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Regard critique · Justice sociale
Charlotte Henard, Flickr CC

PointCulture, c’est 13 centres de prêts de médias (dont 7 « transférés » à des communes), 2 Discobus et 120 travailleurs, à travers la Wallonie et Bruxelles. C’est aussi une subvention de 7 millions € (environ 2,5% du budget de la Culture en FWB). Le sort de ce réseau est aujourd’hui incertain. Doit-il, comme le souhaite la direction, embrasser la « médiation culturelle » en tournant résolument le dos à son activité historique ? Cette vision, qui suscite plus de remous que d’adhésion, vient d’être largement désavouée par la nouvelle Ministre de la Culture. Le prêt direct va continuer et l’acquisition de médias reprendre.

Namur, 3 septembre. Il y a comme un air de Black Friday au PointCulture en ce jour où 15.000 médias sont soldés. «Les gens sont arrivés en masse avec d’énormes sacs», s’étrangle un amoureux du lieu. «Des coffrets rares partent pour un euro. Quel gâchis, c’est honteux de dilapider une collection unique, qui a été entretenue et alimentée avec autant de temps et de patience !»

Quinze jours plus tard à Bruxelles. Une centaine de personnes sont rassemblées devant le siège de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Des slogans sont brandis : «Pas de médiathèques sans médias, pas de bibliothèques sans livres !», «Le toucher est aussi important que l’écoute»… Une délégation de travailleurs et d’usagers est reçue par la toute nouvelle Ministre de la Culture, Bénédicte Linard (Ecolo), qui déclarait deux jours plus tôt en commission parlementaire : «Ce qui me frappe dans ce dossier, c’est l’impression d’un bateau laissé à la dérive lors des précédentes législatures.»

L’avenir de PointCulture – ex-Médiathèque – est au cœur d’un conflit ouvert en avril 2019, suite à des décisions modifiant profondément le rôle et l’identité de cette noble institution âgée de 66 ans. Ce 15 novembre, Bénédicte Linard tranche : elle renvoie la direction de PointCulture à sa copie et annonce une révision substantielle de la convention qui la lie à la FWB. Cela signifie concrètement que le prêt direct de CD et DVD – remis en cause dans le plan de la direction – est pour l’heure sauvé. Retour sur 6 mois de conflit et 15 ans d’un lent naufrage…

2007-2013 : virage et dégraissage

L’ancienne Médiathèque de la Communauté française, née en 1953 sous le nom de Discothèque nationale de Belgique, a développé le «prêt» (location à tarifs démocratiques) de médias audiovisuels dans ses propres centres et, contrairement à d’autres pays ou à la Flandre, hors du réseau des bibliothèques. Pendant un demi-siècle, son activité cartonne… Jusqu’à l’explosion du téléchargement sur Internet. En l’an 2000, la Médiathèque comptabilise encore quelques 4 millions de prêts, contre 380.000 en 2018. «Nous perdons chaque année 15% à 20% de fréquentation et de recettes», explique Pierre Hemptinne, l’un des 4 directeurs de l’ASBL, en charge de la médiation culturelle, dont le public jeune, que des actions tarifaires et des campagnes promotionnelles n’ont pas ramené». En outre, malgré plusieurs tentatives de s’ajuster aux nouvelles technologies (plateforme de téléchargement, applications…), la Médiathèque n’a pas réussi à mettre en place un modèle économique palliant la baisse du prêt.

En 2007, l’ASBL procède à une restructuration, utilisant la «procédure Renault» pour favoriser les départs volontaires. Deux ans plus tard, pour alléger ses charges, elle se sépare de 7 centres, dont certains sont repris en gestion par des communes ou des bibliothèques (même si, en pratique, leur sort reste intrinsèquement lié à la politique de PointCulture). Et c’est en 2013, sous l’impulsion de la Ministre Fadila Laanan (PS), que s’amorce le grand virage, lors de la signature d’un nouveau contrat-programme. L’ASBL devient PointCulture. Ce changement de nom, imposé par le politique et vécu par certains comme une manière de «vider l’association de sa substance», est synonyme de changement d’identité. «Nous avons proposé un premier projet basé sur la collection, mais le cabinet voulait qu’on devienne une sorte de guichet culturel», raconte Pierre Hemptinne. Des pans entiers de la collection sont soldés. Un comité d’usagers se constitue pour contester une décision fondée sur l’aspect quantitatif et la rentabilité. Mais la mobilisation ne prend pas. Un médiathécaire le regrette aujourd’hui : «C’était le début du dégraissage du mammouth, mais on nous disait que la collection continuerait à être mise à jour et en accès public. On n’a pas été assez vigilants et réactifs».

