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Migrations

Plan VIH, la fin des retours forcés?

Le 15 octobre dernier, Laurette Onkelinx présentait son premier plan VIH. Mettra-t-il fin aux expulsions de personnes séropositives?

Le 15 octobre dernier, Laurette Onkelinx présentait son premier plan VIH. Signera-t-il la fin des expulsions de personnes séropositives ?

« L’inacceptable existe, lorsque ce garçon originaire du Congo, dans notre pays depuis de nombreuses années, traité sous antirétroviraux depuis plus de dix ans, est arrêté par la police à son domicile et reconduit dans son pays sans aucune garantie qu’il puisse y poursuivre son traitement. Cela existe encore chez nous. » C’est en ces termes que s’est exprimée Laurette Onkelinx, ministre fédérale de la Santé, lors de sa présentation du premier plan VIH (voir encadré) il y a quelques semaines.

« Il convient, peut-on dès lors lire dans ce plan, qu’une personne vivant avec le VIH obligée de quitter le territoire continue à avoir accès dans son pays aux soins que son état nécessite ». Autrement dit, plus d’expulsion de malades sans que soit apportée la garantie qu’ils puissent être soignés. Une question qui relève en fait de la compétence de Maggie De Block, secrétaire d’État à l’Asile et à l’Intégration.

Séropositifs dans l’avion

Monsieur F., transsexuel équatorien, arrive en France en 2002. Diagnostiqué séropositif en 2003, il est traité par antirétroviraux et reçoit un permis de séjour provisoire. Une fois en Belgique, il est suivi par le centre de référence sida de Charleroi. Sa demande de régularisation médicale est refusée et il reçoit l’ordre de quitter le territoire en octobre 2012. Au mois de mars, il est arrêté par la police et emmené au centre 127bis où on veut lui faire signer un formulaire de retour volontaire.

En juin 2013, le centre de référence sida de Charleroi recense une trentaine de patients en statut précaire. Une partie de ces patients ont mis le pied sur le sol belge pour des raisons humanitaires ou économiques, d’autres ont délaissé leur pays parce qu’ils n’y avaient pas accès à un traitement médical. Parmi eux, 17 ont reçu l’ordre de quitter le territoire.

Concernant les retours forcés de personnes vivant avec le virus du sida, pas de chiffres, pas de statistiques. Leur nombre serait à la hausse, si l’on en croit le ressenti du terrain. Et plusieurs cas d’expulsion ont été révélés. Pour Maggie De Block, il est « difficile de démontrer une augmentation des refus à l’égard de personnes séropositives dans le cadre de la procédure 9ter » (réponse à une question de Catherine Fonck à la Chambre des représentants le 22 octobre dernier). Une assertion à laquelle réagit Thierry Martin, de la Plate-forme prévention sida : « Ces expulsions arrivent plus souvent que ce que Maggie De Block le dit. »

Usage inapproprié du « 9 ter ? »

Cette augmentation serait-elle imputable au filtre médical mis en place par Maggie De Block en 2012 ? Petit retour en arrière. Depuis juin 2007, l’article 9 alinéa 3 de la loi du 15 décembre 1980 est remplacé par l’article 9 ter, qui permet la régularisation fondée sur des motifs médicaux. Une régularisation possible à deux conditions. La première est de souffrir « d’une maladie dans un état tel qu’elle entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique ». La seconde est l’inexistence d’un traitement adéquat dans le pays d’origine. Conséquence de l’introduction de cet article : une explosion de ce type de demandes. D’où la mise sur pied, début 2012, d’un « filtre médical » pour limiter les abus. « Les critères de la régularisation médicale n’ont pas changé, c’est la procédure mise en place qui a été modifiée », explique Gert-Jan Sterckx, du cabinet de Maggie De Block. « Avant on traitait le dossier du point de vue administratif, puis on regardait les aspects médicaux. Actuellement, on regarde d’abord la gravité de la maladie. Du coup on peut accepter ou refuser plus tôt les demandes. Nous avions beaucoup de demandes pour des doigts cassés ou pour des chutes de cheveux. Ces modifications expliquent en effet une augmentation des refus, mais aussi un raccourcissement des procédures. »

« Le filtre médical ne pose pas en soi de problème, réagit Coralie Hublaux, du Ciré. Mais nous sommes interpellés par de nombreux médecins et hôpitaux dont plusieurs patients gravement malades et n’ayant pas accès aux soins dans leur pays d’origine se voient refuser cette régularisation. Même les cas les plus graves ne passent pas le filtre médical. » Entre 2010 et aujourd’hui, la proportion des demandes irrecevables a considérablement augmenté, tandis que le taux de réponses positives (octroi d’un titre de séjour d’au moins un an) a chuté (presque 16 % en 2010 à 2,3 % en 2012). Des évolutions qui avaient en fait largement été amorcées sous le cabinet de Melchior Wathelet, le prédécesseur de Maggie De Block à l’Asile et à la Migration.

C’est notamment la notion d’accès aux soins dans les pays d’origine qui pose question. Fin 2012, l’OMS estimait que sur les 26 millions de personnes remplissant les conditions pour recevoir un traitement antirétroviral dans les pays à revenu moyen ou faible, 16 millions n’y avaient pas accès. « Même si le traitement existe, il faut voir s’il est accessible, explique Maureen Louhenpassy, du Siréas. Il peut y avoir des ruptures de stock, il peut n’être disponible que dans les grandes villes… » Et c’est sans parler de l’accès aux structures médicales qui mettent en œuvre ces traitements.

