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Regard critique · Justice sociale

Environnement/territoire

Pauvre environnement

Les populations précarisées sont-elles plus affectées par certaines dégradations de l’environnement? En Belgique, beaucoup d’intervenants en sont convaincus. Le sujet est pourtant rarement abordé en tant que tel.

La Nouvelle-Orléans, après le passage de Katrina. Ce sont les populations précarisées qui en ont le plus pris pour leur grade. CC Infrogmation of New Orleans/Flickr.

Les populations précarisées sont-elles plus affectées par les dégradations de l’environnement? En Belgique, beaucoup d’intervenants en sont convaincus. Le sujet est pourtant rarement abordé en tant que tel.

Article publié le 25 octobre 2015.

Qui connaît James Lee Burke? Pour ceux qui ne lèveraient pas la main en guise de réponse affirmative, James Lee Burke est un auteur de polar. Américain. Et comme on a pu le lire sur un site de discussion, le gaillard a l’habitude de «livrer des bouquins dont la qualité est l’exacte opposée de son nom». Dans l’un de ceux-ci, Burke se penche sur le cas de La Nouvelle-Orléans, juste après le passage de l’ouragan Katrina. L’intrigue de La nuit la plus longueThe Tin Roof Blowdown en anglais – est un condensé de tout ce qui caractérise les polars d’outre-Atlantique: un meurtre, des personnages torturés où «bons» et «méchants» finissent souvent par se confondre.

En filigrane, James Lee Burke se livre aussi à une critique amère de la manière dont la catastrophe a été «gérée». Et dresse un constat: ce sont les populations précarisées qui en ont le plus pris pour leur grade. Ne fût-ce qu’à cause de la répartition de celles-ci au sein de la ville, dans les quartiers les plus fortement touchés par Katrina. Burke n’est pas un visionnaire, il ne tire pas son analyse de nulle part. Aux États-Unis, le concept de «Justice environnementale» est défini depuis 1994. Pour l’EPA – l’agence américaine de protection de l’environnement –, il s’agit du «traitement équitable des gens de toutes races, de toutes cultures et de tous revenus dans le développement des règlements, lois et politiques environnementales». De manière plus générale, l’objectif est aussi de tracer un lien entre précarité sociale et expositions environnementales.

Pollution extérieure et intérieure

En Belgique, cette problématique est bien connue dans le secteur environnemental ou social. Pourtant, peu de monde l’aborde de manière spécifique. «Il est vrai qu’il y a une tendance – également du politique – à plus se préoccuper des inégalités sociales. Et pas vraiment des inégalités environnementales. Alors que ces deux facteurs se renforcent», constate Sophie Deboucq, chargée de mission pour Inter-Environnement Bruxelles. Pour Grégoire Wallenborn, chercheur au Centre d’études du développement durable (CEDD) de l’ULB, «il y a également des modes dans la recherche. Il y a eu beaucoup d’articles sur cette question vers 2007/2008. Moins maintenant. Il peut y avoir l’impression qu’on a fait le tour, que tout est dit. D’autant plus qu’au niveau politique, depuis la crise, les questions liées à l’environnement sont quelque peu retombées dans l’oubli». Des données fiables seraient également particulièrement difficiles à trouver.

«Il y a une tendance à plus se préoccuper des inégalités sociales. Et pas vraiment des inégalités environnementales.» Sophie Deboucq, chargée de mission pour Inter-Environnement Bruxelles.


Pourtant, des études récentes existent. En France, l’une d’elles – menée par neuf chercheurs – a tenté de faire le lien entre mortalité due à la pollution de l’air et le fait de résider dans des quartiers pauvres de Paris. Le sujet est «classique»: les populations précarisées s’installent plus souvent dans des zones aux conditions environnementales dégradées. «Une partie des populations à faibles revenus va s’installer à proximité d’entreprises, de lieux plus polluants. Il peut s’agir de pollution de l’air, mais aussi de pollution sonore due au charroi, aux machines, au chemin de fer», explique Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Ces personnes sont dès lors susceptibles de souffrir de cet environnement.