2019 : la Médiathèque, point final ?

C’est en mars 2019 qu’une nouvelle convention met cette fois le feu aux poudres. La Ministre Alda Greoli (cdH) décide d’agiter la carotte et le bâton : d’un côté, elle maintient intégralement la subvention de PointCulture (pourtant théoriquement basée sur le nombre de prêts) ; de l’autre, elle refuse de signer un contrat-programme de 5 ans, ne laissant que 2 petites années à l’ASBL pour «achever son repositionnement» et se mettre en position de devenir «un opérateur majeur, un agent de transversalité interterritorial, une ‘caisse de résonnance’ du foisonnement des activités culturelles» et des artistes de la FWB.

Personne n’oserait fermer toutes les bibliothèques, mais fermer toutes les médiathèques ne semble pas poser problème

La convention évoque l’arrêt du prêt direct, la disparition des Discobus – dispositifs mobiles de prêt – et la transformation des centres… en espaces de co-working. L’arrêt des achats et le démantèlement de la collection n’y sont pas stipulés, mais la direction estime que le temps presse et qu’une « coupure nette » est nécessaire : elle décide de stopper toute nouvelle acquisition dès avril et de liquider la moitié de la collection dans l’année. Parmi les employés de l’ASBL, beaucoup sont stupéfaits. «Nous n’avons été consultés à aucun moment de la construction du nouveau projet», soulignent certains. «J’ai appris la décision par la presse», s’offusque le responsable d’un centre bruxellois. Un préavis de grève est déposé, des actions organisées. Des cartes blanches, émanant du monde culturel et enseignant, critiquent une direction à qui «il n’appartient pas de décider seule d’un changement aussi radical d’orientation et de mission d’une entreprise publique de cette dimension». «Avec la disparition du Discobus, c’est l’accès à la culture en zone rurale qui est en danger», alerte pour sa part un échevin de Libramont.

«Personne n’oserait fermer toutes les bibliothèques, mais fermer toutes les médiathèques ne semble pas poser problème. Nous nous étonnons de la disparité de traitement entre les supports musicaux et cinématographiques (sans doute vus comme de purs objets de divertissement) et le livre (vu en tant qu’objet noble, vecteur de savoir et de connaissance)», écrivent les auteurs d’une pétition (14.000 signatures à ce jour) qui pointe également «désintérêt, défaitisme ou manque d’imagination» dans le chef des décideurs.

«Pour beaucoup de signataires, c’est vécu comme un service public qu’on leur vole», résume Philippe Tasquin, musicien et membre d’un nouveau comité d’usagers. «Ils témoignent que la diversité de la collection et les conseils des médiathécaires leur ont ouvert des horizons incroyables. C’est un rôle très noble, qui est encore plus important à défendre qu’avant Internet, où ce sont des algorithmes qui nous guident. Dans une Médiathèque, c’est en déambulant dans les rayons qu’on fait notre choix et on ressort souvent avec tout autre chose que ce qu’on venait chercher.» L’argument répété par la direction que «tout se trouve sur Internet» passe mal auprès de ces usagers, qui se voient ainsi renvoyés vers des plateformes commerciales, qui rétribuent très peu les artistes. Pour Aristide Bianchi, l’un des 230 usagers du comité : «Le point n’est pas de savoir si ‘Tout’ se trouve sur Internet, mais comment on rencontre telle musique ou tel film, et là il est incontestable que le prêt physique permet d’autres rencontres ! Personne n’écoute ni ne voit ‘Tout’. C’est une abstraction.»

A l’évocation des critiques de ces usagers qui tentent d’avoir voix au chapitre (malgré leur titre de «membres à vie», les emprunteurs n’ont pas accès à l’assemblée générale de l’ASBL), Pierre Hemptinne s’emporte : «Ils veulent maintenir un service de consommation passive et privative, de manière égoïste. Ce sont des intégristes qui ne sont pas capables d’évoluer ! A l’époque, il y avait un combat à mener, à présent c’est trop tard. L’enjeu aujourd’hui c’est de continuer un combat, de mettre les pratiques culturelles en lien avec les enjeux sociétaux. Pas de continuer à louer des médias.»

Bruno Renson, responsable du centre de Liège, abonde en ce sens : «Ceux qui s’étonnent de cette décision s’étaient mis la tête dans le sable depuis des années. Ça fait très mal de se séparer des médias, mais à un moment il faut avancer. Et puis il ne faut pas idéaliser la Médiathèque, on était parfois un peu comme un supermarché.»

