Des huissiers de justice qui volent au secours des personnes endettées, c’est assez inhabituel. Proposer un projet «émancipateur» dans la gestion des dettes, cela suscite la curiosité. Ajoutez le fait que MyTrustO bénéficie en Flandre du label d’entreprise éthique et on comprendra pourquoi l’association a été nominée pour le prix fédéral de Lutte contre la pauvreté cette année. Mais l’initiative pose pas mal de questions chez les acteurs de terrain.
Totalement inconnu dans la partie francophone du pays, MyTrustO a ouvert en un an plusieurs bureaux d’huissiers «sociaux» en Flandre et, tout récemment, à Bruxelles. L’initiative fait beaucoup parler d’elle notamment dans la presse associative et de manière élogieuse. Normal: le projet a tout pour plaire. Porté par Beweging.net, une plate-forme d’associations née de l’ACW (Mouvement ouvrier chrétien flamand), MyTrustO est avant tout le projet d’un huissier de justice, affirme Patrick Van Buggenhout, qui se définit comme un «huissier social». Pour MyTrustO, les pratiques habituelles de recouvrement de dettes ne sont pas efficaces. Elles n’offrent pas de perspectives «aux entreprises qui ne sont payées que partiellement ou pas du tout» et pas non plus aux débiteurs qui continuent à «s’enfoncer dans la pauvreté».
Que propose alors MyTrustO ? «C’est le débiteur qui demande de son propre gré à l’huissier de justice d’examiner, en tant que fonctionnaire ministériel, l’ensemble de sa situation financière et patrimoniale et, sur la base de celle-ci, de proposer un plan de remboursement réaliste sous le contrôle du huissier de justice», explique son concepteur Patrick Van Buggenhout. On le voit, d’emblée MyTrustO fait référence au crédit que peut avoir un huissier pour donner aux débiteurs comme aux créanciers une garantie de sérieux, de fiabilité.
Un huissier qui intervient dans une procédure de recouvrement au nom du débiteur, c’est légal. La loi permet aux huissiers et aux avocats de jouer ce rôle plus souvent dévolu aux centres agréés de médiation de dettes et aux CPAS. Mais en quoi le service rendu est-il différent et pourquoi un débiteur serait-il plus enclin à se tourner vers MyTrustO? Pour éviter la honte. MyTrustO s’adresse à un public qui n’ose pas faire appel au CPAS même si le gaz et l’électricité sont coupés à la maison. C’est une niche importante, celle des classes moyennes, qui subissent une perte d’emploi, un gros coup dur financier mais qui ont encore la capacité de se prendre en main et de s’en sortir, analyse, dans la revue Juristenkrant, Bertel De Groote, professeur d’économie, membre du comité scientifique de MyTrustO.
Pour MyTrustO, les CPAS et les centres agréés de médiations de dettes, c’est pour les paumés, résume froidement Mohammed El Omari, coordinateur du Vlaams Centrum Schuldenlast (VCS), le centre de médiation flamand. Cela ne le trouble pas. «Nous en avons discuté avec Patrick Van Buggenhout: le public n’est pas le même et en ce sens MyTrustO peut être considéré comme une solution alternative. Les CPAS réagissent négativement à ce qu’ils perçoivent comme une concurrence mais ils ont tort: beaucoup de personnes endettées ne veulent pas être aidées par un centre agréé ou un CPAS.»
Pub mensongère?
Mais cela a un coût. Se faire aider par MyTrustO se paie 150 euros, rien que pour faire démarrer le dossier, 50 euros par mois minimum ensuite. Dans un centre agréé, cette aide est gratuite. Pour Mohammed El Omari, le fait de s’adresser à un public «différent» et peut-être prêt à payer pour éviter la case «CPAS» n’élude pas les questions qui se posent en termes d’accompagnement de la personne. Chez MyTrustO, le débiteur doit se mettre à «nu», tout livrer sur ses dettes mais aussi sur ses avoirs, son patrimoine, ses données personnelles auxquelles l’huissier aura accès. Une intrusion dans la vie privée bien plus grande que ne le ferait un CPAS. «Mais ce “screening” est-il aussi qualitatif?», s’interroge le VCS. La plupart des personnes endettées ont aussi des problèmes psychosociaux qui sont souvent à l’origine de l’endettement. Mohammed El Omari s’interroge aussi sur la qualité de l’information qui est donnée au débiteur. Est-il informé sur la longueur de la procédure (et donc son coût final), sur les possibilités de sortir du plan de recouvrement proposé? Le VCS a posé ces questions et bien d’autres au comité scientifique de MyTrustO, sans réponse encore pour le moment.
