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Petit à petit, les Social Impact Bonds font leur nid

Financer des projets sociaux par le biais d’investisseurs privés? C’est ce que permettent les Social Impact Bonds. Il y a deux ans, un premier projet de ce type voyait le jour à Bruxelles. Aujourd’hui, Alter Échos fait le point sur le dossier. Si le nombre de SIB au niveau mondial n’a rien d’impressionnant, en Belgique et en France, on sent comme un frémissement.

Un soutien présidentiel pour les contrats à impact social

Financer des projets sociaux par le biais d’investisseurs privés? C’est ce que permettent les Social Impact Bonds (SIB). Il y a deux ans, un premier projet de ce type voyait le jour à Bruxelles. Aujourd’hui, Alter Échos fait le point sur le dossier.

Mais que sont donc devenus les Social Impact Bonds? Il y a un peu plus de deux ans, tout ce que la Belgique comptait comme opérateurs sociaux s’était passionné pour ce mécanisme de financement venu de Grande-Bretagne. Il ne s’agissait pas d’un hasard. Une première association ayant levé des fonds par le biais des «SIB» venait de voir le jour à Bruxelles. Son nom: Duo for a job. Son objectif: organiser du mentorat en mettant en contact de jeunes chercheurs d’emploi issus de pays hors Union européenne avec des seniors. Le tout afin que ces derniers les soutiennent dans leur recherche d’emploi.

Si les SIB suscitaient tant de remous, c’est qu’ils ont de quoi interpeller. Ils permettent à des investisseurs privés de faire «fructifier» leur argent au bénéfice d’un projet social porté par un prestataire de services à but non lucratif, avec un retour sur investissement si les résultats sont à la hauteur. Les SIB font intervenir quatre partenaires: le pouvoir public, un organisme intermédiaire, des investisseurs privés et le prestataire de services. À cela s’ajoute un évaluateur externe. L’organisme intermédiaire est chargé de lever des capitaux auprès d’investisseurs afin de lutter contre une problématique. C’est généralement le pouvoir public qui identifie cette problématique et qui choisit ensuite le prestataire de services à qui les fonds levés vont bénéficier. Des résultats à atteindre par le prestataire sont fixés. Si le programme est un succès, les investisseurs sont remboursés par le pouvoir public avec un certain taux de rendement. Et ce même pouvoir public peut alors décider de reprendre le financement du projet à son compte de manière structurelle. Si l’expérience se solde par un échec, les investisseurs disent adieu à leur argent.

«Nous tentions de nous lancer et c’était très compliqué parce que nous n’avions pas de résultats. On nous promettait de nous aider… mais une fois que nous aurions obtenu des résultats.», Frédéric Simonart, un des deux administrateurs délégués de Duo for a job

Pour certains, cet outil constitue une menace. Il pourrait entraîner une financiarisation du social. Pour d’autres, les SIB constituent une opportunité à une époque où les fonds publics se font rares. Ils permettraient notamment de tester l’efficacité de projets sociaux innovants qui sans cela n’auraient jamais trouvé les fonds nécessaires pour se lancer. Un cas de figure qui s’est vérifié pour Duo for a job. «Nous tentions de nous lancer et c’était très compliqué parce que nous n’avions pas de résultats», nous expliquait il y a deux ans Frédéric Simonart, un des deux administrateurs délégués de Duo for a job. On nous promettait de nous aider… mais une fois que nous aurions obtenu des résultats.» Finalement, Duo for a job croise la route d’Actiris, qui va jouer le rôle de pouvoir public. Et de KOIS Invest – une société d’investissement – en guise d’organisme intermédiaire. Le tout afin de tester un financement par le biais de SIB.

Inutile de dire que le procédé génère tout de suite quelques crispations. Lors d’un débat organisé sur le sujet en septembre 2014 par SAW-B – la fédération d’économie sociale –, on sent poindre une crainte: que les gouvernements ne jurent plus que par les SIB au détriment des financements structurels. «Je n’ai pas peur de l’outil SIB, mais du mythe qui se construit autour de lui», s’alarme alors Bernard Horenbeek, directeur de Credal.

La grande invasion?