A l’époque, il y avait un combat à mener, à présent c’est trop tard. L’enjeu aujourd’hui c’est de continuer un combat, de mettre les pratiques culturelles en lien avec les enjeux sociétaux. Pas de continuer à louer des médias.

Pierre Hemptinne concède que l’arrêt du prêt direct a été «une décision douloureuse, qu’on a mal présentée et mal préparée. La charge émotive est forte.» Mais il le répète : le prêt physique n’est plus rentable et est amené à disparaître de lui-même. Ce que nuancent les délégués syndicaux : «Il y a encore 100.000 visites d’emprunteurs par an et cela crée un bénéfice qui couvre totalement l’achat de médias» — un argument qu’ils mettent en lien avec le fait que le nouveau modèle économique ne prévoit quasi aucune recette propre.

Du « savoir faire » au « faire savoir »

«La question est de savoir comment refonder la légitimité de PointCulture. Ils doivent trouver un nouveau rôle, se rendre indispensables», avance Jean-François Füeg, directeur du service de l’Action territoriale de la FWB (dont dépend désormais PointCulture). Pour la direction, l’avenir se situe dans le domaine de la médiation : «Il y a le diagnostic d’un secteur culturel qui souffre d’une culture marchande de l’immédiateté, d’un manque de visibilité. Il y a un besoin de créer des liens et de rendre visible l’action des opérateurs culturels dans la société civile. PointCulture doit devenir une marque de liant culturel», défend Pierre Hemptinne, déçu que «le personnel ne porte pas vraiment le nouveau projet». Mais d’admettre toutefois que «s’il y a un problème d’adhésion, c’est qu’il y a un problème de management». Selon une consultation menée par les syndicats, 82% du personnel estime en effet que la fin du prêt direct est une mauvaise décision, et 64% que la direction n’est pas à même de gérer la restructuration ni de négocier la prochaine convention. Des travailleurs évoquent pêle-mêle «un management brutal et amateur, sans bienveillance, sans culture du rapport au public, qui produit un gâchis de compétences… En public, on invite des experts pour parler de la démocratie dans les entreprises, mais en interne la direction n’est pas capable d’entendre parler d’intelligence collective».

Un plan stratégique, adopté en septembre dernier par le CA, précise les nouvelles missions de l’ASBL, qui impliquent la réorientation professionnelle de nombreux employés : l’organisation d’une multitude d’activités menées selon des thématiques saisonnières et en lien avec des partenaires culturels, la publication d’un webzine et d’un magazine papier semestriel composé de portraits d’acteurs culturels et d’artistes de la FWB (intitulé « Le Magazine », son premier numéro est paru en octobre dernier) — que les directeurs Tony de Vuyst et Pierre Hemptinne en ces termes dans Le Soir : «Nos artistes ont le ‘savoir faire’, l’ex-Mediathèque s’occupera désormais du ‘faire savoir’».

Cette nouvelle vision, qui consiste prioritairement à rendre visibles d’autres opérateurs, est «inacceptable » pour le Comité du personnel : «Le terme de ‘caisse de résonance’ est insultant. Nous avons jusqu’ici été accompagnateurs et producteurs de contenu. Nous avons appris à avoir un discours indépendant, et non à servir d’intermédiaires neutres entre des gens, ou entre des gens et des contenus. C’est justement le contraire de ce qu’on appelle la médiation».

J’ai l’impression que par manque de vision, ils se sont engouffrés dans la « médiation », mais vers quoi ?

«Plus de cent personnes travaillent dans l’ASBL : prendre une décision concernant son avenir n’est pas facile», résume une ancienne directrice des opérations de PointCulture. «Alors on cherche quelque chose. J’ai l’impression que par manque de vision, ils se sont engouffrés dans la « médiation », mais vers quoi ? Plus qu’un programme qui se décrète, la médiation c’est la construction d’un rapport à ce qu’on a et à ce qu’on est : dans un musée par exemple, on ne fait pas ‘de la médiation’ dans l’absolu, mais vers les collections. Je crois qu’il faut faire attention à l’emploi généralisé de ce concept comme réponse à tous les maux de la société (et à tous les métiers et institutions de la culture en crise d’identité). Car tout n’est pas médiation : si on informe (sur l’offre culturelle ou sur l’actualité, par exemple), on fait… de l’information, pas de la médiation.»

