Jusqu’au 31 mars, les dispositifs hivernaux sont renforcés pour accueillir les sans-abri. Fonctionnent-ils sur le terrain comme sur le papier ? Deux mois après le lancement desplans hiver wallon et bruxellois, nous avons cherché quelques éléments de réponse.
Les températures de ces derniers jours étaient certes plus clémentes, la page hivernale n’en est pas tournée pour autant. Comme chaque année durant lapériode froide, des plans hiver ont été mis en place à Bruxelles, en Flandre et en Wallonie, pour renforcer les dispositifs d’accueil pour les sans-abri.
En Wallonie, les sept relais sociaux ont été mandatés pour coordonner le plan hiver. La ministre de l’Action sociale, Eliane Tillieux1, a débloqué unesubvention de 405 000 euros au total pour les aider à mener cette tâche. En termes de mise en réseau, le bilan s’avère plutôt positif. Le plan hiver, reconduit etévalué d’année en année, devrait se voir pérennisé dans un futur proche.
A Bruxelles, où c’est le Samu social qui est mandaté pour gérer le plan hiver depuis 2006, la coordination avec les acteurs du secteur semble encore à sesbalbutiements. Lentement mais sûrement, quelques initiatives émergent néanmoins.
L’objectif des plans hiver est de faire en sorte que chaque personne qui sollicite de l’aide durant la saison froide, quels que soient son histoire, son profil ou ses raisons, puisse obtenir uneréponse. Dit plus directement, il faut à tout prix éviter un mort.
La mise en place de pareil dispositif ne va pas sans poser une série de questions pratiques : quels types de bâtiments sont les mieux adaptés ? Comment faciliter l’accueil despersonnes avec des animaux ? Comment communiquer les informations aux partenaires ? Ou d’interrogations plus philosophiques : quel est le sens de l’urgence sociale ? Chaque nouveau lit mis àdisposition n’est-il pas amené à se remplir si l’accompagnement ne suit pas ?
Notons enfin qu’on ne peut évoquer les plans hiver sans aborder une autre question d’actualité : la crise de Fedasil. De plus en plus de demandeurs d’asile sont accueillis dansles dispositifs pour sans-abri, mettant parfois ceux-ci en péril. L’ouverture récente de casernes par le Fédéral a quelque peu désengorgé la situation, maiselle reste préoccupante.
Charleroi victime de son « succès »
En Wallonie, Charleroi est une des villes où la problématique du sans-abrisme est la plus visible. Le Rebond, le Resto du cœur, Comme chez nous, l’abri de nuit duTriangle, Carolo rue… Le secteur associatif s’est mobilisé en masse pour assurer le plan hiver. Côté pouvoir public, on ne chôme pas non plus. Le CPAS qui a misen place un abri de nuit supplétif et un abri de nuit de crise. Tous deux s’inscrivent dans le cadre de son nouveau Dispositif d’urgence sociale (DUS). « Notre logiquec’est d’aller au-delà de l’hébergement, que les travailleurs de l’abri de nuit et les travailleurs de la journée travaillent ensemble », argueBernard Van Humskerken, responsable du dispositif d’urgence sociale à Charleroi. Le 9 décembre, le CPAS devait ouvrir son abri de crise. Mais depuis, la situation s’estcalmée.
« Quand on regarde les chiffres à Charleroi, on a l’impression qu’il y a toujours de plus en plus de pauvres. Mais il y a beaucoup de gens qui viennent d’ailleurs,de Mons, La Louvière… Il y a un effet pervers. Plus on investit dans un système performant, plus ça attire du monde », remarque Bernard Van Humskerken. Les villesjoueraient-elles au ping-pong avec les sans-abri ? C’est en tout cas ce que dénonce la députée écolo Isabelle Meerhaeghe. « Il faut rappeler l’obligation pourtous les abris de nuit d’accueillir toutes les personnes qui se présentent sans aucune distinction. Dans certaines villes, on renvoie vers Charleroi où l’inconditionnalité esttoujours respectée », affirme l’élue écologiste qui relaye ainsi les témoignages de travailleurs de terrain. « Ce n’est qu’une supputation de ma part,mais j’ai l’impression que dans certaines villes on refuse de prendre les cas les plus lourds. »
Suzanne Huygens, la coordinatrice du relais social, ne nie pas que des sans-abri soient parfois renvoyés d’une ville vers l’autre. Mais l’intérêt du plan hiver, juge-t-elle,c’est justement d’avoir créé un espace où ces questions peuvent être débattues à l’échelle régionale. Par ailleurs, un appel àprojets a été lancé mi-novembre pour soutenir la création de pôles d’urgence sociale dans les régions rurales2. Il devrait permettre au CPAS de cespetites communes de pouvoir faire face aux urgences sociales qui se présentent sur leur territoire. « Tout cela s’intègre dans une vision régionale de l’aide aux sans-abri», se félicite Suzanne Huygens.
