Peterbos a mauvaise réputation. Cette cité sociale de 3.000 habitants, située sur la commune d’Anderlecht, fait souvent l’actualité pour ses débordements violents et son trafic de drogue. Le quartier cumule les difficultés depuis de nombreuses années et semblait oublié des pouvoirs publics. Mais cela change. Le Peterbos va bénéficier d’un soutien de 15 millions d’euros dans le cadre des contrats de quartier durable. L’occasion, peut-être, d’un renouveau.
En bas du bloc 9, six jeunes hommes discutent avec animation. On roule un joint dans l’assemblée. L’engouement sportif ne saute pas aux yeux, pourtant l’entraînement de foot, sur le terrain délabré, va débuter dans 30 minutes. L’ambiance est bon enfant. Deux vieilles dames s’assoient aux côtés des jeunes. L’une d’elles exhibe ses colliers en or et ses pendentifs: «Regardez, je suis là, et personne ne me vole. Ces gamins, c’est mes gamins, et on dit toujours du mal d’eux.» Youssef, l’un des «gamins» en question – qui doit avoir 25 ans bien tassés –, renchérit: «Il y a eu beaucoup de désinformation sur ce quartier. Regardez, il y a des gens de tout âge, de toutes confessions, et les gens se mélangent et s’entraident.»
Ce quartier dont parle Youssef, c’est le Peterbos, à Anderlecht. Du béton. De la verdure. Des encombrants qui débordent. Une mauvaise réputation.
Lorsque l’attention médiatique se focalise sur ce petit périmètre au bout d’Anderlecht, c’est pour évoquer des heurts plus ou moins brutaux. Dernière poussée de fièvre: avril 2018. Une agression filmée de trois contrôleurs de la Stib. Puis vinrent les jets de pierre sur des journalistes de la VRT et les cailloux jetés sur les forces de l’ordre. En quelques jours la polémique s’est emballée à tel point que Jan Jambon et Theo Francken avaient apporté leur «contribution» au débat. Ce dernier s’étant contenté, sur Twitter, d’un commentaire pour le moins édifiant: «Des jeunes arabes et des pierres…»
«On peut dire que, ces dernières années, le Peterbos a été un peu oublié.», Reda Dhabi, maison des jeunes D’Broej
Autant dire qu’entre les tours du Peterbos, cette période a laissé des traces. Un jeune homme s’emporte contre les policiers qui viennent «jouer aux cow-boys». Un autre critique ces journalistes flamands de les avoir observés de loin «comme s’ils étaient dans un zoo». «Tous veulent diaboliser le quartier!», s’emportent certains membres du groupe.
Mais très vite Youssef embraye sur les «nombreux dysfonctionnements» du Peterbos. Une voirie cabossée. Une plaine de jeux pas entretenue. Le manque de services pour les personnes âgées (qui représentent pourtant 23% de la population locale, NDLR). «On peut dire que, ces dernières années, le Peterbos a été un peu oublié», explique Reda Dhabi, de la maison de jeunes D’Broej. «Le quartier manque de présence des autorités communales, de travailleurs de rue, de possibilités de formation», ajoute-t-il.
L’utopie verdoyante a fait long feu
Au départ, la commune d’Anderlecht imaginait une extension de son parc de logements comme une sorte d’utopie fonctionnaliste et verdoyante nommée le «parc habité». Les 18 tours et bâtiments ont été construits de 1968 à 1981 selon cette notion. L’idée était de mettre le vert en avant. Et il l’est. Les pelouses sont nombreuses sur un site très arboré.
Le revers de cette médaille verte, c’est que le Peterbos est enclavé. Le Ring à l’ouest, la chaussée de Ninove au nord enserrent le quartier. C’est surtout le boulevard Groeninckx de May qui donne l’impression d’isoler, comme une douve, le quartier du reste de la ville. «On se trouve typiquement dans un ensemble de logements d’après-guerre construit en périphérie de la ville dans une logique française assez rare à Bruxelles», peut-on lire dans le diagnostic pour un contrat de quartier durable commandé par la commune d’Anderlecht. «Ce n’est pas un quartier ouvert sur la ville. Il existe un effet bocal», affirme Alexandre Ansay, qui conduisit au Peterbos un projet de recherche-action dans les années 2000. Et cet effet «bocal» est amplifié par des obstacles en termes de mobilité. Le premier métro se situe à plus d’un kilomètre. Le tram ne dessert pas ce coin d’Anderlecht. Restent quelques lignes de bus qui n’amènent pas bien loin. Dans le diagnostic social cité précédemment, l’agence City Tools estime qu’à Peterbos «l’accessibilité en transport en commun est l’une des pires de toute la région».