«On sent mal ce qui se passe», s’inquiète une médiathécaire. «Les thématiques, c’est joli mais on est une goutte d’eau dans le monde culturel. La direction nous dit qu’on va devenir des méta-médiateurs, mais c’est du vide. Regardez le PointCulture de Namur : il ne reste qu’un petit présentoir de médias liés à la thématique du moment, une expo et ponctuellement des ateliers, showcases et after-work. Le public s’est réduit à quelques personnes par jour.»

Le sort de la collection au cœur du conflit

«Le divorce vient des décisions sur les collections», résume David Mennessier, délégué syndical. «On est en train de rater l’occasion de lier prêt et médiation. L’erreur principale de la direction, c’est d’absolument vouloir lier la médiation à des enjeux sociétaux, ça a pris trop de place par rapport à notre histoire et à nos savoirs». Mise en cause pour avoir «relégué la collection à l’arrière-plan» ces dernières années, la direction répond par la grande liberté dont jouit chacun de ses centres (à l’exemple de celui de Bruxelles, où les médias sont absents des vitrines et du rez-de-chaussée depuis 2013). «La nouvelle vie de PointCulture maintient le sens de la collection. Elle devient un moyen de défendre des valeurs dans la société», dit Pierre Hemptinne.

«On est en train de rater l’occasion de lier prêt et médiation. L’erreur principale de la direction, c’est d’absolument vouloir lier la médiation à des enjeux sociétaux, ça a pris trop de place par rapport à notre histoire et à nos savoirs».

Pour ses nouvelles activités, la direction avance le chiffre de 16.243 participants en 2018. «Des statistiques invérifiables, calculées par un comptage à vue quelquefois partisan », doute le Comité du personnel, tandis que les responsables de plusieurs centres (à l’exception de certains, comme celui de Liège) affirment que la majorité du public qui les fréque vient toujours pour le service de prêt, «d’ailleurs, la plupart des gens n’ont pas intégré le nouveau nom et parlent encore de la Médiathèque». Ils disent aussi constater une «baisse radicale de la fréquentation» depuis l’annonce de l’arrêt des achats de nouveautés.

Mais quel est exactement le statut de cette collection, qui est au cœur de la discorde ? Bien qu’ayant été financée par les subsides publics et les emprunteurs, elle appartient à cette ASBL privée qui n’a pas de mission de conservation. «Ce n’est pas une collection patrimoniale, elle est faite pour un usage d’écoute», dit Jean-François Füeg. «Quand tout allait bien», poursuit l’ancienne directrice des opérations, «la Médiathèque achetait de tout, en vrac, y compris des purs produits de consommation périmés au bout de six mois. Dans les bibliothèques, on ‘désherbe’ le fonds, on jette en permanence, on établit des critères et on garde les choses rares, pour avoir une collection vivante. Je n’ai pas l’impression qu’ils l’aient fait.»

«C’est une caverne d’Ali Baba, remplie de trucs jamais réédités, qu’on ne trouve pas sur Internet», plaide pour sa part un médiathécaire. «Mais si c’est enfermé dans une cave et pas alimenté par des nouveautés, ça va mourir d’ici un ou deux ans.» Le plan stratégique prévoit toutefois de maintenir un budget d’acquisitions, mais son modeste montant ne permettra pas d’acquérir plus de 500 médias par an, uniquement liés aux thématiques et aux artistes de la FWB. Ce qui désole les responsables d’un Master de spécialisation «Cultures et pensées cinématographiques», qui vient d’être créé à l’université de Namur avec pour objectif d’enseigner l’analyse de films dans le secondaire. Pour ces enseignants, aucune plateforme de téléchargement ne peut égaler l’offre de PointCulture en matière de documentaires ou de films d’auteurs. «Et, dans les rares cas où cela est possible, ces films ne sont pas téléchargeables. Or, nous avons besoin d’avoir les films sous forme de DVD ou de fichier pour faire cours.»

Des médiathèques sans médias ?