Bruxelles en manque de concertation
Vu de Bruxelles, le travail en réseau qui s’est développé autour des sept relais sociaux en Région wallonne fait parfois envie. En juin 2010, les ministreschargés de la politique d’Aide aux personnes à la Cocom, Brigitte Grouwels3 et Evelyne Huytebroeck4, invitaient les acteurs du secteur à évaluer ledispositif hivernal lors d’un colloque intitulé « l’urgence de l’urgence sociale » (Voir Alter Echos n° 298 : Préparer le prochain plan hiver). Durant lesateliers, la tension entre le secteur sans-abri et le Samu social était palpable. Les premiers reprochant au second son manque de communication. Les participants s’étaientquittés sur une belle promesse : se fixer un nouveau rendez-vous pour mettre en place un dispositif hivernal 2010-2011 qui soit pensé davantage en concertation avec l’ensemble desacteurs du secteur.
Au lieu de la grande concertation promise, il faudra finalement se contenter d’un simple groupe de travail mis sur place au sein de la Strada. « Le dialogue avance. La mise en place dugroupe de travail a permis de centraliser l’information. Il y a aussi un projet de mettre en place une plateforme électronique dans le futur », se réjouit Romain Liagre,coordinateur du groupe de travail au sein de la Strada. La lecture du PV du groupe de travail de la Strada du 5 janvier (auquel aucun membre du Samu social n’était présent) ne laissepourtant pas transparaître un enthousiasme débordant. Morceaux choisis : « plusieurs informations contradictoires circulent, sur la durée de séjour à Etterbeekpar exemple », « le système de réservation, la durée du séjour, les reports, etc. semblent changer régulièrement, mais l’information n’est pasdiffusée », « le SAMU doit savoir dire quand il est dépassé, quand il n’est pas compétent, car le reste du secteur est tout à fait prêt àcollaborer pour épauler le Samu »…
Demandeurs d’asile, nouveaux sans-abri
Difficile
de parler du dispositif hivernal pour les sans-abri sans aborder la question des demandeurs d’asile. A Bruxelles, la crise de Fedasil fait peser une pression supplémentaire sur leplan hivernal. En effet, nombre de demandeurs d’asile qui n’ont pas reçu de place dans un centre Fedasil sont venus frapper aux portes des structures pour sans-abri. L’hiver passé, YvanMayeur (PS), président du CPAS, n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme. En 2009, on dénombrait quelque 500 demandes de nuitées par jour contre 300 en 2007. Aprèsavoir dénoncé la situation, le Samu social a joint les actes à la parole en refusant plusieurs fois d’abriter ce public.
Si personne n’a oublié les images de ces familles qui dormaient dans les couloirs de la gare du Nord à la veille de Noël, la situation s’est améliorée depuis. Letapage médiatique autour de cette histoire a poussé les ministres fédéraux à dégager des solutions rapides. Casernes ou centre de vacances ont temporairementétait transformés en centre d’accueil. Pour les familles, 350 lits ont également été installés dans un bâtiment géré par le Samu socialà Ixelles.
« Toutes ces mesures ont permis de réduire la pression sur le dispositif pour les sans-abri », constate Romain Liagre de la Strada. Mais il ne s’agirait pas de crier victoiretrop vite. L’enjeu pour Fedasil aujourd’hui est de transférer les personnes des structures provisoires vers les centres structurels avant que les premiers ne soient remplis. Sans quoi, retourà la case départ. « On craint qu’une crise, ou du moins une crisette, ne recommence dès le début février », s’inquiète la responsable de lathématique accueil au Ciré, Sylvie de Treschuren.