Les habitants sortent peu de leur quartier. Et les raisons de se rendre au Peterbos sont rares pour des «extérieurs». «Beaucoup de gens ne sortent que pour aller au shopping du Westland ou à la rue Wayez», témoigne Nathalie De Camps, de l’association Samenlevingsopbouw, présente dans le quartier depuis les années 80. «Mais les principaux problèmes pour les habitants sont liés à l’emploi, à l’état de leurs logements et à la santé», ajoute-t-elle.
«Le quartier manque d’infrastructures, de travailleurs sociaux et d’investissements dans la jeunesse.», Katrien Ruysen, chargée de prévention de la commune d’Anderlecht
Le Peterbos n’est pas un quartier socialement mixte. Il n’est composé que de logements sociaux et le chômage y est massif. Les chiffres du «Monitoring des quartiers» sont interpellants: seuls 15% de la population de la cité Peterbos sont actifs sur le marché de l’emploi. Le taux de chômage est de 48,52%. Quant à celui des jeunes, il dépasse les 50%. Et encore, le «quartier» au sens du monitoring inclut des zones un peu plus aisées aux alentours.
Et puis l’état des voiries, comme celui des logements, laisse à désirer. Des rénovations ont été menées, le plus souvent des façades de ces vieux bâtiments. À l’intérieur des appartements, les travaux sont plus rares ou sont annoncés pour les prochaines années. Les logements sont souvent surpeuplés. «Des enfants doivent faire leurs devoirs sur leurs genoux, témoigne Carine Willems, elle aussi de Samenlevingsopbouw. Et puis la promiscuité entraîne des tensions. On note aussi beaucoup de problèmes de santé, liés à l’humidité dans les appartements.»
Dans ce contexte difficile, certains jeunes «expriment une frustration, explique Nathalie De Camps. Ils ont l’impression d’avoir été abandonnés». Des frictions ont lieu avec des représentants de l’autorité. Mais l’atmosphère entre habitants n’est pas toujours au beau fixe. Monique Peters habite le quartier depuis 47 ans. Elle préside le conseil consultatif des locataires du Foyer anderlechtois. À ses yeux, «la situation du quartier se dégrade». Elle dénonce les «nombreuses incivilités», les halls d’escaliers occupés et, surtout, les «problèmes liés au trafic de drogue».
Trafic
Les autorités communales, elles, voient la situation d’un œil sévère. Katrien Ruysen dirige le service prévention de la commune d’Anderlecht. «Il existe une réelle insécurité liée à la structuration d’un trafic de drogue à grande échelle», dit-elle. Cette affirmation découle d’une étude menée par son service dans le quartier, pendant plusieurs mois. «Pour une criminalité organisée, un quartier avec de telles difficultés sociales permet de trouver facilement des ‘ressources’, des personnes sans emploi, qui ont l’impression de n’avoir aucun avenir.»
Elle décrit un quartier devenu «tolérant» à l’égard de ces activités délictueuses et des jeunes adolescents transformés en guetteurs. Sur le terrain, Mohammed Fallouj, fondateur de l’asbl B13 Family, qui tente d’accrocher les jeunes les plus difficiles du quartier par le football, ne nie pas l’ampleur du problème. «C’est vrai que, pour certains jeunes pas très bons à l’école, la perspective de se faire 2.000 euros par mois… c’est de l’argent facile. Ce n’est pas pour rien qu’un des principaux problèmes ici, c’est le décrochage scolaire.»
Katrien Ruysen pense qu’il faudrait renforcer le travail de son service dans ce quartier. Peut-être avec des éducateurs de rue. Très certainement avec des projets d’insertion socioprofessionnelle. «Mais le contexte de peur qui règne actuellement empêche de travailler correctement». C’est pourquoi, au mois de janvier 2018, la fonctionnaire de prévention a plaidé pour que des opérations policières musclées constituent le préalable à tout renforcement du dispositif préventif.
