En mai 2006, le collectif Disturb organisait le workshop “En Brik” autour du fameux “Plan logement”bruxellois visant la construction de 5 000 nouveaux logements. Plutôt que de jeter un nouveau pavé dans la mare, “En Brik” souhaitait, au contraire, apporter sa pierreà l’édifice. Aujourd’hui, le collectif publie ses recommandations.
À maintes reprises, les lenteurs de la mise en œuvre du “Plan logement” ont été épinglées. Pour rappel, ce projet régional a pourambition de lutter contre la crise du logement en construisant 3 500 logements sociaux neufs et 1 500 logements moyens supplémentaires par le biais de partenariats public-privé. Commed’autres, le collectif Disturb avait raillé le plan en dénonçant la chèreté des projets et leur mauvaise qualité. Reconnaissant toutefois qu’il est“trop simple de rester au balcon, confortablement installé dans ses certitudes de donneurs de leçons”, le collectif Disturb avait alors décidé d’organiser ledit workshop “En Brik” à Recyclart (gare de la Chapelle) en vue de pouvoir présenter une série de “recommandations sur la culture de la qualité et laqualité des projets en matière de logements publics”. Pour participer à ce “grand brainstorming créatif”, étaient invités lesprofessionnels de la construction, de l’administration, du milieu associatif et les politiques.
Recadrage historique
Dans un premier temps, Nicolas Bernard, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, a resitué le contexte historique du logement social. Il rappelle que le coup d’arrêtà la construction des logements sociaux résulte de la crise économique de 1982. Puis, les priorités ont évolué au fil du temps au point de ne plusconstruire, à partir de 1997, que 19 logements sociaux par an, alors que dans le même temps, le secteur privé produit annuellement 2 000 logements. Pour le secteur public, un desenjeux est aussi de rénover le parc locatif bruxellois de 38 000 logements sociaux qui se dégradent. Les tours des années 60 dévoilent de plus en plus leurs faiblesses :mauvaise isolation thermique, sonore, etc. Parallèlement, la précarisation croissante des locataires n’a cessé de grever les finances des sociétésimmobilières de service public (Sisp), dès lors ces dernières hésitent à construire.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, souligne Nicolas Bernard, le terrain ne manque pas ; “la SLRB (Société du logement de la Région deBruxelles-Capitale) et les différentes Sisp de la capitale disposent, ensemble, d’un petit ‘trésor de guerre’ foncier de 520 000 m2, sur lesquels il serait parfaitementenvisageable d’ériger les 5 000 logements promis par le Plan pour l’avenir du logement (…) Et pourtant, l’on voit très peu d’immeubles sociaux y fleurir. Unepartie de l’explication tient au fait que les Sisp ont eu tendance ces dernières années à réaliser, grâce à ces terrains libres, des opérationsautrement rentables financièrement (ventes, construction de logements moyens, etc.).”
Il se demande aussi s’il n’aurait pas été plus opportun “d’impliquer également la Société de Développement Régional de Bruxelles(SDRB) qui, elle, peut se prévaloir d’une déjà longue expérience dans le secteur de la construction de logements (moyens) et dont l’activité,précisément, se décline sous la forme du partenariat public-privé”, comme le préconisait le Plan logement. Il déplore encore que les responsablespolitiques se soient laissés enfermer dans un calendrier intenable parce que “poussés dans le dos par une opinion publique chauffée à blanc par le secteurassociatif”, alors que leur pouvoir d’action est “plus limité qu’on ne croit”.
Et de conclure : ”Entre la rapidité et la précipitation, la voie est certes étroite, mais elle existe. Aux pouvoirs publics de l’exploiter intelligemment, afin devoir fleurir un jour (que l’on espère proche) des logements publics à la fois audacieux sur le plan esthétique et architectural, écoefficients, pas trop dispendieux,intégrés dans leur environnement, reliés à une batterie d’équipements collectifs, appropriés par leurs occupants, etc.”
Halte aux certitudes imbéciles!
