C’était le 26 février. Dans un article du Soir, le journaliste Eric Deffet s’intéressait à une inquiétude de la ruralité wallonne: et si la Région oubliait, dans son plan de relance, qu’elle est aussi un territoire rural? En cause, la faible présence des enjeux ruraux dans les 20 grands axes présentés par le gouvernement en vue de répartir les 1,4 milliard d’euros que la Région wallonne touchera du plan de relance européen. Au total, seuls deux d’entre eux font directement référence à la ruralité: «biodiversité et adaptation aux changements climatiques» pour 105 millions et «relocalisation de l’alimentation et développement de plateformes logistiques» pour 85 millions. Soit 10% du total à peine.
De quoi alarmer de nombreux élus locaux et députés. «Cela fait trop longtemps qu’on néglige nos communes sur le plan financier, se désole Pierre Dury, échevin des finances de la commune de Beauraing. Du coup, des gares ferment, nous avons de moins en moins de services de proximité et on perd en attractivité. Si on se rend compte que les plans de relance mettent nos petites communes au second plan par rapport aux grandes villes, ça ne va pas le faire.» Même inquiétude chez François Bellot, député MR au parlement wallon: «J’ai décidé d’interpeller le gouvernement sur ce point. Il ne faut surtout pas qu’il y existe de déséquilibre dans les fonds alloués entre milieux urbains et ruraux.» Du côté du gouvernement, on essaye de rassurer. D’abord parce que certains axes seront transversaux à ces deux types de territoires, mais aussi parce que la Région apportera une rallonge importante à ce 1,4 milliard d’euros. Le 21 mai, le plan de relance complet a été connu (plan «Get up Wallonia» + «plan wallon de transition» prévu dans la déclaration de politique régionale + plan de relance européen). Il distribuera, au total, 7,64 milliards d’euros.
Nouveaux fonds
Alors, quelle est la place de la ruralité dans ce nouveau plan? Trois nouveaux projets seront spécifiquement destinés aux communes rurales: le développement de pôles regroupant des services de proximité pour tous (10 millions d’euros), la création d’espaces de coworking en milieux ruraux (4 millions) et le renforcement des programmes communaux de développement rural (25 millions). «Ces trois points sont très importants dans notre plan, affirme Céline Tellier, ministre de l’Environnement et de la Ruralité. Ils vont aller directement à ces communes qui manquent cruellement d’espaces de travail et de services de proximité.» Avec d’autres projets, «l’investissement dans les territoires locaux, porté par la ministre Tellier et le ministre Collignon (en charge du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville, NDLR), se montera à 84 millions d’euros», avance le gouvernement.
À prendre également en compte dans les fonds alloués au monde rural: la création de deux parcs nationaux, le soutien à l’investissement dans les pouvoirs locaux et les communes rurales (135 millions) et bien d’autres axes… qui pourront aller aux communes aussi bien rurales qu’urbaines.
Des projets transversaux
C’est là toute la difficulté de connaître la part d’argent qui sera allouée à la ruralité et aux zones urbaines. Car la majorité des axes sont transversaux aux deux territoires. On pense notamment aux budgets pour encourager la rénovation des bâtiments publics et des logements, à la digitalisation, l’inclusion sociale, l’économie circulaire, la mobilité… «Pour le moment, on ne peut pas faire les comptes, explique Catherine Fallon, elle aussi professeure à l’Université de Liège et membre du conseil scientifique de «Get up Wallonia». Il faudra surveiller cela de près, une fois que l’argent sera distribué.» Il faudra également regarder les autres plans de relance, ajoute Éric Haubruge: «Le fédéral veut, par exemple, augmenter la part modale du train ou s’attaquer aux problématiques des zones blanches en haut débit. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on veut aussi rénover les écoles, les infrastructures sportives et culturelles. Il est possible que tous ces plans harmonisent les choses.» Pour le moment, les détails du plan de relance fédéral ne sont pas connus.
«La Wallonie est un petit territoire, ajoute aussi Céline Tellier. Beaucoup de personnes de communes rurales viennent travailler ou étudier dans de grandes villes. Nous ne voulons pas et ne croyons pas dans cette opposition entre ruralité et urbanité.» Un avis partagé par Éric Haubruge: «Il faut que ces plans de relance interconnectent les différents territoires. Il faut dire qu’intervenir sur l’agriculture ou les forêts, c’est bon pour les citoyens des villes et qu’inversement, mieux financer les universités des grandes villes, c’est positif pour les petites communes.» Mais Catherine Fallon prévient: «Sur certains points, je suis d’accord. Mais certaines problématiques sont différentes et il faudra être vigilant à la bonne répartition entre les grandes villes et la ruralité. C’est une question d’égalité. Et pour que la distribution soit égale, il faut que les modalités le soient aussi.»
