Toutes les feuilles sont vertes
Et le ciel est bleu
Je suis allée me promener
Une soirée d’été (2)
Et j’ai glané des mots prononcés par des lèvres, au micro, dans la rue, pour étoffer les pensées que l’on m’a transmises par écrit. Car, après les rêves sous coronavirus, filer l’exercice de l’appel à songes éveillés pour l’après était un objectif sans doute plus complexe à rencontrer. Comment (se) rêver, se projeter dans un futur aux contours incertains, voire inquiétants? Comment réfléchir à des images-fantasmes qui habiteraient nos réalités sans tomber dans les clichés? Oscillation entre désenchantement et espoir effréné, la vie d’avant et la vie d’après seront-elles finalement si différentes? Tentatives de réponses teintées de grande prudence.
L’espoir fait vivre…
La tête toujours dans le confinement, même si un petit «dé» s’est glissé devant ce terme revenu sur le devant de la scène après une longue échappée du langage courant, il y a l’envie de croire à une résilience collective, mais avec des pincettes, à plus forte raison lorsque l’on reste sur le pont.
«Je rêve d’un monde où la solidarité reprendrait le dessus sur les acheteurs compulsifs de PQ. Du moins, j’essaie.
Je rêve d’un ‘après catastrophe’ qui ne nous apprendrait pas que les enfants et les adultes confinés doivent se reconstruire de violences autres que celle d’avoir été confinés. Du moins, je me force à espérer.
Je rêve d’un monde meilleur. Du moins, je tente de me construire un rêve sans tenir compte de la réalité des jours passés, des jours présents et de ceux qui devraient arriver.
Je rêve d’un ‘après catastrophe’, quel qu’il soit, pourvu qu’il soit là.
Je rêve d’un monde où ‘le personnel nécessaire’ que je suis aujourd’hui pourrait ouvertement parler de ce qu’il voit, de ce qu’il vit, sans craindre que cela n’engendre pour conséquence un relâchement sur des mesures imposées.
Je rêve d’un ‘après-catastrophe’ où l’on ne pourra pas déplorer que le ‘personnel nécessaire’ s’est ou n’a pas été sacrifié… en vain.»
L’espoir, c’est aussi de croire à la justice fiscale, quelque part, comme moyen de rééquilibrer les forces en présence.
«Après, je rêve d’une chasse planétaire à la fraude fiscale. Je rêve du renflouement des finances publiques, de partage, de solidarité, sans broncher, sans compter… du réinvestissement de la collectivité. Qu’on ait retenu de cette expérience que, sans les autres, sans faire société, on est moins, on est sans,… Après, je rêve de croiser l’humanité.»
Pour que la parenthèse dure
Moins qu’un rêve d’autre chose, ces récits invitent à profiter de ce que l’expérience du confinement a impliqué comme retour à soi. Le rêve éveillé post-confinement prolongerait ainsi ce tête-à-tête avec soi-même. Tout simplement parce que cela permet de prendre de la hauteur face au monde.
«Le confinement, cette crise, nous a donné en quelque sorte une minute pour réfléchir… Je rêve à présent de pouvoir améliorer ma vie, et aussi celle des autres. C’est-à-dire de partir de cette réflexion pour mettre en place tout ce qu’il nous faut dans notre vie: plus de place pour nous, plus de place pour les autres. Au début, il s’agissait d’abord de trouver des choses à faire quand tout tournait au ralenti. C’est bien de s’ennuyer parfois. Car c’est dans ces moments-là qu’on réfléchit à ce que l’on veut dans la vie. Les gens font partie de notre vie. Il faut revenir à l’humain.»
«C’est bien de sortir, de voir des gens, de manger, de communiquer. Mais c’est plus précieux encore ce temps que j’ai eu pour moi: le temps de lire, d’écrire, de regarder des choses tout en silence et de réfléchir. J’ai réalisé que tout autour de nous est construit d’une manière qui empêche ça. Pour la suite, j’aimerais bien garder cette portion privée pour moi-même.»
Introspection et tabula rasa
Au-dehors, deux jeunes femmes emboîtent une réflexion complice au micro sur les côtés bénéfiques de la retraite dans laquelle le confinement les a plongées. Et les possibles qu’ouvre le post-confinement, comme un nouveau départ après cogitation.
«J’ai vécu ça comme une période d’introspection. La situation m’a permis d’aller au tréfonds de moi-même pour me rendre compte de mes envies, de mes névroses. Là, j’ai envie de vivre ma vie sans culpabilité et faire ce que j’aime. Me libérer de tout ce qui est lourd. Le fait qu’on vive les uns sur les autres, ça m’a fait un énorme déclic. Je vais arrêter de me culpabiliser pour des broutilles. La vie est tellement pénible. Si on ne peut même pas, dans le spectre si minime du ‘pouvoir agir’, faire les choses dans lesquelles on se sent bien, ça n’a aucun intérêt.»
«Avant le confinement, j’étais une grande sorteuse, je vivais vraiment l’instant présent. Ce confinement m’a permis de réaliser de ce qui compte dans ma vie. Ce qui m’apporte du bonheur. J’ai réalisé que j’ai envie dans ma vie de relations plus ‘solides’. Par exemple, par rapport aux garçons, je n’ai plus envie de relations furtives. Dans la vie, il n’y a jamais vraiment des moments où l’on prend le temps de se poser et de se demander ce qu’on va faire. Ce confinement m’a permis ça. […] Dans ma tête, c’est un peu comme une nouvelle année. On va reprendre la vie à zéro. On va prendre de nouvelles résolutions. Pas mal de gens ont changé leur manière de voir les choses. Ça peut être très positif.»
