Depuis le 1er juillet 2023, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) peuvent faire don de leur sang, à condition de respecter un délai d’abstinence sexuelle de quatre mois. Avant cette date, le dernier rapport sexuel devait remonter à au moins un an. Lors des débats qui ont précédé ce changement de législation récent, différents partis se sont prononcés en faveur de la suppression pure et simple de ce délai d’abstinence, ce qui aurait permis de ne plus faire de différence avec les hétérosexuels. Toutefois, en l’absence de consensus, il a été décidé de ne pas franchir le cap.
Il faut dire qu’on revient de loin. Les décennies suivant la découverte du VIH, au début des années 80, ont été traumatisantes. Les premiers cas signalés aux États-Unis concernaient des hommes homosexuels et le virus était même parfois appelé – à tort – le «cancer gay». «On parlait aussi de la ‘maladie des 4H’ pour désigner les publics très touchés par le VIH: les homosexuels, les Haïtiens, les héroïnomanes et les hémophiles, rappelle Thierry Martin, directeur de la Plateforme Prévention Sida. Au fil du temps, le public des HSH est resté prioritaire dans la lutte contre le VIH.»
Depuis le 1er juillet 2023, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) peuvent faire don de leur sang, à condition de respecter un délai d’abstinence sexuelle de quatre mois. Avant cette date, le dernier rapport sexuel devait remonter à au moins un an.
À l’époque, en pleine épidémie, on commence seulement à comprendre les mécanismes de transmission du virus. Mais on n’ignore pas qu’il peut se transmettre par voie sanguine. Les HSH sont alors exclus à vie du don de sang. «Comme il s’agissait du public principalement concerné par le VIH et qu’il y avait beaucoup de cas d’infections dans cette communauté, les autorités sanitaires ont préféré opter pour cette solution et ainsi éviter tout risque, poursuit Thierry Martin. Ce fut également le cas dans beaucoup d’autres pays. À ce moment-là, il y a eu des procès pour transmission du VIH par transfusion sanguine. Il y avait vraiment une peur qui était aussi justifiée par le fait que les outils d’analyse sanguins n’étaient pas suffisamment fiables.»
Ce n’est qu’en 2017 que la loi belge autorise les HSH à donner leur sang, à condition de respecter un délai d’abstinence sexuelle qui est alors de douze mois. «Je ne sais pas qui pratique un an d’abstinence, que l’on soit homosexuel ou pas, rétorque Mike Mayné, secrétaire du CA d’Ex Æquo, une asbl bruxelloise de promotion de la santé auprès des HSH. Vous n’étiez plus exclu, mais cela revenait à dire que vous ne donniez pas votre sang en tant qu’HSH.»
Un questionnaire vu comme discriminant
Cinq ans plus tard, en juin 2022, un pas supplémentaire est franchi: la commission Égalité des Chances de la Chambre approuve un projet de loi qui réduit de 12 à 4 mois la période d’exclusion des HSH. «Cette réforme a eu lieu suite à une recommandation du Conseil supérieur de la santé, entame Thomas Paulus, responsable communication du service du sang de la Croix-Rouge. Il proposait deux solutions: soit ramener le délai d’abstinence à quatre mois; soit se calquer sur la situation pour les hétérosexuels, mais en ajoutant des mesures de précaution impayables par notre service.» En choisissant la deuxième option, le législateur estime donc que libéraliser complètement le don pour les HSH est pour l’instant encore trop risqué.
Une décision décevante, frileuse et discriminatoire, selon Ex Æquo et bien d’autres associations de lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+. «Cela traduit une volonté d’exclure les HSH du don de sang. Exiger quatre mois d’abstinence sexuelle, ça s’apparente toujours à une exclusion totale», défend Thierry Martin.
Pour lui comme pour d’autres, il faut écarter les personnes du don de sang sur la base de leur comportement sexuel, et pas uniquement en raison de leur orientation sexuelle. Ce que ne permet pas le questionnaire médical qui précède le don. L’intitulé de la question 26, «Pour les hommes: au cours des quatre derniers mois, avez-vous eu des relations sexuelles avec un homme?», est vécu comme discriminant. Car cela sous-entend que toute relation homosexuelle est considérée comme risquée. Or, tous les HSH n’ont pas les mêmes pratiques et ne prennent donc pas les mêmes risques (pénétration ou pas, port du préservatif ou pas, etc.).
Une décision décevante, frileuse et discriminatoire, selon Ex Æquo et bien d’autres associations de lutte pour les droits des personnes LGBTQIA+.