La question la plus importante est relative à ce qui fait la spécificité même de MyTrustO. Dans toutes ses publications, MyTrustO assure au débiteur que le plan de recouvrement proposé est «juridiquement accepté». Pour Anne Defossez, directrice du Centre d’appui aux services de médiation de dettes en région bruxelloise, cela ressemble fort à de la publicité mensongère. En réalité, l’association tente d’établir avec certaines entreprises des accords préalables qui feraient en sorte que, à la suite de son intervention, le plan de recouvrement proposé soit d’office accepté. Ces entreprises deviennent alors des partenaires de MyTrustO. C’est une très bonne idée, concède Anne Defossez, mais dans la pratique? Lorsqu’on consulte la liste des partenaires, on trouve beaucoup d’associations et quelques entreprises comme la Spaarbank, deux hôpitaux, une société de logement social. Un peu maigre. «Ce sont souvent les créanciers publics, comme le fisc, qui sont les plus agressifs, constate Mohammed El Omari. MyTrustO tente bien d’obtenir des accords avec de grandes banques ou des fournisseurs d’énergie mais prétendre que leurs services assurent systématiquement une solution “juridiquement” acceptée n’est pas correct.»
Cela n’a pas empêché MyTrustO de gagner un procès devant le tribunal de commerce de Hasselt en septembre 2015. Un créancier avait refusé le plan d’apurement de MyTrustO, le juge l’a condamné pour «abus de droit». «MyTrustO est une initiative “respectable”», a dit le juge. Il fallait donner une chance au plan proposé. Ce jugement est indicatif du crédit dont peut bénéficier MyTrustO par le seul fait d’être géré par des huissiers de justice. «Si des créanciers acceptent de travailler avec MyTrustO, s’ils sont d’accord de se montrer souples dans les plans de paiement proposés, ils doivent aussi le faire avec des institutions reconnues par la loi comme le sont nos centres de médiation», estime le coordinateur du VCS. L’image positive de l’huissier auprès des créanciers ne manque pas de poser la question d’un potentiel conflit d’intérêts. Le député Renaat Landuyt (SP.A) s’en est fait le relais auprès du ministre flamand du Bien-Être Jo Vandeurzen (CD&V): intervenir dans un dossier pour défendre les créanciers et dans un autre comme médiateur «neutre» pour des débiteurs ne pose-t-il pas problème? «On verra, c’est trop tôt pour juger», répond le ministre.
La Chambre nationale des huissiers a en tout cas pris ses distances avec MyTrustO dans une lettre adressée à l’ensemble de la profession. «Les coûts sont élevés alors qu’un plan d’apurement réalisé par un huissier est toujours gratuit. Par ailleurs, un huissier ne peut compter de frais sans base légale», nous explique Sylvie Vanmaele. Et d’enfoncer le clou: «MyTrustO trompe le public en prétendant offrir une protection juridique contre tous les créanciers. La seule protection légale, c’est le règlement collectif de dettes.» C’est aussi ce que rappelle Marc Brackeva, le président de la Chambre nationale, dans sa lettre. Ce dernier ajoute un autre reproche, celui du manque de confraternité quand MyTrustO s’en prend aux huissiers qui n’acceptent pas le plan de recouvrement proposé. On voit bien là les limites mais aussi l’avancée d’un projet qui a pour ambition de s’attaquer au business généré par le recouvrement de dettes. «Patrick Van Buggenhout est sincère quand il dit vouloir un recouvrement éthique, analyse Mohammed El Omari. Mais ce souci de réduire les frais des huissiers, nous l’avons aussi.»
«Huissiers de justice, une profession au service des entreprises ?», Alter Échos n°365, 13 septembre 2013, Nathalie Cobbaut.
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«Huissiers de justice, une profession au service des entreprises ?», Alter Échos n°365, 13 septembre 2013, Nathalie Cobbaut.