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Regard critique · Justice sociale

Santé

Petites leçons de fin de vie

Médecins, psychologues ou simplement volontaires, ils s’interrogent sur leurs pratiques d’accompagnement et sur les soins palliatifs.

Médecins et psychologues portent un regard critique sur les soins palliatifs et l’accompagnement face à la mort. Les bénévoles peuvent redonner de l’humanité à une médecine devenue de plus en plus technique.

Dans un livre qui vient de paraître aux Presses universitaires de France (PUF), Nés vulnérables, la psychologue belge, Agnès Bressolette, aborde son expérience dans un service de soins palliatifs d’un hôpital bruxellois. « Aujourd’hui, même en Belgique, la question de la fin de vie reste problématique. Quand elle est abordée, on la réduit toujours en termes dichotomiques et en choix exclusifs : l’euthanasie contre les soins palliatifs, l’acharnement thérapeutique contre l’accompagnement humain… C’est tout ou rien, mais on se trompe en pensant de la sorte, surtout dans une période où la vie comme la mort est toujours davantage technicisée et instrumentalisée. Il est essentiel d’y réinjecter de l’humain ! »

Dans ce témoignage, Agnès Bressolette épouse les antagonismes qui se posent face à l’avancée de la maladie, de la souffrance, de la douleur et de la mort. « Confronté à la souffrance, le patient est renvoyé à une solitude qui le paralyse. C’est à nous comme écoutant, comme soignant, à pousser le patient à travailler sa souffrance, à intégrer l’insupportable, malgré le découragement psychique et physique. » Selon la psychologue, ce travail de la souffrance passe par le travail en équipe, avec une présence intense à offrir auprès du patient. « Mettre en place un rythme de présence qui lui permet de mettre en mots, en gestes ce qu’il vit à l’hôpital. Qu’il ne se réduit pas non plus au seul état de malade, mais qu’il vit toujours… » Mais l’urgence actuelle, ce sont les contraintes énormes qui pèsent sur le personnel soignant. « Le turn-over est immense, le métier difficile, la pression terrible. Malheureusement, nos responsables politiques pensent d’abord aux réalités économiques, avant de mettre en avant ce travail de terrain. »

Pas qu’un mouroir…

Comme psychologue, Agnès Bressolette l’affirme : elle n’est pas là pour répondre à l’urgence, c’est le rôle des médecins et des infirmiers, « mais je suis là quand la personne s’effondre, pour la soutenir, elle et son entourage. » Pour la psychologue, il faut aussi rappeler cette évidence : les soins palliatifs, ce n’est pas que répondre à l’approche de la mort. « On garde l’image d’une unité de soins de palliatifs comme un mouroir où le seul remède serait la pompe à morphine. Une unité de soins qu’on rejoint quand tout est déjà fini. Mais en faisant cela, on banalise la fin de vie, on nie la vulnérabilité de notre expérience comme si la question de la mort ne pouvait être prise en charge que par la science, comme si l’humain n’était qu’une machine. »

Autre témoignage interpellant, celui du médecin et chirurgien, Oscar Grosjean. Dans L’adieu choisi, il s’interroge autant sur l’euthanasie que les soins palliatifs en Belgique. Il dénonce un « shopping médical désespéré ». Selon lui, on a porté depuis des décennies plus d’intérêt aux technologies qu’aux besoins du patient. Alors qu’approprier sa fin de vie et sa mort ne peut être possible qu’avec la compétence, l’empathie et le respect témoignés par les intervenants tout au long de sa maladie. « Actuellement, la fin de vie se réduit trop souvent à un acharnement thérapeutique, totalement insoutenable et inhumain. L’hôpital est devenu une fabrique de patients pour lesquels il faut trouver une réponse curative à tout, mais c’est un leurre… »

Des avancées mal utilisées

Le chirurgien déplore que la question de l’accompagnement de la mort ne se retrouve actuellement dans aucun enseignement pour les futurs médecins. « Il ne faut pas s’étonner que la fin de vie reste toujours aussi difficile à choisir, à accompagner, même en Belgique. Patients comme médecins restent mal préparés à cette épreuve. Il est surprenant de constater à quel point ces derniers ont peu conscience de ce que la mort est une épreuve à laquelle chacun sera confronté et qu’il faut enfin songer à l’adoucir. »

Selon Oscar Grosjean, il faudrait porter beaucoup d’attention dans l’accompagnement de la fin de vie à l’aspect psychosocial et familial. Une grande ambition des soins palliatifs est de rencontrer, notamment, les souhaits du patient… « Mais en Belgique, 70 % des patients préféraient terminer leurs jours chez eux, à la maison. Pourtant, dans la pratique, plus de 70 % meurent dans des institutions de soins. C’est un paradoxe coûteux en dépenses de santé et en souffrances humaines. » Sans compter que le recours aux soins palliatifs vient beaucoup trop tard : les équipes de soins palliatifs sont souvent alertées trop tard. Pour le chirurgien, elles ont à peine le temps de prodiguer leurs conseils que le patient est déjà en train de mourir. « On ne peut plus faire de projets de qualité, ni émettre de suggestions utiles. Le travail du deuil des proches en est rendu d’autant plus difficile. »

La solution, le volontariat ?

Pour accompagner au mieux le patient et sa famille dans cette antichambre de la mort, de nombreux volontaires sont présents, soit dans les unités de soins ou à domicile. En Wallonie, répartis sur les cinq provinces, ils sont 361 volontaires en soins palliatifs : 166 en hôpital, 138 à domicile et 55 qui conjuguent les deux lieux. La procédure de sélection d’un volontaire peut aller jusqu’à un an. Les exigences concernent principalement la disponibilité du candidat-volontaire (souvent 4 heures par semaine), l’obligation de participer aux groupes de parole, à des réunions, formations et autres évaluations. « Les bénévoles de notre association suivent une formation de base en soins palliatifs d’environ 40 heures où ils apprennent des notions d’écoute active. Ensuite, le volontaire s’engage à suivre une formation annuelle continue », explique-t-on à l’Association des soins palliatifs en province de Namur (ASPN)1 qui compte trois équipes de volontaires dans la région. « Devenir volontaire est le fruit d’un engagement personnel fort, surtout lorsqu’on parle de soins palliatifs. Les bénévoles sont avant tout là pour offrir leur présence auprès des patients en fin de vie et parfois, de leurs proches. Il s’agit d’une rencontre d’humain à humain, sans enjeux professionnels. »

Les volontaires ne proposent pas d’accompagnement médical ou psychologique, mais interviennent en plus des soignants habituels qui s’occupent du patient. « Généralement, les soignants regrettent de ne pas avoir assez de temps pour s’asseoir et discuter longuement avec les patients. La présence des bénévoles est donc souvent bien accueillie par les professionnels de la santé qui constatent l’impact positif de ce passage auprès des patients. » Malheureusement, les bénévoles ne sont pas assez nombreux pour couvrir l’ensemble du territoire et certaines zones ne sont pas couvertes. L’appel est donc lancé…

1. Fédération wallonne des soins palliatifs :
adresse : rue des Brasseurs, 175 à 5000 Namur 
tél. : 081 22 68 37 
site : http://www.soinspalliatifs.be

En savoir plus

Agnès Bressolette, Nés vulnérables, PUF, 2013

Oscar Grosjean, L’adieu choisi : Acharnement thérapeutique, soins palliatifs et euthanasie, Couleur livres, 2013

Pierre Jassogne

Pierre Jassogne

Journaliste

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