La Croix-Rouge se défend quant à elle de discriminer les HSH à travers son questionnaire pré-don: «On ne pose jamais aucune question en lien avec l’orientation sexuelle du donneur. Après, soyons clairs: si un homme dit qu’il a des relations avec un autre homme, il y a beaucoup de chances qu’il soit gay. Mais il peut aussi être bisexuel…», rétorque Thomas Paulus. «Bien que l’accent soit mis sur les HSH dans ce débat, il est important de souligner que les critères d’exclusion sont liés au comportement sexuel, et évidemment pas à l’orientation sexuelle d’une personne, rappelle Sandrine Daoud, porte-parole du ministre fédéral de la Santé publique Frank Vandenbroucke (Vooruit). Les périodes d’exclusion sont les mêmes pour les personnes qui ont eu des contacts sexuels payants, des partenaires multiples ou des rapports sexuels de groupe. Les personnes qui ont un nouveau partenaire sont également exclues pendant quatre mois.» Car il est évident que les personnes hétérosexuelles peuvent aussi prendre des risques liés au VIH.
Prévalence, mais prévention accrue
Dans les rapports entre hommes, c’est la pénétration anale qui est en cause. «Ce n’est pas uniquement le rapport en lui-même qui est ciblé. C’est surtout parce qu’il y a une prévalence supérieure du VIH et des autres IST (infections sexuellement transmissibles, NDLR) dans la communauté gay et que ce type de rapport là est un gros facteur de transmission», indique Thomas Paulus. Selon un rapport de Sciensano[1], 48% des personnes diagnostiquées ont été contaminées par des rapports sexuels entre hommes, 48% par des rapports hétérosexuels[2]. Cela signifie que la moitié des séroconversions (le fait de passer de séronégatif à séropositif) a lieu dans la communauté HSH. Or celle-ci ne représente que 3% de la population. «Chez les HSH, la maladie est donc plus concentrée et il y a un risque accru de contracter le virus», poursuit Thomas Paulus.
«Les modes de transmission sont les mêmes pour tout le monde. En cas de rapport sexuel non protégé, qu’il soit vaginal ou anal, on est potentiellement à risque», oppose Mike Mayné. D’autant que, «si on analyse le comportement sexuel dans l’ensemble de la société, y compris chez les hétérosexuels donc, on constate que la pénétration anale devient une pratique plus courante, pointe Rudy Gooris. Tout le monde doit être mis au même niveau.»
De nouveau, la différence de traitement trouverait son origine dans la prévalence de la maladie. «Le rapport anal hétéro n’est pas un rapport à haut risque car si on n’est pas malade, il n’y a pas de maladie qui passe. Et comme la prévalence du virus est nettement plus importante chez les HSH, il y a plus de risque de transmission. De plus, les rapports anaux ne sont pas aussi répandus chez les femmes hétéros que dans la communauté gay», soutient Thomas Paulus.
D’après les derniers chiffres de Sciensano, 597 personnes ont reçu un nouveau diagnostic de VIH en Belgique en 2022, soit une hausse de 14% par rapport à 2021. Un chiffre à prendre avec des pincettes car «les tendances annuelles ont fluctué davantage depuis la pandémie de Covid-19, peut-on lire dans le rapport. Globalement, la tendance des nouveaux diagnostics de VIH en Belgique au cours de la dernière décennie reste à la baisse.» Chez les HSH, on note une diminution de 5% des diagnostics de VIH. Ce qui confirme la tendance à la baisse observée les années précédentes. Par contre, chez les HSH de 20 à 29 ans, il y a une nette augmentation des diagnostics pour la deuxième année consécutive. D’où l’importance de rendre accessible le traitement préventif du VIH, la PrEP (prophylaxie pré-exposition). Arrivée en 2017, elle est principalement utilisée par les homosexuels. «Ce médicament est remboursé par l’Inami à condition que la personne entre dans un protocole qui implique le dépistage de l’ensemble des IST tous les trois mois. Il y a donc un suivi très rigoureux», souligne Rudy Gooris, directeur de SIDA-IST Charleroi-Mons.
D’après les derniers chiffres de Sciensano, 597 personnes ont reçu un nouveau diagnostic de VIH en Belgique en 2022, soit une hausse de 14% par rapport à 2021.
