À l’occasion de la « Journée mondiale du refus de l’extrême pauvreté » ce 17 octobre, la Fondation Roi Baudouin a rendu publics les premiersrésultats d’une recherche à long terme sur la pauvreté chez les personnes d’origine étrangère1. Assez curieusement, cette relation n’avait jamaisété étudiée en Belgique.
L’étude fait apparaître que les personnes d’origine marocaine ou turque sont très exposées au risque de pauvreté : pas moins de 55,6 % de personnesd’origine marocaine et 58,9 % de personnes d’origine turque ont un revenu situé sous le seuil de pauvreté européen de 777 euros par mois. Pour les Belges de souche,le chiffre est de 10,16 %.
Il est remarquable que tous les autres groupes d’origine non belge courent également un risque plus élevé de vivre dans la pauvreté : 21, 5 % des Italiens, parexemple, vivent sous le seuil de pauvreté. L’enquête montre encore que 38,7 % des personnes d’origine turque et 25 % des personnes d’origine marocaine doivents’en sortir avec moins de 500 euros par mois.
L’étude est menée par les universités de Liège (Cedem) et d’Anvers (OASeS) sous la direction commune des professeurs Marco Martiniello et Jan Vranken. Troisgroupes de migrants en font l’objet : les Italiens, les Turcs et les Marocains, soit les groupes issus des vagues d’immigration les plus anciennes, ceux des travailleurs appeléspar la Belgique. Les nouveaux migrants et les illégaux sortent donc du cadre de cette étude.
Pour les données chiffrées, les chercheurs se sont appuyés sur deux enquêtes menées à grande échelle. Ils ont mesuré la pauvreté enprenant pour base le seuil de pauvreté retenu à l’échelle européenne, situé à 60% de l’équivalent du revenu médian.
Parce que la pauvreté est une réalité très durement ressentie par les gens eux-mêmes, les personnes interrogées dans les enquêtes l’ontété aussi sur leur vécu subjectif : 29,2 % des personnes d’origine turque et 37,7 % des gens d’origine marocaine ont reconnu éprouver des difficultés,sinon de grosses difficultés, à s’en sortir. Parmi les Belges, cette proportion s’élève à 12,2 %.
Comment en est-on arrivé là ?
L’objectif de cette recherche est aussi d’aller voir au-delà des chiffres et d’interroger les personnes d’origine étrangère elles-mêmes. Dans unepremière phase, 13 discussions de groupe (« focusgroups ») ont été menées avec des témoins privilégiés dans les troisRégions du pays. Sur cette base, les chercheurs formulent déjà une série d’hypothèses pour cerner la problématique de la pauvreté chez lespersonnes d’origine étrangère :
• Les migrants de la première génération étaient persuadés qu’ils retourneraient au pays. Ils n’ont donc pas investi en fonction d’unavenir (celui de leurs enfants) en Belgique. Les transferts financiers vers la famille restée au pays s’expliquent également dans cette perspective.
• Cette première génération se composait essentiellement de travailleurs non instruits. Leur faible niveau d’instruction et leur manque de connaissance de lasociété belge sont des explications importantes de leur appauvrissement.
• Dans les générations suivantes, la connaissance insuffisante du français et/ou du néerlandais explique de la même façon l’exclusion sociale et lapauvreté.
• La grande solidarité dans la communauté immigrée faiblit, avec des conséquences dramatiques pour les plus vulnérables. De plus, certaines personnes sontexclues de cette solidarité, comme les femmes divorcées ; cette solidarité est parfois aussi perçue comme étouffante, comme un frein àl’intégration.
• Les personnes d’origine étrangère sont souvent victimes de discrimination sur le marché de l’emploi, dans l’enseignement et face au logement. Cela rendleur intégration socio-économique plus difficile.
Une « quart-mondisation » rampante
L’inégalité des chances qui touche les personnes d’origine étrangère en matière de travail, d’enseignement et de logement – alors que cesdomaines devraient être les leviers essentiels pour sortir de la pauvreté – est porteuse d’un risque élevé pour la troisième génération etles suivantes. “Nous assistons à une quart-mondisation au sein de certaines communautés immigrées. L’ascenseur social est en panne”, précise MarcoMartiniello pour le Cedem.
Comment en est-on arrivé là ? Les chercheurs élaborent une série d’hypothèses. « Les similitudes entre les personnes d’origine étrangèrevivant dans la pauvreté et le quart-monde belgo-belge sont de plus en plus manifestes2, poursuit Marco Martiniello. La première génération de travailleursimmigrés et les nouveaux arrivants sont le plus souvent des personnes capables de se battre pour un avenir meilleur mais pour les 2e et 3e générations, onconstate, comme pour le quart-monde, une diminution de la confiance dans l’avenir, une installation dans une situation de dépendance. »
La question se pose même de savoir si une nouvelle « génération de pauvres » ne s’annonce pas. Là où les communautés d’origineétrangère montrent encore une envie de lutter et une capacité de souplesse, il est à craindre que celles-ci disparaissent si les perspectives d’avenir offertesà ces jeunes restent aussi négatives qu’à l’heure actuelle. Cela signifierait un énorme gaspillage de capital humain.
1. Le rapport intermédiaire sur « La pauvreté chez les personnes d’origine étrangère» peut être téléchargé sur internet.
2. In Le Soir du 17/10/06.