Deux ans plus tard, le mythe a-t-il eu la vie dure? Remarquons tout d’abord que le nombre de projets financés par le biais des Social Impact Bonds n’a pas explosé au niveau mondial. Les chiffres sont compliqués à vérifier, mais d’après le site «Instiglio.org», il existerait près de 100 «SIB» de par le monde. Les raisons de cette relative discrétion sont multiples. Première explication: parce qu’ils ont besoin de mettre en place des indicateurs de réussite facilement quantifiables, les SIB ne se développent que sur des projets de petite ou moyenne taille concernant des questions très spécifiques. C’est d’ailleurs un des reproches qui leur est régulièrement fait. «Les projets menés dans le cadre de SIB ne s’intéressent qu’à réduire les effets d’un problème spécifique, déplore Michel Chauvière, directeur émérite de recherche au CNRS. Ils n’opèrent pas sur les phénomènes plus macros générant ce problème.»

Autre piste: d’après Christophe Schinckus, de la «School of management» de l’Université de Leicester, les SIB «ne peuvent servir à financer toutes les questions sociales tout simplement parce que ces actifs ne génèrent pas de retours – NDLR financiers – assez élevés en comparaison avec l’incertitude qu’ils génèrent»1.

«Les projets menés dans le cadre de SIB ne s’intéressent qu’à réduire les effets d’un problème spécifique. Ils n’opèrent pas sur les phénomènes plus macros générant ce problème.», Michel Chauvière, directeur émérite de recherche au CNRS

Enfin, les résultats parfois contrastés de SIB «historiques» peuvent aussi avoir eu un impact. Il en va ainsi du fameux projet de Peterborough, la première expérimentation de SIB. Lancé en Grande-Bretagne en 2010, le projet avait pour objectif de diminuer le taux de récidive de personnes majeures condamnées à des peines de prison de moins de 12 mois. Le tout en leur offrant un soutien individualisé lors de leur incarcération, jusqu’à un an après leur sortie. Pour ce faire, trois cohortes de 1.000 prisonniers de Peterborough – bénéficiant de l’accompagnement – devaient être comparées à un groupe témoin de prisonniers provenant de l’ensemble du Royaume-Uni et n’ayant pas été accompagné. Pour recevoir un paiement, les investisseurs devaient espérer une réduction du taux de récidive d’au moins 10% sur une des cohortes. Ou de 7,5% sur l’ensemble des trois.

Après des résultats mitigés sur la première cohorte – 8,39% de récidive en moins par rapport au groupe témoin –, le gouvernement britannique a annoncé que le SIB de Peterborough prendrait fin en 2015. Alors qu’il était programmé jusqu’en 2017. Pourquoi? Parce que le gouvernement entendait mettre en place un programme à l’échelle nationale proposant un accompagnement pour tous les prisonniers condamnés à de courtes peines. Résultat des courses: il devenait impossible de comparer les cohortes de Peterborough au reste des prisonniers de Grande-Bretagne étant donné que ces derniers allaient également bénéficier d’un accompagnement. Ce qui faussait toute l’expérience. Le gouvernement britannique a certes indiqué que son nouveau programme avait été influencé par l’essai de Peterborough. Mais cet arrêt soudain a parfois été vu comme un coup de canif dans le système des SIB. Même si tout le monde n’est pas d’accord. «Après quelques années, le gouvernement britannique a vu que ça fonctionnait. Pourquoi aurait-il continué à payer jusqu’au bout des sept années», s’interroge ainsi Thomas Dermine, qui avait été l’une des chevilles ouvrières des débuts de Duo for a job.

Notons aussi que le coût de certains SIB est parfois dénoncé. «Les SIB coûtent cher en intermédiation, il y a beaucoup de structures qui interviennent», explique Denis Stokkink, président du think tank «Pour la solidarité». Le coût de l’évaluation, nécessitant du travail et l’accès à de nombreuses données, est régulièrement cité. De même que la difficulté qu’il y a à mettre des SIB en place. «Il faut convaincre les participants, organiser une objectivation. Ce n’est pas facile et c’est ça qui explique aussi qu’ils coûtent cher et qu’il n’y en a pas tant que ça», souligne Raphaëlle Sebag, directrice opérationnelle de l’Impact Invest Lab, situé à Paris.