Le plan stratégique prévoit de garder la collection accessible sur commande. Mais, selon Aristide Bianchi, d’une manière qui va restreindre la culture à ceux qui y ont déjà accès : «Seuls ceux qui ont déjà une idée de ce qui existe dans les réserves solliciteront la collection.» La FWB souhaite pourtant en diversifier et en multiplier les canaux d’accès : «Nous sommes actuellement en discussion pour que la collection puisse être ‘moissonnée’ par Samarcande, un outil de gestion de prêt inter-bibliothèques (506 points de lecture publique)», précise Jean-François Füeg. Une optique qui inquiète le Comité du personnel : «Tout miser sur le prêt indirect, en ajoutant de nouveaux accès et en supprimant le premier d’entre eux (le prêt direct en nos centres), c’est envoyer le signal à nos emprunteurs que notre activité historique s’arrête là. C’est soit une maladresse, soit le premier pas de la volonté d’en finir avec PointCulture.» Mais l’ouverture vers les bibliothèques bute sur un obstacle pratique : la direction ayant décidé de ne conserver qu’un exemplaire de chaque média (340.000 à terme, contre 674.000 aujourd’hui), élargir le prêt à 506 points de lecture publique risque de rendre très longs et dissuasifs les temps d’attente pour obtenir une commande… «Personne n’y croit, tout le monde sait que dans deux ans c’est fini», craint un responsable de centre, conscient que la subvention de PointCulture attire les convoitises.

«C’était une boîte merveilleuse, je serais incapable de la quitter, mais ça me soulagerait que ça se termine», ajoute une de ses collègues, résumant l’ambivalence des sentiments qui se joue au sein du personnel. «Ce qui se passe doit être terrible pour les employés, car c’est autour des médias que se fondent leurs compétences», dit Emilie Garcia Guillen, chercheuse à l’ULB. Travaillant à une thèse sur le monde des bibliothèques, elle alimente la réflexion à partir d’exemples observés à l’étranger : «Dans la plupart des établissements multi-supports, on ne passe que rarement à l’arrêt des acquisitions de supports physiques. La plupart du temps, les médiathèques évoluent vers une offre hybride et complémentaire, qui mêle supports physiques et ressources numériques (accès à des plateformes, bornes d’écoute, numérisation du fonds de la médiathèque…).» Et de citer la médiathèque d’Oullins (près de Lyon, en France), qui a ouvert en 2010 sans CD ni DVD et où les usagers ont demandé le retour des supports physiques. «Les professionnels des médiathèques insistent souvent sur le fait qu’ils ne passent pas encore au tout numérique car le support physique permet une incarnation de l’identité de la médiathèque comme lieu tangible dédié au cinéma et à la musique : on peut prendre en mains, tenir, échanger des disques ou des DVD, alors que la médiation vers les ressources numériques est bien plus difficile.»

Un revirement « inespéré »

Mieux lier prêt et médiation : c’est dans cette optique qu’une partie du personnel planche sur un projet alternatif, dont une première ébauche a été remise à la Ministre de la Culture, Bénédicte Linard. Dès son entrée en fonction, celle-ci s’est déclarée « sceptique» par rapport à la stratégie actuelle de la direction, «plutôt confuse». «Mais le paradoxe est que PointCulture est une ASBL autonome, même si elle est financée à plus de 85% par les pouvoirs publics. La question est de savoir quelle est ma marge de manœuvre», disait-elle, le 15 octobre en annonçant avoir engagé un expert pour lui faire des propositions.

Le prêt direct doit continuer, l’achat de médias reprendre, et « la vente massive de médias cesser immédiatement ».

Un mois plus tard, elle fait connaître ses décisions aux différents protagonistes… Si l’arrêt des deux Discobus est confirmé, pour le reste, le plan stratégique de la direction est désavoué dans les grandes largeurs. La convention de PointCulture se voit prolongée d’un an, afin de préparer plus sereinement l’avenir de l’ASBL, en «co-construction avec l’ensemble du personnel, des usagers et des partenaires associatifs et institutionnels». Pendant cette période, le prêt direct doit continuer, l’achat de médias reprendre, et « la vente massive de médias cesser immédiatement ». Quant aux espaces de co-working, ils ne sont «pas une priorité». Le courrier ministériel, qui a immédiatement circulé parmi le personnel, ajoute le souhait d’éviter tout nouveau licenciement. «Face à l’omniprésence du numérique, nous avons besoin de renforcer les relations humaines directes, et d’affuter un esprit plus critique», conclut la missive en indiquant que «la colonne vertébrale» de PointCulture doit rester liée à ses «domaines d’excellence».

«Certains collègues avaient les larmes aux yeux en lisant cette lettre», confie un médiathécaire, pour qui un tel revirement de situation était devenu inespéré. «Mais le plus dur reste à venir.» En effet, le conflit a laissé des traces et il ne sera pas forcément aisé de réunir direction, personnel et usagers autour d’un projet commun. Surtout s’il implique une remise en question du «management» interne. La délicate tâche de «ramener tout le monde autour de la table» va incomber en partie à l’expert nommé par la Ministre, qui va devoir mener, en quelque sorte… un travail de médiation.

 

Gwenael Brees

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