« L’exil, c’est rarement une décision que l’enfant prend seul. Il est aidé, voire on a décidé pour lui. Que ce soit la famille, des passeurs, ily a un réseau autour du mineur : il a obtenu un billet d’avion et de quoi payer le taxi jusqu’à Fédasil », explique Claude Fonteyne, tuteur de Mena en Belgique.Effectivement, pour les gamins qui viennent du continent africain, difficile d’imaginer autre trajectoire. Pourtant, certains enfants n’hésitent pas à prendre des cheminsbeaucoup plus tortueux.
L’abbé Oswald, directeur de la Caritas de Goma, entre dans le bureau des animateurs DDR1 et annonce tout de go : « Il faudrait prendre contact avec lepersonnel à Muesso. Je viens d’avoir un appel de la Caritas de Rabat. Un enfant qui prétend venir de Muesso est arrivé là-bas ». L’abbé est sceptique. Commentdiable ce gamin de seize ans aurait-il pu parcourir une telle distance ? Des enfants qui s’échappent des centres pour rejoindre l’armée, cela arrive. Des enfants qui se planquentdans des camps de réfugiés en espérant atteindre les États-Unis, ou l’Europe, on sait que certains tentent le coup. Mais passer du Kivu au Maroc pour prendre une barque etfiler vers l’Espagne, voilà qui est pour le moins audacieux. « Il vient peut-être simplement de Kinshasa et prétend venir de l’Est, qui est en situation instable, pouréviter d’être renvoyé au pays », estime l’abbé. « Ce genre de subterfuge est fréquent. La plupart des Congolais qui se déclarentréfugiés disent qu’ils viennent de Goma, mais c’est loin d’être toujours le cas. »
Parmi les travailleurs de terrain, la nouvelle ne surprend pas outre mesure. Muesso est à une bonne centaine de kilomètres de Goma. C’est là que se tient l’un des quatre« Centres de transit et d’orientation » de la Caritas pour les enfants enrôlés dans les forces armées. Pour Eugène Ndwanyi, animateur social en DDR, l’histoiren’est peut-être pas si incroyable qu’elle en a l’air. « C’est vrai que la région est très inaccessible mais si cet enfant sort des troupes armées, il a l’habitude demarcher. Il peut très bien avoir rejoint Kisangani en prenant des camions et en marchant, puis avoir rejoint la capitale par le fleuve. Une fois à Kinshasa, il ne lui reste plusqu’à aller à Matadi et monnayer son départ avec les chargeurs qui travaillent sur les gros cargos. »
Eugène détaille le trajet sur la carte du pays affichée au mur. Une sacrée trotte… Il pointe Matadi, ce minuscule accès à l’océan, porte desortie pour le reste du monde. « C’est le moyen privilégié des jeunes de Kinshasa pour partir : se cacher dans les cargaisons des bateaux avec les marchandises, sans que lecommandant de bord ne s’aperçoive de rien. » Un jeu d’enfant, donc. Quelques semaines ou quelques mois de voyage dans des conditions inhumaines et un morceau d’espoir au bout du chemin.« Il n’y a pas beaucoup d’air et les conditions de voyage sont très pénibles, mais tout le monde sait que les enfants ont plus de chance de survivre, à cause de leur petitetaille », conclut Eugène.
Au vu des milliers de réfugiés venus de tous les côtés de l’Afrique subsaharienne, qui patientent dans les antichambres de l’exil, à Rabat et à Tanger ouaux frontières de Ceuta et Melilla, ce parcours ne serait pas surprenant. Certains désespérés mettent des années avant d’atteindre cette ultime frontièreavec l’Europe. Une fois au Maroc, l’alternative est simple : passer en force dans les enclaves espagnoles ou tenter la voie maritime.
Qu’adviendra-t-il du gamin de Muesso arrivé à Rabat ? Difficile de le prévoir. Mais si son histoire est vraie – les seules certitudes au moment d’écrire ceslignes, c’est qu’il est âgé de 16 ans et de nationalité congolaise – il est peu probable qu’il ait parcouru tout ce chemin pour faire marche arrière.
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Photos : Agence Alter asbl, Bruxelles.
1 Pour Désarmement, Démobilisation, Réinsertion