Mike Mayné, de l’asbl Ex Æquo, ne comprend pas pourquoi l’exclusion des HSH concernant le don de sang persiste alors que la communauté gay, connaissant la prévalence du virus, a tendance à se protéger davantage. «Elle reçoit beaucoup plus de messages de prévention que la population générale.»
Une priorité commune: la sécurité du sang
Tous les acteurs rencontrés ont la même priorité: garantir la sécurité du sang transfusé. «Une personne séropositive ne peut en aucun cas donner son sang, rappelle Rudy Gooris. On ne prendra jamais le risque et personne n’est là pour le contester.» «Beaucoup de personnes disent vouloir jouir de leur droit au don de sang, mais ce n’est pas un droit. Il s’agit d’une possibilité assortie de conditions», rappelle Thomas Paulus, de la Croix-Rouge. Une position que l’asbl Ex Æquo partage: «Le plus important, c’est bien sûr la santé du transfusé et non pas les intérêts du donneur. Nous respectons le droit fondamental de recevoir du sang, et non pas celui de le donner».
Pour autant, Mike Mayné tient à pointer l’impact de cette loi sur la santé mentale des HSH. «À titre personnel, la première fois que j’ai lu le questionnaire pré-don, je l’ai pris comme une violence, une baffe dans la figure. Pour l’estime et l’acceptation de soi, c’est très dur. Ça n’a peut-être l’air de rien comme ça, mais savoir qu’il y a une différence entre vous et le reste de la population, ça peut vous marquer. Car elle vous fait sentir comme quelqu’un de plus dangereux et malade.»
La Croix-Rouge francophone ignore le nombre d’hommes homosexuels donnant leur sang car elle ne conserve pas ces données qu’elle considère comme inutiles. Mais vu les restrictions qui leur sont imposées, on peut logiquement supposer que leur nombre est limité. «La plupart ne font pas la démarche car ils n’ont pas envie de se faire recaler. Ils savent que, dans les faits, leur orientation sexuelle est un obstacle», estime Mike Mayné. Pourtant, il y a régulièrement, en Belgique comme ailleurs, des pénuries dans les stocks de sang des groupes négatifs et, plus particulièrement, du groupe O négatif (celui des donneurs universels). Les poches de sang de ce groupe sont en effet utilisées dans des situations d’urgence par les hôpitaux quand les soignants ne connaissent pas le groupe sanguin des patients à transfuser ou lorsqu’il n’y a pas de stock dans leur groupe.
Plusieurs pays européens (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas) et extra-européens (Canada, Grande-Bretagne) ont supprimé la période d’attente pour les HSH. En Belgique, détracteurs et défenseurs de la libéralisation du don de sang aux HSH ont les yeux rivés sur ces pays. «Au Royaume-Uni, il semble qu’il y ait de possibles augmentations du nombre de dons positifs au VIH, souligne la porte-parole du ministre de la Santé. L’avis du centre d’expertise sur la santé sexuelle Sensoa au Parlement énumère également un certain nombre de situations similaires. C’est pourquoi l’Académie royale de médecine propose d’attendre d’abord les données de surveillance des pays qui s’assouplissent. Ainsi, nous avons également demandé au groupe de travail susmentionné de recenser les données étrangères et les effets de l’assouplissement actuel.»
Plusieurs pays européens (Allemagne, France, Italie, Espagne, Pays-Bas) et extra-européens (Canada, Grande-Bretagne) ont supprimé la période d’attente pour les HSH. En Belgique, détracteurs et défenseurs de la libéralisation du don de sang aux HSH ont les yeux rivés sur ces pays.
Dans cet exercice d’équilibriste, le législateur doit tenir compte du droit à la protection de la santé des receveurs de dons de sang, mais aussi de celui à la non-discrimination des donneurs. Cet arbitrage doit se baser sur des données épidémiologiques et scientifiques actualisées, mais il doit aussi tenir compte de la faisabilité et de l’impact des mesures d’accompagnement proposées par le Conseil supérieur de la santé, rappelle le Centre interfédéral pour l’égalité des chances (Unia). «À l’heure actuelle, il y a plusieurs avis contradictoires d’instances qui ont une autorité scientifique dans ce domaine. En outre, le Conseil supérieur de la santé a suggéré deux options politiques. Il n’est donc pas facile pour le législateur de procéder à une mise en balance correcte.»
[1] «Épidémiologie du sida et de l’infection à VIH en Belgique. Situation au 31 décembre 2021» (novembre 2022).
[2] 2% par usage de drogues injectables et 1% par transmission mère-enfant.