Si ce constat est communément admis, l’étude française pointe un «détail» original: à Paris, certains quartiers riches compteraient parmi les plus pollués. Alors que des zones «pauvres» auraient quant à elles une qualité de l’air bien meilleure. Malgré cela, les classes aisées continueraient d’avoir moins de risque de mourir prématurément, même si leur quartier est très pollué. Un paradoxe? Pas vraiment. La pollution des sols est régulièrement citée comme une autre source de problèmes. Et puis tous les intervenants en conviennent: il ne faut pas limiter la notion d’environnement dégradé aux simples questions écologiques. D’autres facteurs joueraient un rôle. Et viendraient aggraver les effets de la pollution «classique» sur les populations fragilisées. Parmi ces facteurs, on trouve notamment la pollution intérieure, au sein des bâtiments. Marc Roger est responsable du domaine hygiène et salubrité du bâtiment pour «Hainaut vigilance sanitaire». Son constat est clair. «Ce sont les populations précarisées qui souffrent le plus de la pollution intérieure. Si on ne chauffe pas par manque de moyens, si une vitre est cassée, de la condensation puis des moisissures se développent. Soixante pour cent des maisons que nous visitons sont d’ailleurs concernées par ce problème. Et certaines moisissures donnent des allergies, sont cancérigènes. D’autres peuvent amener les gens à développer des hémorragies au niveau des alvéoles pulmonaires.» Un facteur fragilisant qui peut rendre les populations précaires plus sensibles à la pollution extérieure, de l’air notamment.

Et l’aménagement du territoire?

 

Toujours concernant les logements, Christine Mahy note que d’autres éléments peuvent les rendre pénibles à vivre. Et avoir un impact sur la santé de leurs habitants. «Loger dans un immeuble des années 50 faiblement isolé au niveau sonore peut générer du stress. L’exiguïté des communs, le manque de lumière, le fait que la maison puisse être coincée entre un mur à l’arrière et une zone de forte circulation à l’avant ont également un impact non négligeable sur la santé des habitants. D’autant plus si on ne peut pas sortir pour se rendre dans un espace vert.» Ce dernier élément est régulièrement cité. Une bonne partie des populations précarisées aurait du mal à accéder aux espaces verts, particulièrement en milieu urbain. Et pour cause: les quartiers «verts» sont plus chers. Le terme environnement prend dès lors une autre dimension. Pour se rapprocher de l’aménagement du territoire.

«Les questions de justice environnementale touchent aussi au pouvoir d’influencer son environnement.» Grégoire Wallenborn, chercheur au CEDD

 

«On dit que Bruxelles est une ville verte, ce qui est vrai si on la prend dans son ensemble, explique Sophie Deboucq. Mais il s’agit souvent de grands espaces, comme la forêt de Soignes, plus accessible pour les habitants des communes favorisées qui vivent aux alentours que pour ceux des quartiers plus fragilisés du centre. Quand on ne parle pas d’espaces privatisés comme le parc royal. Cela dit, attention: l’environnement, ce n’est pas que le parc. Il s’agit aussi de l’environnement urbain dans son ensemble.» Et dans ce cas précis, tous en conviennent: il est beaucoup plus compliqué pour des personnes fragilisées d’avoir un impact sur l’aménagement de leur environnement. Notamment pour empêcher l’émergence de projets nuisibles à proximité de leur domicile. Sophie Deboucq pointe ainsi la complexité d’outils «technocratiques» comme les enquêtes publiques d’urbanisme, peu accessibles à des publics insuffisamment outillés. «Les questions de justice environnementale touchent aussi au pouvoir d’influencer son en
vironnement. Il est plus facile pour des individus favorisés de se rassembler en groupes de citoyens pour tenter d’influencer des projets d’aménagement du territoire par exemple», constate également Grégoire Wallenborn

Un pouvoir d’influence de l’environnement qui va jusqu’à son logis rongé par la moisissure. Et là aussi, des problèmes se posent. L’accès aux primes de rénovation, par exemple, est compliqué. Il faut bien souvent préfinancer les montants que l’on souhaite obtenir. Avant de se voir remboursé. Pas évident quand on vit dans la précarité…

En savoir plus

  1. L’étude est disponible à l’adresse suivante :  http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0131463
         
Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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