Le meilleur des mondes ou un monde meilleur?
Entre les deux, le cœur balance. Entre crainte du pire et désir d’un mieux pour le collectif, le suspense reste total et les signaux envoyés par les médias et le monde politique ne rassurent pas vraiment. Or, la crise a accentué des comportements citoyens généreux, une attention à l’essentiel, aux plus faibles. Et on aimerait que ça dure…
«On est beaucoup à fantasmer sur un basculement sociétal. Cette crise est une exacerbation des problèmes qu’il y avait avant, ils sont maintenant encore plus visibles. C’est un modèle qui ne tient pas debout et cette crise est une énième preuve de ça. Mais je suis pessimiste aussi. Cette crise est l’occasion de prendre un choix radical. Mais j’ai peur que ce choix ne se radicalise par rapport à la ligne déjà tracée: encore plus de libéralisme, plus de privatisation, plus de chômage, plus de pauvreté. On va faire une accélération des mauvais choix selon moi. Ça ne m’empêche pas de rêver que l’inverse se produise. Et j’en rêve très fort.»
«Je ne pense pas avoir de fantasme éveillé. Je n’attends rien de la politique. Ils ont prouvé plusieurs fois qu’ils ne tiennent pas leur parole. Je suis pessimiste dans ce sens-là. ’Y aura peu de changements. S’il y en a, tant mieux, mais je n’y crois pas. Alors oui, ce qui m’a plu, c’est que cette crise a eu un impact positif sur l’environnement. Plus de voitures en ville, le chant des oiseaux qui résonne à nouveau. C’était bien. C’était un court rêve éveillé. J’ai vécu un rêve. Mais ça ne va pas durer…»
«Pour l’après-confinement, je rêve d’une meilleure situation, de retrouver un appartement, d’être bien au jour le jour. La vie n’est pas facile. Je vis en rue. Je dors à droite à gauche au bois de la Cambre ou dans des maisons vides. […] Avec le confinement, on dirait que les gens sont plus là à donner, à aider les gens qui sont sans ressources. Je remarque cette évolution. Des citoyens qui viennent à vélo prendre des nouvelles, qui apportent un petit plat, ça fait chaud au cœur. Même si les gens ont quand même peur de nous avec ce coronavirus. Il y a plus de solidarité, plus de présence pour ceux qui en ont le plus besoin. Après le confinement, je rêve que les gens continuent à être là pour les gens qui en ont le plus besoin. Que la vie aille un peu mieux pour nous tous.»
«Durant le confinement, mon rapport aux choses matérielles a changé. Je me suis rendu compte que j’entasse des objets qui ne me servent à rien. J’ai visé l’épure et j’ai décidé de me contenter d’un vrai minimum. Faire de petites actions. Aller chez un maraîcher, distribuer des repas. Moi, je crois à des évolutions à petite échelle. Mon rêve, c’est qu’on ne paie plus les choses, qu’on fasse des échanges. J’aimerais qu’il n’y ait plus de fric qui circule. C’est mon côté utopique.»
Du micro au macro, le songe comme poésie du vivant
«Je songe à de multiples points d’acupuncture harmonieusement connectés à la surface de mon (notre) anatomie. Je songe à la Bicyclette. Je songe éveillé à une ‘vie solide’ débarrassée du ‘bug humain’. Je songe à une ‘histoire de la mer’ affranchie de la ‘grande histoire du monde’, à des cartes et des territoires d’un ‘monde à part’ emboîtant le pas de la ‘fabuleuse histoire de l’univers’. Je songe au Terrain. Je songe au ‘Made in China’ dans une caisse de 45 x 35 x 25 centimètres délivrée d’un étrange et écœurant ‘extractivisme’. Je songe au Voyage. Je songe à notre (mon) homo, entre Afrique et Australie, entre Asie et Amérique, entre Amour et Abstinence. À des boucles sonores microscopiques et télescopiques amplifiées par mon (notre) âme sœur. Je songe au Passé Maintenant. Je songe éveillé, et ce qui est bien, c’est qu’au moins un de ces songes va se réaliser.»
A Dream Come True (avec une surprise à la clé)
Relâchement des corps, suite et chute du rêve éveillé évoqué par l’une des contributrices de notre précédent épisode des Corona Dreams(3):
«Après des semaines interminables à rêver que la vie redevienne comme avant et que je puisse toucher des gens, soudainement me voilà prise et éprise. D’abord une main sur la mienne puis une autre main s’est approchée et d’un coup un corps m’a enlacée et je me suis sentie apaisée comme si le poids du monde qui pesait sur mes épaules était tombé. D’un coup, le monde n’était plus pareil, ce virus qui avait hanté mes nuits durant des mois n’existait plus. Un nouveau venu dans ma vie, prenant une place inattendue, un nouveau souffle sur mes songes… Et paf, tel un oiseau qui vient s’écraser sur les carreaux de ma fenêtre, alors que j’étais à l’apothéose de cette quarantaine, un autre méchant me prend au plus profond de mon être: Chlamydia, mon amour, il aurait fallu faire plus attention, car te voilà à squatter mon être sans me le demander…»
(1) Titre emprunté au groupe The Mamas and the Papas, «California Dreamin».
(2) Adaptation libre d’un couplet de la chanson précitée.
(3) Dans cet article, cette même contributrice évoquait son manque de contact physique avec les autres et terminait son témoignage sur la résolution suivante: «Il fera beau demain, demain, j’enlacerai les gens, demain, je franchirai la distance qui nous sépare, tactile sera mon maître mot! L’affection que je porte aux gens, je veux la transmettre.»