Belgique: bientôt de nouveaux SIB

Le faible nombre de Social Impact Bonds existant aujourd’hui ne veut cependant pas dire que le système ait perdu de son pouvoir de séduction. À Bruxelles, le financement de Duo for a job par le biais des SIB vient de prendre fin. Et il faut croire que cela a fonctionné. En trois ans, la structure est passée de deux équivalents temps pleins à 20… Pour financer cette croissance, Duo for a job n’a pas compté que sur les Social Impact Bonds. La structure est aussi allée chercher d’autres financements auprès de fondations, d’entreprises, etc. Si bien qu’à la fin, la part des SIB ne représentait plus que 10% de son budget. Mais pour Frédéric Simonart, passer par ce mode de financement a été primordial puisqu’il a généré un véritable «buzz» autour de Duo for a job. «Le fait de fonctionner avec des SIB nous a non seulement crédibilisés mais nous a aussi fait beaucoup de pub, note-t-il. Résultat: des fondations qui n’étaient pas très chaudes à l’idée de nous financer au début ont fini par le faire.»

Cet engouement a également déteint sur Actiris qui, rappelons-le, jouait le rôle de pouvoir public dans le projet. L’organisme régional de l’emploi a en effet décidé de reprendre à son compte le montant financé jusqu’à fin 2016 par les SIB. C’est donc lui qui fournira 150.000 euros en 2017 à Duo for a job alors que tous les résultats du projet ne sont pas encore connus… «Nous avons créé 70 duos en 2014. Et pour cette cohorte, les résultats sont positifs. 43% des jeunes impliqués dans le programme ont travaillé trois mois sur les douze derniers mois alors que seulement 32% du groupe de contrôle l’ont fait», explique Frédéric Simonart. Avant de se montrer prudent. «En ce qui concerne les résultats des 110 duos de 2015 et des 130 duos de 2016, nos estimations montent à 53% d’insertion. Mais ce ne sont que des estimations qui n’ont pas encore été corroborées par l’évaluateur externe – NDLR: un groupe de trois chercheurs de l’Université de Liège

«Nous espérons pouvoir mettre en place un appel à projet doté d’une somme tournant autour de 300.000 à 450.000 euros.»,Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris

Une incertitude qui n’a donc pas empêché Actiris de décider de soutenir Duo for a job. Avant de rembourser les investisseurs? Rappelons que pour que ceux-ci commencent à toucher de l’argent, il faudra que le taux d’insertion des jeunes pris en charge par l’asbl dépasse de 10% celui du groupe de contrôle. Pour 2014, on y est. Mais il faudra que les résultats soient aussi bons pour 2015 et 2016 avant qu’Actiris ne délie les cordons de la bourse. Un organisme régional de l’emploi qui semble d’ailleurs très motivé pour la suite. «Nous espérons pouvoir mettre en place un appel à projet doté d’une somme tournant autour de 300.000 à 450.000 euros, explique Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris. Il aura pour vocation à financer trois nouveaux opérateurs par le biais des SIB. Mais je tiens à préciser qu’il nous faut encore l’aval du comité de gestion.»

Détail croustillant, c’est KOIS Invest – déjà impliqué dans Duo for a job – qui devrait épauler Actiris dans la mise en place du projet. La société d’investissement, décidément très présente, déclare également avoir été désigné pour venir en aide au VDAB dans la mise en place d’un projet de SIB à Anvers, centré sur les jeunes Neet’s (Not in employment, education or training). Elle est également partie prenante en tant qu’intermédiaire à la mise en place d’un projet de Social Impact Bonds impliquant le gouvernement belge – en plus d’autres pays comme la Suisse ou les Pays-Bas – et le Comité international de la Croix-Rouge. But de l’opération: soutenir des centres de réhabilitation pour personnes ayant perdu un membre dans des pays en situation de «post-conflit». «C’est le CICR qui est venu nous voir afin que nous les aidions, explique François de Borchgrave, administrateur délégué de KOIS Invest. Et nous sommes allés trouver les gouvernements.»

