Le rapport 2006-2007 du délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant1 est le dernier des «années Lelièvre ». Il ouvre la voie à une préoccupation accrue en matière d’enseignement, d’intégration des personnes handicapées ouencore de participation des enfants.
Ce rapport 2006-2007 est « un rapport de transition », selon les termes de Stephan Durviaux qui assure l’intérim en attendant la nomination du prochaindélégué général aux droits de l’enfant (DGDE)2 après le départ de la figure de proue de l’institution, Claude Lelièvre.Ce dernier ayant pris sa pension en septembre après quarante années au service de l’enfance dont seize comme DGDE, s’est presque fait prier pour écrire lapréface du rapport, estimant « à tort ou à raison, que la page était tournée ».
De ces quelques paragraphes préliminaires, on sent parfois l’amertume poindre entre les lignes, lorsque, notamment, Claude Lelièvre se demande comment parler de ce qu’ilreste à accomplir « sans passer pour un professionnel aigri par la déception de ce qu’il n’a pu engranger en seize années de mission ». Pourtant, àlire le rappel historique d’une mise en place, certes inachevée, mais progressive, d’une culture des droits de l’enfant, on mesure le chemin parcouru. Et les obstaclesqu’il reste encore à franchir. Si la maltraitance, la séparation parentale et le retrait du milieu familial forment toujours le gros des requêtes adressées auDGDE3, le rapport 2006-2007 s’attache également à décortiquer d’autres dossiers sensibles comme celui du droit à la scolarisation (voir ci-dessous),la prise en charge de la délinquance juvénile et le scandale que constitue l’enferment des enfants candidats réfugiés ou en situation illégale.
Sur ce dernier aspect, le rapport revient – sans le citer– sur le cas emblématique de la petite Angelica enfermée au 127bis. La visite du centre a permis au DGDE età quelques parlementaires en délégation, de faire un état des lieux détaillé des conditions de vie et des procédures d’expulsion et de voir dansquelles mesures elles avaient évolué au cours de ces dernières années. Le constat est loin d’être optimiste : détérioration des conditions devie, non respect des procédures d’expulsion telles qu’expliquées aux familles et, in fine, « un évident manque de transparence àl’égard des parlementaires et de l’institution du délégué général ».
Pas de suivi pour les mineurs délinquants
Enfants victimes mais aussi enfants « coupables ». La problématique du suivi adapté des mineurs auteurs d’infractions à caractère sexuel reste,à ce jour, non résolue. Le Délégué général constate une « augmentation du nombre de prises en charge de mineurs ayant commis des faits demœurs » au sein des l’IPPJ et souligne son inquiétude face à la réinsertion de jeunes «qui présentent un diagnostic avec risque de récidiveet qui ne bénéficient ni d’un suivi spécialisé au sein de l’IPPJ durant leur placement, ni d’un suivi obligatoire à la sortie del’institution ». Si un module de formation a été expérimenté à l’IPPJ de Braine-le-Château, pour les équipes éducatives, lesinitiatives de ce type sont encore largement insuffisantes pour couvrir les besoins et les demandes de formation de tous les membres du personnel confrontés à ce public sensible et endemande d’un encadrement spécifique. « C’est dommageable dans la mesure où l’on sait que les taux de récidive sont importants, comme pour lesdélinquants sexuels adultes. Mais à la différence d’un adulte, la prise en charge psychothérapeutique d’un adolescent aura plus de chance d’aboutirà un résultat positif », indique-t-on du côté du DGDE.
« Rapport de transition » oblige, le traitement des informations se voulait relativement neutre pour cette édition 2006-2007 – d’où sans doute le conseil deClaude Lelièvre, en préface, de le « décrypter entre les lignes ». Il appartiendra au prochain délégué général d’imprimer samarque sur l’institution. Avec, comme gros chantiers en vue, les questions liées à l’enseignement, à l’intégration des enfants handicapés, lesmineurs étrangers non accompagnés et le manque de moyens patents de l’Aide à la jeunesse. Le prochain DGDE devrait être nommé au plus tard le 28 févrierprochain par le gouvernement.