«Les lieux se prêtent bien à toute sorte d’organisations criminelles. On voit arriver de loin les forces de l’ordre.», Kathleen Calie, commissaire
La police de la zone de Bruxelles-Midi a bien conscience de la situation. La commissaire Kathleen Calie explique qu’elle n’a pas attendu l’enquête du service prévention pour renforcer les patrouilles au Peterbos. «Mais nous nous faisions canarder depuis les toits», déplore-t-elle. Aujourd’hui, «la police patrouille encore, et la situation s’améliore». Une antenne du commissariat devrait ouvrir ses portes dans le quartier à l’automne 2019.
En parallèle, des enquêtes sont menées pour démanteler le trafic local qui s’explique en partie par le déplacement de dealers d’autres quartiers d’Anderlecht suite au renforcement de l’effectif policier dans certaines zones (place Lemmens, Saint-Guidon). «Et puis les lieux se prêtent bien à toute sorte d’organisations criminelles. On voit arriver de loin les forces de l’ordre, il est très facile de se cacher», détaille Kathleen Calie.
À quelques encablures de là, non loin du bloc 16 – l’un des plus hauts du quartier avec ses 20 étages –, un jeune garçon contextualise: «Bon, le trafic OK, ça existe, pas forcément plus qu’ailleurs. Mais s’il y avait du travail, il n’y aurait pas de commerce de drogue.»
Un contrat de quartier durable. Une bouée de sauvetage?
«Le quartier manque d’infrastructures, de travailleurs sociaux et d’investissements dans la jeunesse», déclare Katrien Ruysen. Bien sûr, des associations sont présentes sur le site. Il y a Samenlevingsopbouw, qui s’occupe de cohésion sociale; la maison des jeunes du réseau D’Broej, qui tente d’accrocher les jeunes grâce à la pratique de sports extrêmes tout en remplissant des missions d’insertion socioprofessionnelle. Des permanences sociales sont ouvertes par les sociétés de gestion des logements sociaux. Une école de devoirs ouvre ses portes dans le bloc 17… mais sa capacité est trop réduite pour répondre à la demande.
Ces acteurs associatifs, souvent frustrés du manque d’attention des pouvoirs publics, sont aujourd’hui en effervescence. Les autorités communales ont annoncé avoir obtenu un soutien financier de la Région bruxelloise pour la cité Peterbos au titre des «contrats de quartier durable». Quinze millions d’euros seront lâchés pour rénover le quartier sur une période de six ans. «Certains investissements n’ont pas été faits par la commune ces dernières années», reconnaît Christophe Dielis, échevin (MR) responsable des contrats de quartier et de la rénovation urbaine. «Cette manne va permettre d’investir dans les infrastructures et dans l’action socioculturelle.»
L’infrastructure sera le premier poste budgétaire de ce contrat de quartier avec 7 millions d’euros investis dans la création de nouveaux équipements. Le «totem», pour citer les mots de l’échevin, sera la construction d’une grande salle polyvalente, à la fois sportive et associative, dont l’objectif sera de décloisonner le quartier en y attirant de nouveaux publics. On prévoit la fin des travaux pour 2025. La voirie, les espaces publics seront aussi réparés ou réaménagés pour 2,5 millions d’euros.
Enfin, des projets associatifs devraient recevoir environ 1,5 million d’euros. L’espoir suscité par ce contrat de quartier est énorme. «On en attend beaucoup, admet Reda Dhabi, de D’Broej. Nous allons être soutenus financièrement et on pense au potentiel que ça peut amener; mais on voit dans d’autres quartiers que ces contrats font souvent des déçus.» Chez Samenlevingsopbouw, la méfiance a déjà cédé face à la déception. «Ce qui me révolte, c’est que les autorités veulent faire plaisir à toutes les assos en donnant un peu à tout le monde, sans vision pour le quartier, lance Nathalie Decamp. Il ne faut pourtant pas manquer l’opportunité. Car les gens ont l’impression d’avoir été abandonnés. Ils ne font plus confiance aux institutions.» Les premiers fonds devraient être débloqués dès le début de l’année 2019.
En savoir plus
Alter Échos n° 429-430, «Pas d’emploi pour les jeunes», Julien Winkel, 28 septembre 2016