. Une réponse apportée, d’après l’ancien chef de cabinet, en toute transparence… «Est-ce que, parce que je travaille pour l’IEV, parce que j’ai un engagement politique, je ne peux pas, à partir d’une compétence acquise et d’une identification d’un problème sociétal, développer une association, solliciter une subvention pour rencontrer ce besoin social non satisfait? Non. Travailler dans le secteur politique ne signifie pas être coupé du monde qui nous entoure, au contraire. J’ai présenté le projet à la ministre Laanan et elle comme nous avons pris toutes les protections juridiques nécessaires pour s’assurer qu’il y ait une totale transparence. Si un opérateur culturel était venu présenter un projet similaire à celui de Particit, j’aurais été très heureux de pouvoir proposer à la ministre qu’elle soumette au gouvernement l’octroi d’un soutien. Plusieurs projets ont été envisagés dans le passé, sans aboutir.» Et Particit compte aboutir.