«Une grande partie des fonds sera allouée via des appels à projet. Pour y participer, il faut faire des consultations, des plans, des études d’impact, mettre en place un calendrier précis, etc. Tout cela, c’est très lourd à porter pour une petite commune.» Catherine Fallon, ULg
L’inquiétude des appels à projets
C’est un autre point qui inquiète les bourgmestres: les modalités de distribution des fonds du plan de relance wallon. Pour le moment, elles ne sont pas connues. «On y travaille, explique Céline Tellier. Les administrations sont à pied d’œuvre. Il y aura des leviers différents comme des subventions, des forfaits ou des appels à projets.» L’enjeu est loin d’être anecdotique pour les petites communes. Selon Catherine Fallon, «une grande partie des fonds sera allouée via des appels à projets. Pour y participer, il faut faire des consultations, des plans, des études d’impact, mettre en place un calendrier précis, etc. Tout cela, c’est très lourd à porter pour une petite commune». «Sur des programmes transversaux à la ville et à la ruralité, nous voulons aussi avoir la possibilité de candidater, renchérit Baudouin Schellen, bourgmestre de Viroinval. Sauf que nous n’avons pas les capacités humaines et financières pour préparer des dossiers solides sur une courte durée. Les grandes villes, elles, les ont.» Une formule de distribution qui pourrait, in fine, désavantager la ruralité par rapport aux centres urbains. «Je ne peux qu’aller dans ce sens, s’inquiète Xavier Delmon, chargé de la cellule d’animation du Réseau wallon de développement rural. Si tout se fait par appel à projets, il est très probable que les communes les mieux outillées financièrement et humainement sortent gagnantes de cet exercice.»
«Nous sommes en pleine réflexion sur ce point-là, affirme Céline Tellier. Nous devons impérativement donner les mêmes chances à tous les territoires.» Il serait par exemple envisageable de financer directement les communes via un programme d’accompagnement ou de demander aux intercommunalités d’aider les petites communes à préparer leur dossier. Mais selon la majorité des acteurs interrogés, la solution serait de mandater et de financer les groupes d’action locale (GAL) pour accompagner les petites communes dans le montage des candidatures. «Les GAL sont mieux placés que les intercommunalités. Ils sont sur le terrain, connaissent bien les enjeux et leur personnel est très compétent, explique Catherine Fallon. De plus, ils aident déjà directement les petites communes à obtenir des financements dans le cadre de programmes européens. Ils connaissent donc leur sujet.» Jeudi 17 juin, dans le cadre du programme wallon de développement rural, le gouvernement a affecté une enveloppe complémentaire de près de 15 millions d’euros aux 20 GAL de territoire pour la période transitoire 2021-2022. «Au-delà de ces euros supplémentaires, je pense qu’il faut donner un véritable rôle aux GAL dans ces plans de relance, affirme Xavier Delmon. Cela permettra de mettre ruraux et urbains sur un pied d’égalité.»
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Sur le plan de relance européen, lire aussi dans ce numéro:
«‘Next Generation EU’, un plan de relance sans grande ambition sociale», par Céline Schoen.
Seulement 84 millions? «Non, il ne faut pas s’arrêter là, explique Éric Haubruge, professeur à l’Université de Liège, et membre du conseil scientifique de «Get up Wallonia». Il faut également prendre en compte ce qui touche à la gestion durable de la forêt (7 millions), à la préservation des réserves en eau (54 millions), au renforcement des aires protégées (20 millions), au tourisme (75 millions) ou encore à l’agriculture et à la souveraineté alimentaire (94 millions). Les communes rurales vont profiter en partie de ces axes qui les concernent directement.» Avec, peut-être, un point noir sur la mobilité: «À part le développement du vélo et des bus à haut niveau de service, il n’y a pas grand-chose pour la ruralité qui souffre pourtant d’une importante pénurie d’infrastructures», fait remarquer Julie Van Damme, chargée de mission ruralité à Inter-Environnement Wallonie (IEW).