« Nous prenons énormément de temps pour trouver des infos sur la disponibilité des traitements dans les différents pays et nous essayons de fournir ces éléments à l’Office des étrangers », ajoute Myriam Vastmans, assistante sociale au Siréas. L’Office a sa propre base de données, mais il se contente la plupart du temps d’un avis du pays attestant l’existence du traitement. » Et d’ajouter : « Ces refus ne sont pas fondés. Quand on dit qu’un Congolais peut rentrer dans son pays alors qu’il a le sida, c’est scandaleux. C’est pourquoi nous incitons ces personnes à intenter un recours au Conseil du contentieux, mais les délais sont extrêmement longs. »

Tribunaux du travail contre Office des étrangers ?

Pas de papiers, pas d’aide sociale. Si les CPAS sont tenus d’octroyer l’aide médicale urgente (AMU) (voir encadré) aux personnes qui séjournent illégalement en Belgique, aucune aide financière ne peut leur être dispensée. Il existe pourtant la possibilité d’aller en recours au tribunal du travail. Celui-ci peut apprécier si oui ou non la personne est apte à quitter le sol belge et, sur cette base, décider de lui accorder une aide sociale en raison d’une « force majeure médicale ». Une décision prise en fonction, encore une fois, de la gravité de la maladie, d’une impossibilité de voyager et de l’inaccessibilité aux soins dans le pays d’origine. Si cette démarche ne règle pas la situation de séjour de l’intéressé, elle peut lui permettre de vivre plus confortablement. Le cas échéant, une telle décision révèle aussi une divergence d’opinions entre deux juridictions différentes, le tribunal du travail et l’Office des étrangers, quant à l’aptitude d’une personne à quitter le territoire belge.

Cette procédure est beaucoup moins utilisée depuis l’existence de l’article 9 ter, observe-t-on chez Medimmigrant. « Le recours pour force majeure médicale, c’est quelque chose qui n’est pas assez conseillé aux gens, souligne Myriam Vastmans. Mais cela implique de trouver de bons avocats pro deo. Et certaines personnes ont peur de faire des recours contre un CPAS, contre l’État belge, car elles craignent que cela ait des conséquences sur leur autorisation de séjour. »

Revenons, pour conclure, au nouveau plan sida. Aura-t-il des effets sur les expulsions de personnes séropositives ? Si les rumeurs évoquaient un échange bilatéral entre les ministres Onkelinx et De Block sur le sujet, ni l’une ni l’autre ne nous l’ont confirmé. Outre les quelques lignes du plan susmentionnées, il semble qu’aucun engagement particulier n’ait été pris en la matière. « Il n’y a pas eu de contact spécial entre les deux ministres, nous dit Gert-Jan Sterckx. Quant aux informations sur l’accès aux soins dans les pays, l’Office des étrangers fait déjà ses propres recherches. » Bref, finalement, rien de bien neuf sous le soleil…

Un plan VIH 2014-2019

Le 15 octobre dernier, la ministre fédérale de la Santé présentait le premier plan national VIH. Il est le fruit d’un long processus de concertation. Avec ses collègues responsables de la Santé, de l’Égalité des chances, de l’Enseignement ou encore de l’Intégration sociale notamment. Mais aussi avec les acteurs de terrain (prévention, dépistage et prise en charge) et avec des personnes séropositives. Parmi les grandes lignes de ce plan en 58 actions, épinglons deux éléments :

– la priorité donnée à deux groupes particulièrement exposés : les hommes ayant des relations avec d’autres hommes et les migrants ;

– une vaste stratégie de dépistage qui intégrera les infrastructures spécialisées ainsi que des programmes décentralisés (dépistage chez le médecin généraliste et à domicile).

Reste à savoir comment et avec quels moyens le plan sera mis en œuvre au vu du contexte budgétaire que nous connaissons, du morcellement des compétences santé et de la future régionalisation.

Plus d’infos : http://www.laurette-onkelinx.be

Quel accès aux soins en Belgique ?

Les personnes sans-papiers séropositives ont droit à l’aide médicale urgente (AMU). Si l’on met de côté les récentes tentatives du CPAS d’Anvers de déroger à ce principe (NDLR en février dernier, ce CPAS annonçait qu’il refusait de payer les antirétroviraux aux sans-papiers séropositifs ; il a ensuite tenté de soumettre l’accès à l’AMU à la signature d’une acceptation d’un retour volontaire), il y a peu d’échos de problèmes relatifs à l’octroi de cette aide. Si ce n’est la question, classique, de la continuité des soins lors du passage d’un CPAS à l’autre : certains malades du sida se retrouveraient ainsi sans traitement pendant plusieurs mois. Par ailleurs, regrette-t-on au Siréas, l’accès à l’AMU ne donne pas droit à une aide sociale. « Or si ces personnes n’ont ni revenus, ni logement, c’est très difficile de se soigner… » Une situation qui inquiète Myriam Vastmans car, selon elle, il y aurait de plus en plus de personnes à la rue avec des maladies graves telles que le sida.

Marinette Mormont

Marinette Mormont

Journaliste (social, santé, logement)

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