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Regard critique · Justice sociale

Pédagogie nomade : une rentrée pas comme les autres

Pédagogie nomade. Rentrée des classes dans une école atypique.

03-09-2010 Alter Échos n° 300

À l’école « Pédagogie nomade »1, élèves et professeurs préparent ensemble la rentrée scolaire. Cette écoleaccueille des élèves en différend avec l’institution scolaire et pratique la cogestion. Une façon de transmettre le savoir qui ne plaît pas à tout lemonde.

Quelques jours avant la rentrée, à Limerlé, c’est déjà l’effervescence. Des professeurs et une vingtaine d’élèves s’affairent dans les locaux del’école « Pédagogie nomade ». Des groupes discutent en réunion, d’autres mitonnent un crumble de poulet dans une atmosphère détendue.Professeurs et élèves préparent activement la rentrée qui concernera 60 élèves de la 4e à la 6e année du secondaire.

Cette école n’est pas comme les autres. Elle n’a pas de portail, pas de grilles. Une caravane peinturlurée offre un peu de couleurs aux habitants du coin. Ce sont des citations deRené Char qui vous accueillent « L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne », peut-on lire sur les murs. Benoît Toussaint, professeur defrançais et membre fondateur de l’école s’enorgueillit de cette présence d’élèves avant même la rentrée, comme un symbole du fonctionnement atypique dela « Pédagogie nomade » : « Nous sommes le 24 août et un tiers des élèves sont présents avec les professeurs pour préparer larentrée et répartir les groupes. Ici, il n’y a pas de moment où les professeurs sont seuls et décident de tout. » Car voilà bien la philosophie del’école : toutes les tâches, toutes les décisions sont partagées entre élèves et professeurs. L’égalité est réelle entre enseignants etapprenants. Les élèves qui atterrissent à Limerlé, peut-être déstabilisés dans un premier temps, peuvent trouver ici un lieu pour s’épanouir,loin des carcans qu’ils ont dû subir dans les classes ordinaires. « Notre public est constitué d’élèves en différend avec l’institutionscolaire », nous précise Benoît Toussaint, une notion qui couvre des réalités très différentes et ne suppose pas forcément que lesélèves aient eu de mauvaises notes. « Il peut s’agir d’élèves exclus, d’élèves en décrochage, d’élèves qui ont un rapportdifficile avec l’autorité ou, tout simplement, d’élèves qui veulent un autre rapport à l’école », ajoute-t-il. Et c’est ce désir d’autre chosequ’il tient à mettre en avant : « Dans une école classique, il y a trois élèves qui écoutent, une dizaine qui rêvassent, et sept ou huit quin’écoutent rien. Ici, les élèves apprennent trois fois plus vite, car ils veulent être en classe. »

L’égalité professeurs-élèves

La philosophie de cette école est bien comprise par les parents d’élèves. Une mère de famille, Raphaëlle Bouillon, qui inscrit son fils à Pédagogienomade, nous explique le sentiment qui l’anime : « Mon fils déteste l’école depuis toujours. De mon côté, j’ai toujours souhaité qu’il ne rentre pasdans un moule, qu’il expérimente différentes choses, comme la peinture, le théâtre, l’écriture. Je voulais qu’il soit lui-même, je pense qu’ici c’est un bonlieu pour mon fils car il apprend bien tout seul. Ici ce qui compte, c’est de s’impliquer. » L’implication des élèves est en effet essentielle dans cette écolecogérée, car la cogestion n’est pas simple à mettre en place. Les repères habituels ont disparu, pas de points, pas de sanction, pas de hiérarchie, pas desurveillance. Selon les fondateurs, il faut au contraire organiser la relation sur la confiance, l’autonomie, le partage des tâches et la décapitalisation du savoir, et cela prend dutemps.

Ce principe de co-gestion – comme la plupart de ceux qui régissent le fonctionnement de l’école – est inspiré d’une expérience menée en France dansune école de Saint-Nazaire. Outre la cogestion et l’égalité professeurs-élèves, deux autres lignes directrices façonnent les idéaux de l’écolede Limerlé : la participation de tous à la gestion de l’établissement (secrétariat, ménage, comptabilité) et la transformation du rapport desélèves et des professeurs au savoir. En Communauté française, les anciens ministres de l’Enseignement, Marie Arena (PS) puis Christian Dupont (PS), avaient fait confianceaux instigateurs du projet, malgré les réticences affichées d’une partie de l’administration. Ainsi, la première rentrée a eu lieu en septembre 2008, et laconfiance ministérielle n’est toujours pas démentie.

