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Regard critique · Justice sociale

Pauvreté infantile bruxelloise : état des lieux plus que préoccupant

Les jeunes Bruxellois subissent de plein fouet la pauvreté : parce que leurs parents ne travaillent pas, qu’ils sont mal logés ou qu’ils la subissent aussi directement, enparticulier à l’école.

19-09-2010 Alter Échos n° 301

Les jeunes Bruxellois subissent de plein fouet la pauvreté : parce que leurs parents ne travaillent pas, qu’ils sont mal logés ou qu’ils la subissent aussi directement, enparticulier à l’école.

Il n’existe pas de recueil régional des données sur la pauvreté infantile. Il y a des données sur la pauvreté où l’on détaille les choses selon lesâges et les régions. Et il y a des données sur l’enfance et la jeunesse où les dimensions sociale et régionale sont prises en compte. Alter Échos atenté une synthèse pour Bruxelles.

Bruxelles jeune

On ne s’en rend pas toujours compte : Bruxelles est une Ville-Région jeune. Ce n’était pas le cas au début des années 70, où sa population était enmoyenne la plus âgée du pays. Mais depuis, plusieurs tendances ont changé la donne, comme l’installation de familles immigrées et l’accès à lapropriété de jeunes couples. Au point qu’on compte près de quinze bébés pour cent habitants chaque année, soit un taux de natalitéconsidéré comme élevé1.

Ce rajeunissement se traduit forcément par un grand nombre d’enfants : 46 337 enfants de moins de trois ans et 122 470 enfants de 3 à 12 ans. Et si on additionne avec les plusgrands : 248 915 enfants et jeunes de 0 à 20 ans. Ce qui représente le quart d’une population avoisinant le million d’habitants.

Cette jeunesse bruxelloise ne se répartit pas de la même manière sur toute la Région. La population est en moyenne la plus jeune dans les communesdéfavorisées de la « première couronne » (Molenbeek et Saint-Josse en tête). Et elle est la plus vieille dans les communes qui touchent lesfrontières régionales comme Woluwé-Saint-Lambert.

La diversité culturelle des jeunes est aussi à relever, même si les chiffres utiles ne sont pas complètement disponibles. On sait ainsi qu’un enfant de 0 à 14 anssur cinq est de nationalité étrangère (intra- ou extra-européenne). Et qu’une bonne partie de ces enfants se concentre dans les quartiers centraux, dits« d’immigration ».

Enfin, on doit aussi attribuer le rajeunissement de Bruxelles à d’autres réalités comme la présence importante des universités et hautes écoles, quiattirent leur lot de « kotteurs ».

Bruxelles pauvre

Si elle est la plus jeune des Régions, Bruxelles est aussi la plus pauvre, celle dont les habitants ont les revenus les plus bas. Plus d’un Bruxellois sur quatre vit avec un revenuqui le place dans les catégories statistiques qui définissent la pauvreté, et qui correspondent p. ex. à un revenu de 878 euros par mois pour un isolé2.En cause directement, le chômage, qui amène trop de familles à dépendre de revenus de remplacement : environ 30 000 ménages bruxellois vivent d’uneallocation du CPAS, et plus de 90 000 Bruxellois touchent une indemnité de chômage. La part des jeunes bruxellois dépendant d’un revenu du CPAS est remarquablementélevée : 9,4 % parmi des 18-19 ans et 7,5 % des 20-24 ans.

Cela dit, l’insertion sur le marché de l’emploi ne suffit pas toujours pour sortir de la pauvreté : près d’un Bruxellois au travail sur 10 dispose d’un revenu quile place sous le seuil de pauvreté. Et on sait à quel point dans notre système belge, les salaires ont tendance à être peu élevés en début decarrière pour évoluer à la hausse en fonction de l’âge. Qui plus est, explique le dernier Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté, « lavulnérabilité financière a des conséquences dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Environ un Bruxellois sur dix connaît des retards de paiement pour deséquipements de base. 40 % des Bruxellois ne peuvent se permettre de prendre une semaine de vacances hors de la maison. Le capital santé des personnes qui vivent dans la pauvretéest précocement détérioré. L’accès au marché du logement devient de plus en plus problématique. Entre janvier 2008 et janvier 2009, le nombre delogements sociaux n’a augmenté que de douze unités, alors que le nombre de ménages sur la liste d’attente a augmenté de 4 000. »

Spirale de fragilités

Bruxelles jeune, Bruxelles pauvre ! On l’a compris, c’est en réalité sur les mêmes populations, et sur les mêmes quartiers, que ces deux problématiquespèsent le plus. Une spirale de conséquences en découle.

L’endroit où elle se marque le plus, c’est l’école. Alors qu’il y a une grande densité d’écoles de tous niveaux à Bruxelles, c’est la Région où lesrésultats scolaires moyens sont les moins bons. Mais il faut ici se méfier des moyennes : quand on examine la situation dans le détail, on constate en effet qu’on a un grandnombre d’élèves à bons résultats, et un grand nombre d’élèves à scolarité difficile. Ou plutôt : une sur-proportion d’écolesoù se concentrent les élèves « à problèmes », une sur-proportion d’écoles à population favorisée et une sous-proportiond’écoles présentant une réelle mixité.

Cette véritable dualisation est due à une addition de mécanismes sélectifs : échec, redoublement, orientation vers des diplômes moinsfavorisés, voire vers l’enseignement spécial, décrochage, absentéisme, abandon et même exclusion ou refus d’inscription. Plus d’un élève bruxellois surquatre quitte l’école prématurément.