L’école pour tous n’est pas encore d’actualité
Interpellé par plusieurs dossiers individuels relatifs à la déscolarisation, à la non-inscription ou à l’exclusion scolaire, le DGDE s’estinquiété du phénomène. La Commission pour le droit à la scolarisation mise sur pied en novembre 2005 vient de remettre sa copie. Il apparaît clairement que leprincipe du droit à un enseignement gratuit et obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans souffre d’entraves plus ou moins importantes. Premier constat: le nombre totald’enfants exclus du système scolaire n’est pas connu. Il faut dire que cela recouvre des réalités très diversifiées et que de nombreux casd’exclusion ne sont pas déclarés comme tels. « La procédure d’exclusion est assez lourde d’un point de vue administratif et pour contourner cetteobligation, il n’est pas rare que la direction attende le mois de juin pour dire à l’élève que ce n’est pas la peine qu’il se présente àl’école en septembre. Or, cela reste une exclusion et elle doit légalement être motivée.
Mais les enfants ne connaissent pas toujours leurs droits », explique Karin Vander Straeten, membre de la Commission. Dans ces cas précis, l’exclusion ne s’accompagne pasforcément de déscolarisation… à condition que l’enfant soit accepté dans une autre école à la rentrée. Et c’est ici que joue unautre phénomène : celui du « dossier disciplinaire » officieux, condensé de mauvaise réputation qui suit l’enfant par le biais des coups detéléphone informels entre les directions d’école. En principe, le bulletin scolaire devrait suffire à témoigner du parcours d’un élève,mais dans la pratique, la Commission a relevé cette tendance à stigmatiser doublement des enfants dits « difficiles », qui peinent d’autant plus &agr
ave; retrouver uneécole qui accepte de les inscrire. Les années à venir diront si le décret Inscriptions joue pleinement son rôle2…
Vu la diversité des cas de non-scolarisation – liés à des phobies scolaires, à des trajets trop longs entre le domicile et l’établissement, àdes refus d’inscription, etc.– la Commission a délibérément restreint son champ d’étude aux « enfants présentant des troubles ducomportement ». Mais l’appellation est trompeuse. «Certains professeurs parlent de troubles du comportement pour des faits qui pourraient paraître presque anodins en dehors del’école. Un ado qui refuse d’enlever sa casquette en classe, par exemple », relève encore Karin Van der Straeten. Selon l’étude, les faits de violencesavérés ne représentent qu’une petite partie des exclusions et ce qui est considéré comme violent relève le plus souvent de l’accumulation depetites incivilités au quotidien. De manière générale, elle estime que si l’exclusion est prononcée, cela constitue, en soi, une punition et qu’iln’y a pas lieu d’y ajouter le poids d’un pseudo « casier judiciaire ». «L’enfant a droit à l’erreur et ce n’est pas parce qu’il afait une bêtise qu’il doit être marqué tout au long de son parcours scolaire. Il doit pouvoir retrouver confiance dans une autre école » plaident les chercheurs.Et ce d’autant plus que « les exclusions semblent arriver de plus en plus tôt dans le parcours des jeunes ». Dans ses recommandations, la Commission demande que lescritères d’exclusion soient redéfinis clairement et les procédures respectées. Quant aux outils pour lutter contre le décrochage scolaire et prévenirles exclusions, ils existent, encore faut-il qu’ils soient connus et utilisés à bon escient…
1. Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant :
– adresse : rue des Poisonniers, 11-13, bte 5 à 1000 Bruxelles
– tél. : 02 223 36 99
– répondeur : 02 223 36 45
– fax : 02 223 36 46
– courriel : dgde@cfwb.be
– site : www.cfwb.be/dgde
2. La procédure de désignation est en cours, pour laquelle 22 candidats, répondant aux conditions, ont été retenus. Le nouveau DGDE doit entrer en fonction auplus tard au 1er mars 2008.
3. Sur les 1494 dossiers individuels traités, 597 concernent la maltraitance; 482 des situations de divorce ou de parents séparés et 194 des mesures de placement d’enfants.