Reste aussi la question de l’arriéré. Entre octobre 2009 et décembre 2010 environ 7 000 personnes ne se sont pas vues désigner de place par Fedasil. Aux yeux deFedasil, ces personnes ne relèvent plus de ses compétences. Certaines ont reçu une aide financière du CPAS ou ont été accueillies par des proches. Les autressont toujours dans des squats où à la rue. « Il nous est arrivé de refuser jusqu’à soixante personnes par jour, reconnaît Yvan Mayeur. Mais notre politique estde ne pas refuser des personnes quand les températures sont trop froides. Dans ce cas, nous chercherons une solution pour ces personnes même si nous sommes complets », nuance-t-ilnéanmoins.
La crise Fedasil, un problème en Wallonie aussi ?
De par la présence de l’Office des étrangers à Bruxelles, c’est dans la capitale que se concentre la présence des demandeurs d’asile. Faut-il en conclure que leproblème ne se pose guère en Wallonie ? Ici aussi le public des dispositifs pour sans-abri est de plus en plus composé de personnes étrangères. À Charleroi,par exemple, on constate qu’environ un tiers des sans-abri qui ont bénéficié du plan hiver 2009-2010 sont des personnes étrangères. A y regarder de plusprès, il semble toutefois que la crise de l’accueil ne joue qu’un rôle mineur dans cette évolution. « En réalité, il y a beaucoup de personnes qui sont ensituation illégale ou qui ont été déboutées. On constate aussi que certains racontent aux travailleurs sociaux qu’ils ont introduit une demande derégularisation parce qu’ils pensent que c’est ce que les travailleurs sociaux veulent entendre », remarque Suzanne Huygens. Difficile dans ce contexte de chiffrerprécisément le nombre de demandeurs d’asile qui ont bénéficié du dispositif hivernal alors qu’ils auraient dû être pris en charge pas Fedasil. On citeun pourcentage qui avoisinerait 10 % des demandes totales pour le plan 2009-2010.
Petites structures contre grands dortoirs
C’est un euphémisme de dire que l’ouverture des casernes pour abriter les demandeurs d’asile de Fedasil en Wallonie a fait grincer des dents parmi les riverains. On peut lever lesyeux au ciel, s’exaspérer devant ce phénomène « nimby », il n’en reste pas moins que l’implantation de pareilles structures heurte la sensibilité des habitants. La questionest transposable aux structures du plan hiver pour les sans-abri. Dans les villes wallonnes, les plus grands abris de nuit ne comportent généralement pas plus d’une trentaine de lits.Mais à Bruxelles, où le nombre de sans-abri est proportionnel à la taille de la ville, les structures peuvent s’avérer imposantes.
Le centre du Samu social à Etterbeek peut accueillir jusqu’à trois cents personnes. Et déjà plusieurs problèmes se posent avec les riverains. Pourdésamorcer ces tensions, l’asbl Diogènes a monté un projet pilote qui s’articule autour de trois axes : travail de rue avec les sans-abri, soutien et une information auxhabitants du quartier, coordination avec les services locaux. Une recherche-action pour évaluer l’impact de ce centre sur le quartier est aussi prévue.
Mais la question de la taille des bâtiments ne se limite pas à une histoire de voisinage. Le groupe de travail de la Strada, qui doit remettre des recommandations pour le plan hiver2011-2012, plaide pour mettre en place de plus petites structures. « Le principal argument en faveur des grands bâtiments, c’est l’économie d’échelle. On est dans unelogique comptable. On parle de chiffres, de nuitées, de bilan… Mais c’est aussi une question de qualité de travail. On ne peut pas assurer un suivi de la même façon avectrois cents personnes ou avec trente », note Romain Liagre.
1. Cabinet d’Eliane Tillieux, en charge de l’Action sociale :
– adresse : rue des Brigades d’Irlande, 4 à 5100 Jambes
– tél. : 081 32 34 11
– courriel : info-tillieux@gov.wallonie.be
– site : http://tillieux.wallonie.be
2. Quatre pôles ont été retenus. Sambreville, Sombreffe et Jemeppe-Sur-Sambre. Péruwelz, Leuze en Hainaut, Bernissart et Beloeil. Tubize et Braine-le-Château.Mouscron et Estaimpuis.
3. Cabinet de Brigitte Grouwels :
– adresse : bd. Saint-Lazare, 13 à 1210 Bruxelles
– tél. : 02 517 13 33
– courriel : info@grouwels.irisnet.be
– site : www.brigittegrouwels.com
4. Cabinet d’Evelyne Huytebroeck :
– adresse : rue du Marais, 49-53 à 1000 Bruxelles
– tél. : 517 12 00
– courriel : info@huytebroeck.irisnet.be
– site : www.evelyne.huytebroeck.be