Notons que KOIS Invest déclare aussi discuter avec d’autres autorités publiques. S’agit-il notamment du SPP Intégration sociale, dont certains disent qu’il a été approché par des investisseurs? Du côté de Julien Van Geertsom, président du SPP Intégration sociale, on dément. François de Borchgrave se veut moins catégorique… «Il y a des discussions avec des services publics fédéraux. Mais il faut voir où cela va mener…»

Dites «contrats à impact social»

Il n’y a pas qu’en Belgique que les SIB semblent avoir le vent en poupe. En France, le gouvernement – et plus particulièrement Martine Pinville, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire – a lancé un appel à projets le 16 mars 2016. Celui-ci s’est clôturé le 30 janvier 2017. But de l’opération: permettre aux acteurs sociaux de déposer des projets répondant à des besoins sociaux comme l’insertion socioprofessionnelle, le décrochage scolaire, la protection de l’enfance, le soutien aux familles fragilisées. Le tout en passant par des Social Impact Bonds à la française, renommés «contrats à impact social» pour l’occasion. Un simple lifting langagier? «Pas du tout, répond-on au cabinet de Martine Pinville. Ce que nous faisons n’est pas comparable aux SIB anglo-saxons. Le mécanisme est bien sûr semblable, mais nous visons l’impact social et l’innovation sociale. Pas le rendement. Beaucoup d’investisseurs sont d’ailleurs des Fonds issus de l’économie sociale, et pas des banques.»

«Si, au bout des six ans du projet, 320 personnes ont été intégrées, les investisseurs verront les 1,3 million d’euros du projet remboursés, avec une prime de 195.000 euros», le cabinet de Martine Pinville, secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire (France)

Une différence majeure est à souligner entre les SIB et les contrats à impact social. Dans le cas français, les investisseurs bénéficieront d’une prime fixe – et non pas de rendements – si les projets atteignent leurs objectifs. «Il sera impossible pour les investisseurs de faire une plus-value énorme», continue-t-on au cabinet de Martine Pinville. À ce jour, deux projets issus de l’appel ont été signés. L’un d’eux, lancé par l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie), entend «promouvoir l’insertion des publics éloignés de l’emploi dans les territoires ruraux fragiles, grâce au financement et à l’accompagnement de projets de création d’entreprises et de retour à l’emploi salarié» par le biais du microcrédit. «Si, au bout des six ans du projet, 320 personnes ont été intégrées, les investisseurs verront les 1,3 million d’euros du projet remboursés, avec une prime de 195.000 euros», illustre le cabinet. Une somme rondelette tout de même.

Ce point mis à part, on a toutefois un peu de mal à voir en quoi les contrats à impact social diffèrent réellement des SIB. Un bémol qui fait réagir Raphaëlle Sebag. «Un SIB ou un contrat à impact social, ça n’existe pas en tant que tel. Chaque projet est différent et constitue en quelque sorte une hybridation. Il s’agit vraiment d’un contrat spécifique à chaque projet.» Notons que le Social Invest Lab a été lancé récemment par plusieurs acteurs2 dans le but «de contribuer au débat, d’expérimenter et d’accélérer le développement de l’investissement à impact social en appuyant des projets innovants à forts enjeux sociétaux qui bénéficient à toutes les parties prenantes». Son premier chantier sera celui des contrats à impact social.

On le voit, cela s’accélère en France. Une accélération qui suscite des inquiétudes. «Ces contrats sociaux sont le signe que rien ne résiste au marché, que quelque chose a été rompu dans le pacte social par rapport au modèle social historique, souligne Michel Chauvière. Celui-ci n’est plus le monopole de l’État, et cela m’inquiète. Le social n’est pas une start-up…»

La Commission européenne s’y met aussi

Du côté du cabinet de Marianne Thyssen (CD&V/PPE), la commissaire européenne des Affaires sociales, on annonce avoir mis en place un instrument pour financer des Social Impact Bonds. Dans le cadre du Fonds européen pour les investissements stratégiques, trois instruments ont été prévus afin de soutenir des entreprises sociales, des organisations du secteur social. L’un d’eux – lancé le 14 octobre 2016 – fonctionne sur la base de SIB où le Fonds européen d’investissement pourra jouer le rôle de co-investisseur. Les «garants» du SIB pourront être des pouvoirs publics, mais aussi des fondations ou même des organisations du secteur privé. Le budget du mécanisme sera de 25 millions d’euros au minimum. Le cabinet de Marianne Thyssen note toutefois «qu’il ne s’agit que d’un pilote pour tester ce genre d’instrument. À ce stade, il est trop tôt pour tirer des conclusions sur le succès et la valeur ajoutée des contrats d’impact social en général». Notons que les parties intéressées peuvent introduire leurs demandes jusqu’au 5 mai 2018.

Julien Winkel

Julien Winkel

Journaliste

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