Pascale Jamoulle1 pratique l’ethnographie. Elle collecte des morceaux de récits, accompagne la mise en mots de réalités de vie. Son dernier ouvrage : Ladébrouille des familles. Récits de vies traversées par les drogues et les conduites à risques2, est le résultat d’un travail d’immersiondans deux quartiers populaires périurbains du Hainaut. Il s’est construit autour d’observations, d’entretiens, de récits biographiques… « Tranches de vie,anecdotes, graffitis et tags, extraits de récits, entretiens informels […] sont autant de petites lucarnes sur les dynamiques familiales, les codes de conduite et les systèmes devaleurs en vigueur dans les “socialités” locales. »
La prévention de proximité
Dans le cadre d’un programme transfrontalier, Interreg II de la Commission européenne3, la recherche a débuté en 1994. Par la suite, elle a été soutenuepar les ministres Detienne (des Affaires sociales et de la Santé en Région wallonne) et Maréchal (Aide à la jeunesse et Santé en Communautéfrançaise). Plusieurs constats ont orienté la démarche de recherche : l’inefficacité de certaines campagnes de prévention des conduites à risque et depromotion du bien-être ; l’aspect non représentatif des populations en contact suivi avec les institutions d’aide et donc l’existence « extra-muros »d’une population pour laquelle les dispositifs en place sont peu adaptés. C’est alors tout l’intérêt d’une prévention de proximité quel’enquête montre. « Il s’agit de se rapprocher des préoccupations des publics, de les capter, de prendre une place face à l’économie souterraine(circuits d’échanges clandestins) qui amène des conduites à risque ». Pour Pascale Jamoulle, c’est de l’adoption par les professionnels d’uneposture qu’il convient de parler. Il faudrait quitter les bureaux et se dégager de la démarche d’aide sociale classique pour aller au plus près du local etdépister la construction sociale du terrain, réduire la distance, entrer dans la dynamique d’improvisation du « tchatche » de rue. De cette nécessité,nombre de professionnels en sont convaincus et sont en demande. Cependant, outre la conscientisation des acteurs, il semble indispensable de travailler également le cadre. Pour PascaleJamoulle, il s’agit de ne pas se limiter à l’affectation de quelques emplois Rosetta pour ce type d’action ; tout comme, exemple en apparence peu important, de ne pas prendreen compte le paiement des frais de déplacement des professionnels qui se rendent dans les familles… La prévention de proximité demande de la part des professionnels unequalification importante et ne pourrait s’effectuer sans stabilité d’emploi. « Avoir de la bouteille » et « prendre le temps » semblent les maîtresmots de la réussite.
Le dialogue entre la chercheuse et les institutions de terrain est constant. Il permet d’observer notamment que certaines difficultés rencontrées par les familles de milieupopulaire sont aussi très présentes dans d’autres milieux. « La marge est une sorte de miroir grossissant de faits sociaux », affirme Pascale Jamoulle. Elleconçoit ses ouvrages comme des petits bouts de connaissances « qui viendraient pallier le manque de temps dont disposent les acteurs de terrain pour se pencher longuement sur lesproblèmes », et qui « augmentent la capacité de comprendre, de s’adapter ». Pas de réponses au « Dites-nous ce qu’il faut faire » maisune pièce au puzzle des ressources.
Actuellement, et dans le prolongement du travail avec les familles où elle constatait la disparition des pères du décor familial ou le discrédit qui les entourait,Pascale Jamoulle questionne ces familles « matricentrées » et approche les récits des hommes, des pères.
1. Pascale Jamoulle travaille en partie au service toxicomanies du Centre de santé mentale du CPAS de Charleroi. Structure pluridisciplinaire et mobile, composée d’unechercheuse et de professionnels psychosociaux.
2. Pascale Jamoulle, La débrouille des familles. Récits de vies traversées par les drogues et les conduites à risques, Éd. De Boeck, coll. Oxalis, 2002.
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