Pour sa part, l’architecte Pïerre Blondel, a présenté dix projets de logements contemporains remarquables – tous hors Belgique – qui l’avaient“impressionné d’une manière ou d’une autre”. Parmi ceux-ci, certains étaient des succès et d’autres des échecs. Il s’agissait pour lui de “projetscomplets” : “c’est-à-dire que quasi tous les thèmes récurrents de l’architecture du logement ont été abordés ; la question de laplace de l’individu et du collectif, celle de l’identité de l’ensemble, celle du rapport à l’espace public, etc. Les plans du logement sont souventintéressants, mais les communs ne sont pas négligés pour autant. Dans tous les cas, l’architecte a su aussi bien s’interroger sur la manière dont les gensallaient habiter que sur l’identité du bâtiment et sa position dans la ville. Les concepts mis en place sont forts, mais ils ne viennent en aucune manière oblitérerla qualité de vie des logements.” Il signale toutefois que “toutes les typologies sont intéressantes, si elles sont utilisées consciemment, comme il y a moyen defaire des catastrophes avec n’importe laquelle. La médiocrité architecturale ne vient donc pas avec le type mais avec la certitude imbécile de la perfection decelui-ci.”
Recommandations urbanistiques et architecturales
De l’atelier “Urbanisme” est sortie la recommandation visant à “créer une cellule Urbanisme pararégionale chargée d’accompagner la mise enœuvre du Plan logement. L’idée étant de l’intégrer au sein d’une Cellule régionale chargée de l’assistance à la maîtrised’ouvrage publique. La Cramop serait chargée d’orchestrer les différentes compétences régionales : travaux publics, logements, aménagement duterritoire, organisation de concours.”
L’atelier “Architecture” a constaté que l’architecte n’avait guère voix au chapitre dans le cadre du Plan logement, contrairement au promoteur. Les participants ontplanché sur la nécessité de mettre en place de nouveaux processus pour obtenir une qualité architecturale, de rendre à l’architecte son rôle de chefd’orchestre, d’impliquer les usagers des quartiers dans la programmation architecturale de l’œuvre. Ici aussi, a été formulée l’idée de mettre sur pied une cellule– de type Bouwmesteer (cf. Alter Échos n°184, « Quelle politique de l’urbanisme pour Bruxelles ? » : un débat du collectif Disturb) – ayant une vision globale de l’urbanisme et del’architecture à l’échelle régionale. “Cet architecte en chef – ou cette cellule – doit être indépendant du pouvoir public et reconnu unanimementdans sa compétence.”
Efficience énergétique
Le troisième atelier était intitulé “environnement-économie-gestion”. Les recommandations ont mis l’accent sur la nécessité de “prendreréellement en compte le problème de la surconsommation d’énergie dans la construction” en étant attentifs à l’isolation, l’étanchéitéà l’air et la gestion de la ventilation. Sur ce point, il convient de “rendre abordable et aisée la formation, et ce, tant pour les usagers que pour les fonctionnaires, lesprofessionnels et le monde politique.”
Enfin, plutôt que d’imposer d’utiliser des choix de matériaux aux architectes, il serait plus efficace d’imposer aux concepteurs des performances à atteindre : “Enlaissant le choix des techniques pour répondre à ces performances, l’architecte sera de nouveau en mesure d’inventer, de proposer et d’innover.” Bien entendu, il conviendrad’instaurer des procédures de contrôle de performances énergétiques après la construction.
De la participation
Quant au dernier atelier, il portait sur la façon d’examiner les manières d’aborder la procédure de marché public en matière de logement. Dans ce cadre, il aété tenu compte de la volonté citoyenne de participer qui s’est développée au fil du temps. Pour chaque projet, il convient de “mettre en place un plan decommunication, de mise en débat et de participation”. Sur ce dernier aspect, il faut pouvoir “désigner avec pertinence les experts de la participation”. En effet,“ on voit arriver quantité d’acteurs s’autodésignant experts en participation. Cette situation est catastrophique dans le sens où elle crée lerésultat inverse à celui escompté : les lieux de participation deviennent des murs de lamentation, des zones de déception maximale ou des sallesdésertes.”
Et les participants de déplorer l’absence d’un outil “transcendant tous les aspects du processus”, l’absence d’outil d’évaluation des projets. D’où larecommandation de “créer une base de données, qui pourrait prendre la forme d’un site Internet, qui reprenne l’ensemble des expériences publiques en matière deconstruction de logements.”
De l’enthousiasme avant tout
Disturb espère sincèrement que son appel enthousiaste sera entendu par tous les acteurs. Trop souvent, observe-t-il, “la création de logements est vécue comme unecontrainte”.