« À l’école tu subis tout, ici tu te sens utile »

Certains élèves, tout en manifestant un attachement fort à leur école, ne rechignent pas à lui adresser quelques critiques confirmant l’impression de« joyeux bordel » qui règne à Limerlé. C’est notamment le cas de Charlotte : « Dans mon ancienne école, il n’y avait pas deliberté. Ici nous avons la liberté mais rien n’est prévisible, c’est parfois une usine à frustrations. » Toutefois, la plupart des élèves avouentavoir été séduits par la pédagogie nomade. Louise, par exemple, qui vient juste de s’inscrire, n’en démord pas, Pédagogie nomade est l’école de sesrêves : « Cette école, c’est l’espoir qu’on ne soit pas tous obligés d’aller dans des lieux formatés. » Quant à Camille, elle a trouvéun peu de sérénité dans cette école originale : « Avant j’étais à Bruxelles, je changeais souvent d’école, j’avais des problèmesavec l’autorité, je m’enfuyais tout le temps. À l’école tu subis tout, ici tu te sens utile ».

Fuir de l’école, ça existe aussi à Limerlé. Mais la fuite est tolérée, elle n’est pas vraiment considérée comme une fuite, comme entémoigne Lara, qui fréquente l’établissement depuis un an et demi : «  Au début, je n’ai pas vraiment suivi les cours, je ne venais pas àl’école. Puis ils m’ont donné une seconde chance ». Benoît Toussaint confirme que la première année sert parfois de soupape à desélèves qui « zigzaguent » puis qui se reprennent l’année suivante. « Mais ici, il n’y a pas de redoublement, ce n’est passtigmatisant ». Cette volonté de s’accommoder des écarts des élèves est essentielle dans la façon de concevoir l’enseignement, comme l’affirme notreprofesseur de français : «&
nbsp;La relation est parfois difficile avec certains élèves qui ont un vécu très ancré, il faut changer tous leursrepères, pour qu’ils comprennent qu’on peut aller à l’école pour le plaisir, pour apprendre. Quand ça ne prend pas avec un élève, on cherche à ce quele temps passé ici l’amène vers autre chose et qu’il reprenne sa vie en mains. »

Des méthodes d’apprentissage qui font la différence

Pour réussir à mettre en place un tel projet, il a fallu faire quelques concessions. Tout d’abord, concernant la transmission du savoir, c’est le programme officiel de laCommunauté française qui sert de support. Ce sont les méthodes d’apprentissage qui font la différence. Ces méthodes sont bien sûr décidéescollectivement et dans une volonté de décloisonner totalement les matières.

Autre concession : l’évaluation, les examens. Benoît Toussaint pense avoir évité le piège des évaluations traditionnelles : « Ici,l’évaluation est aussi un temps de formation. Les évaluations sont menées conjointement par les professeurs et les élèves qui se mettent d’accord sur ce qu’il fautaméliorer. Il est absurde de recevoir un chiffre, ce qui est intéressant c’est la discussion, l’échange. »

Des concessions qui ne semblent pas suffire pour une partie de l’administration de l’enseignement. Depuis que l’école existe, les inspecteurs s’échinent à mettre desbâtons dans les roues de cette école qui dérange. « Pour un inspecteur, traiter un élève d’égal à égal c’est compliqué. Quandils viennent, ils regardent si c’est une école comme les autres, ils regardent ce qui manque. Ils ne font pas toujours l’effort de curiosité. Pourtant, quand on voit l’échecscolaire, les redoublements, le décrochage dans le système normal, il faut laisser de la place à d’autres façons de voir », assène BenoîtToussaint. Selon lui, l’administration aurait préféré que pédagogie nomade ne voie jamais le jour, car en matière d’absence, de désignation de professeurs,de sélection des élèves et d’évaluation, les pratiques de l’école ne correspondent pas aux habitudes des inspecteurs. Au vu de cette hostilité del’administration, l’existence de cette école est précaire, soumise aux vents parfois contraires des soutiens politiques.

Vers une double inspection ?

Pour calmer les ardeurs de l’administration et diversifier les évaluations, l’école « Pédagogie nomade » travaille avec le cabinet de la ministre del’Aide à la Jeunesse à l’élaboration d’un protocole de collaboration. Une double inspection Enseignement/Aide à la jeunesse se mettrait alors en place, inspirée dece qui se fait pour les Services d’accrochage scolaire (SAS). Ce projet permettrait d’asseoir un peu plus la présence de cette école dans le paysage local. Une école qui avanceà tâtons, hors des sentiers battus. Une école buissonnière, en somme.

1. École pédagogie nomade :
– adresse : rue Verte, 1 à 6670 Limerlé
– tél. : 0805 11 013
– courriel : peripleenlademeure@yahoo.fr
– site : www.peripleenlademeure.be

Cédric Vallet

Cédric Vallet

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