À Péruwelz, cela fait dix ans que l’on tente de réduire l’écart d’apprentissage du langage entre les enfants issus de milieux défavorisés et les autres. Cette «bonne pratique» mise en place par le CPAS et l’Université de Mons a montré des résultats intéressants mais n’a jamais vraiment essaimé, sauf en France où 100 millions d’euros ont été débloqués pour des cités éducatives qui s’inspirent de l’expérience belge.
Polo est un lapin plutôt cool. D’abord, il se démarque de ses congénères car il marche sur deux pattes, tel un humain. Ensuite, il arbore la lettre «P» sur son tee-shirt. Mais malgré son air désinvolte, Polo remplit depuis plus de 10 ans une mission de la plus haute importance: réduire les écarts de langage entre des enfants nés dans des familles pauvres et d’autres enfants plus chanceux.
«Polo le lapin, c’est un programme de stimulation du langage, explique son concepteur, Bruno Humbeeck, chercheur en pédagogie familiale et scolaire à l’Université de Mons. Le postulat de départ, c’est qu’en fin de maternelle, les enfants issus d’un milieu social défavorisé connaissent beaucoup moins de mots – environ 800 – que ceux issus d’un milieu socialement plus intégré – 1.600 mots, voire plus.» Un écart langagier qui se répercutera sur les apprentissages en école primaire puis secondaire. Les déterminants sociaux sont précoces et l’idée de Bruno Humbeeck était claire: «Il s’agissait de réduire l’écart.»
«Le postulat de départ, c’est qu’en fin de maternelle, les enfants issus d’un milieu social défavorisé connaissent beaucoup moins de mots – environ 800 – que ceux issus d’un milieu socialement plus intégré – 1.600 mots, voire plus», Bruno Humbeeck, chercheur en pédagogie familiale et scolaire à l’Université de Mons.
Pour ce faire, Bruno Humbeeck et l’équipe de l’Université de Mons se sont associés avec l’illustrateur Maxime Berger pour imaginer un petit personnage sympa et facilement reconnaissable à mettre au cœur du dispositif. Polo, on le retrouve à l’origine sur une douzaine de fascicules qui racontent des histoires simples et permettent aux enfants de nommer les objets, de décrire, de montrer. Plus que le support, c’est la démarche qui est originale. Bruno Humbeeck la résume: «Le programme de stimulation du langage, est avant tout un programme de coéducation. Il permet de travailler la relation école-famille et d’articuler les interventions de l’école, du service social et des parents autour du développement de l’enfant.»
Quand Polo s’installe à Péruwelz
En 2010, la recherche-action de l’Université de Mons prend pied au sein de la cellule d’éducation familiale – Le Galion – du CPAS de Péruwelz. À l’époque, le cahier Labiso, ancêtre de votre supplément préféré Focales, avait suivi les premiers pas de ce projet «innovant» et volontariste.
Depuis lors, chaque année, du mois de janvier au mois de mai, une dizaine d’enfants, accompagnés de leurs parents viennent toutes les deux semaines participer au projet. Aujourd’hui, des tablettes ont remplacé les fascicules; mais c’est toujours Polo qui fait le boulot… ainsi que plusieurs encadrants du Galion. «Nous visons les familles défavorisées pour que les enfants aient un meilleur bagage en primaire, détaille Marie-Anne Jottard, qui dirige le service. C’est un processus de coéducation, nous stimulons les parents pour qu’ils s’intéressent à ce que font leurs enfants à l’école et pour améliorer la relation avec l’institution scolaire.» Une relation parfois écornée. «Les relations parents-professeurs sont souvent vues comme un lieu de souffrance, les parents ont peur d’être jugés, qu’on leur fasse comprendre qu’ils ne stimulent pas assez leur enfant.»
Alors le Galion travaille cette dimension avec les familles, accompagne parfois les parents dans ces réunions scolaires. Mais le moment clé du programme, c’est cette session autour de Polo, avec l’idée d’insuffler une dynamique positive dans l’éducation, de valoriser les enfants, les parents et de leur donner confiance.
L’atelier «Polo» se décompose en trois temps. D’abord les familles arrivent dans les locaux du CPAS et peuvent évoquer leurs difficultés, en lien avec l’école, entre eux ou avec des travailleurs sociaux. Ensuite, le travail de fond, autour du langage, commence sur les tablettes. Cette année, c’est le vocabulaire des mathématiques qui est abordé. «Les enfants apprennent le français à travers les maths, explique Marie-Anne Jottard. Les exercices pour enfants stimulent parfois l’envie d’apprendre le français par les parents.» Certains s’étant même inscrits en cours de français langue étrangère à l’issue du programme.
«Les relations parents-professeurs sont souvent vues comme un lieu de souffrance, les parents ont peur d’être jugés, qu’on leur fasse comprendre qu’ils ne stimulent pas assez leur enfant.» Bruno Humbeeck, chercheur en pédagogie familiale et scolaire à l’Université de Mons.
Enfin, l’atelier se conclut autour de ces bons vieux livres en papier, indémodables, où l’on travaille le récit, l’imaginaire, le moment partagé autour d’une histoire. «C’est vrai que le travail autour des images était très utile pour ma petite dernière, reconnaît Laurie Dannel, une participante. C’était intéressant de rencontrer d’autres parents, mais surtout c’était mon petit moment avec ma fille, notre moment à toutes les deux, car ce n’est pas facile de se retrouver juste à deux.» Dans les évaluations qualitatives que mène le Galion, «c’est bien ce moment privilégié avec leur enfant qui est valorisé par les parents ainsi que le fait de rencontrer d’autres parents et de rompre l’isolement». Car l’idée même du projet, outre l’acquisition du langage, c’est de favoriser le lien entre les parents et leurs enfants, ainsi qu’avec d’autres parents.
La coéducation devient française
Cela fait 10 ans que le projet autour de «Polo le lapin» est catalogué dans les «bonnes pratiques» qui devraient «essaimer». En 2010, outre Péruwelz, Polo s’installait à Etterbeek et Charleroi. «Puis il s’est diffusé et… dilué», regrette Humbeeck. «Le problème, c’est que la réponse politique manque de constance, d’autres projets sont financés, on passe à autre chose, c’est assez frustrant», ajoute-t-il. En octobre 2019, la Fondation Roi Baudouin le listait encore et toujours parmi ces fameuses «bonnes pratiques», ces projets communaux de lutte contre la pauvreté infantile qu’il s’agirait de mettre en valeur.
Selon Bruno Humbeeck, les résultats de son projet sont spectaculaires: «Ce programme donne du plaisir d’apprendre et comble le retard des enfants issus de milieux défavorisés.» Dans une évaluation de la recherche-action, en date d’août 2013, il est écrit que «le programme Polo le lapin a permis a tous les élèves d’améliorer leur niveau de langage». Par contre, «l’application du programme réduit légèrement l’écart des performances langagières entre les deux milieux et cela en faveur du milieu défavorisé». Bref, des résultats en demi-teinte, mais encourageants. «Il est important qu’un tel programme de langage début très précocement», concluaient les auteurs de l’évaluation.
Des leçons qui semblent avoir été entendues outre-Quiévrain où les préceptes de Polo le lapin semblent connaître une deuxième jeunesse. En France, 80 territoires labellisés «cités éducatives» vont recevoir 100 millions d’euros et s’inspirer, en partie, de concepts de «coéducation» développés à l’Université de Mons.