Ces formes de relégation jouent d’autant plus pour des enfants qui arrivent en primaire avec déjà des obstacles en plus à surmonter, comme le fait de ne pas parler lefrançais à la maison, ou d’avoir des parents qui n’ont été à l’école qu’en primaire. Et en aval de l’école, des impacts apparaîtront sur toutela vie des personnes concernées, puis sur celle de leurs enfants. La moitié des jeunes dans l’enseignement secondaire bruxellois serait au moins un an en retard. Lesinégalités sociales donnent des inégalités scolaires, qui à leur tour provoquent des inégalités sociales…

Sélection, relégation, stigmates

Les écoles qui concentrent les élèves les plus défavorisés seront donc en partie celles qui rencontreront des problèmes de motivation au sein de leurséquipes d’enseignants, celles qui devront faire face au plus d’obstacles pour s’ouvrir vers l’extérieur (collaborer avec des associations de soutien scolaire, de loisirs culturels etsportifs, d’aide aux familles en difficultés, etc.). Les chiffres confirment aussi que les jeunes des quartiers défavorisés de la première couronne sontsur
-représentés dans des filières moins favorisées (technique, professionnel et artistique), c’est-à-dire qui ne donnent pas l’accès aux étudessupérieures formant aux métiers les mieux rémunérés.

Et de fait, le taux de chômage des Bruxellois entre 18 et 25 ans est (en 2007) de… 31,9 % ! Il est plus élevé dans certaines communes (40,1 % à Molenbeek),et encore plus dans les quartiers défavorisées de ces communes3. Il s’agit de la toute grande partie de ces jeunes, la plupart venant de familles immigrées, qui ontterminé leur scolarité sans diplôme, dans des écoles concentrant les difficultés : la moitié environ des jeunes chômeurs bruxellois n’a pas sondiplôme de fin de secondaire. La plupart resteront en marge du dynamisme bruxellois. C’est qu’avec son économie polarisée par les institutions et les services, laVille-Région ne peut offrir assez de débouchés à des gens sans formation sérieuse.

Contrer les tendances ?

Ce ne sont pourtant pas les ressources qui manquent pour pallier les déficits que les enfants défavorisés risquent d’accumuler et que leurs trajectoires scolairesexacerberont. Crèches et centres d’activités extrascolaires de qualité, suivi socio-sanitaire des jeunes mamans, écoles de devoirs et autres projets de soutien des enfantset des parents face à la scolarité, dispositifs scolaires adaptés aux enfants non francophones, associations sportives et culturelles de quartier, services d’aide auxdifférentes formes de difficultés familiales. Et surtout également, tout ce qui, dans une logique d’insertion durable, permet aux parents d’accéder à du logement etdes soins de santé de qualité à un prix raisonnable, à des revenus suffisants, à des formations et des expériences professionnelles qui les repositionnentsur le marché de l’emploi. Et tout ce qui permet plus généralement de vivre dans des quartiers où les espaces publics sont rénovés, valorisés,animés, sécurisants.

Sans tout cela, la situation serait pire et les tendances à l’appauvrissement seraient socialement encore plus destructrices. Mais les défis sont gigantesques sur tous lesfronts : rappelons, à l’instar du Rapport sur la pauvreté déjà cité, que les enfants nés dans un ménage sans revenu du travail (28 % desbébés bruxellois en 2007) ont deux fois plus de risque d’être mort-nés ou de décéder dans le premier mois de la vie que ceux d’un ménageà deux revenus.

Et s’attaquer aux causes ?

Bruxelles pauvre, Bruxelles jeune ! Il n’y a pas de lien de cause à effet entre ces deux réalités. Mais on l’a compris, s’attaquer à la pauvretéentraîne de facto une amélioration des conditions de vie moyennes des jeunes. La Région n’a pas toutes les cartes en main pour inverser les tendances lourdes (économiques,démographiques, immobilières) qui l’appauvrissent, même si elle s’est efforcée, par exemple d’investir dans le logement social ou dans le soutien des demandeurs d’emploi.Heureusement, la Sécurité sociale fédérale est là pour serrer les plus grosses ficelles de la cohésion sociale, avec des mécanismes comme lesallocations familiales.

L’autre question lancinante est celle d’investir plus et mieux dans les écoles bruxelloises. « Car, à Bruxelles, il ne s’agit pas d’une petite affaire. Selonles projections démographiques, il n’y aurait pas moins de trente écoles secondaires à construire, et des écoles primaires et maternelles en proportion. Il n’ya aucun chantier d’utilité publique d’une importance comparable sur le territoire de la Région », rappelait incidemment Henri Goldman dans un billet du 12septembre dernier4. Pas évident, pour Bruxelles, avec une Région qui n’a quasi rien à dire sur la politique d’enseignement, d’avoir si peu de prise sur ce quiconstitue sans doute sa première priorité.

1. Sauf mention contraire, les données chiffrées citées ici proviennent de la note de synthèse « Les jeunesses bruxelloises : inégalité socialeet diversité culturelle » rédigée par A. Rea, C. Nagels, J. Christiaens pour les États généraux de Bruxelles et publiée dans la revueélectronique Brussels Studies, www.brusselsstudies.be
2. Les données reprises dans ce paragraphe et dans le suivant proviennent du cinquième Rapport bruxellois sur l’état de la pauvreté (2009) réalisé parl’Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capitale : www.observatbru.be/documents/publications/publications-pauvrete/rapports-pauvrete.xml?lang=fr
3. Il faut noter que la situation s’est encore détériorée depuis début 2009 : « Pour la première fois depuis 20 ans, Bruxelles a franchi le cap des 100 000chômeurs en août 2009 », rappelle le Rapport bruxellois.
4. H. Goldman est rédacteur en chef de la revue Politique. Voir son blog à l’adresse : http://blogs.politique.eu.org/Construire-des-ecoles-a-Bruxelles

Thomas Lemaigre

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