Concurrence accrue, chômage économique, diversification des activités, les entreprises de travail adapté (ETA) sont aujourd’hui confrontées à de nombreux défis qui se transforment en réelles difficultés.
Article publié dans Alter Echos n°433, 10 novembre 2016.
Au cours des dernières années, plusieurs ETA ont fait faillite, ont dû fusionner ou licencier du personnel. En tant que sous-traitantes d’entreprises classiques, elles sont directement affectées par la crise économique. Des représentants syndicaux reprochent aux ateliers protégés d’être devenus des entreprises compétitives, axées sur la rentabilité économique autant que sociale. Si elles ont été poussées à le faire par les pouvoirs publics, en interne, elles se sont aussi professionnalisées, en développant de nouvelles techniques de management, incitées à se spécialiser dans des domaines très techniques et à automatiser une partie de la production. À tel point que, dans cette course à la reconversion, elles risquent de se voir obligées d’exclure les travailleurs les plus faibles.
En Wallonie, la situation semble particulièrement problématique pour les 55 ETA et leurs 8.000 travailleurs porteurs d’un handicap. Les tensions entre syndicats et fédération patronale, EWETA (Entente wallonne des entreprises de travail adapté), sont nombreuses depuis ces derniers mois, bloquant toute possibilité d’accord sectoriel. Une première! En juin, FGTB et CSC dénonçaient la perte de dimension sociale de ces entreprises. En cause: la demande accrue de flexibilité dans le secteur, le contrôle élevé des travailleurs malades ou l’instauration d’un service minimum en cas de grève. Quelques mois plus tard, la situation reste toujours dans l’impasse, comme l’explique Andrea Della Vecchia, de la FGTB: «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère de concertation sociale dans ce secteur. Ce que mettent en avant les employeurs, ce sont des revendications non liées à un secteur social ni à un secteur subsidié par les pouvoirs publics. Ce sont des réponses liées à un souci de rentabilité. Nous ne souhaitons pas que les travailleurs porteurs d’un handicap soient les cobayes des mesures de flexibilité. Il s’agit d’un public cible. Pour cette mission, les employeurs bénéficient de subsides importants, pouvant aller jusqu’à 80% du salaire en fonction du handicap du travailleur.» Même s’il se refuse à faire des généralisations, le délégué syndical socialiste reconnaît que l’enjeu économique, la recherche de nouveaux marchés prennent de plus en plus le dessus sur la dimension sociale. «Heureusement, on est encore loin du secteur privé. Certaines directions locales souhaitent trouver une issue favorable dans l’intérêt des travailleurs. Au quotidien, ces entreprises œuvrent socialement pour que des travailleurs porteurs d’un handicap aient un emploi et puissent l’exercer dans de bonnes conditions.»
Risques pour l’avenir
Du côté des employeurs, Dominique Nothomb, directrice de l’EWETA, admet que la situation n’est pas simple. «Le contexte budgétaire actuel nous a contraints à respecter une ligne de conduite quelque peu différente des négociations précédentes.» Quant à l’avenir des entreprises et des travailleurs, Dominique Nothomb est sereine: «Les ETA sont depuis toujours et restent la réponse à l’emploi pour bon nombre de personnes handicapées qui n’ont pas de perspective ailleurs. 90% de nos travailleurs et travailleuses sont en contrat à durée indéterminée. Certes, il y a des ETA qui négocient plus lentement leur transformation, mais nous nous battons pour préserver un secteur social fort.» Reste que la situation est particulièrement difficile à cause de la délocalisation d’activités vers l’étranger, la politique «agressive» des prisons ou la diminution du budget ETA alloué par la Région wallonne. «Ce sont autant d’éléments à risque pour l’avenir. Mais avons des véritables atouts parmi lesquels la qualité du service à nos clients ainsi que le respect des normes salariales», conclut Dominique Nothomb.
À Bruxelles, la tension reste moins forte qu’en Wallonie. Toute l’année, une vaste réflexion a eu lieu sur l’avenir des travailleurs «faibles» entre employeurs, représentants syndicaux et des membres du service PHARE. Partant du constat que l’organisation du travail jouait un rôle crucial dans la manière dont le travailleur était perçu comme faible ou pas dans une ETA, une série de recommandations ont pu être dégagées pour accompagner les travailleurs handicapés les plus fragiles. À travers, par exemple, un accompagnateur «tandem» qui pourrait objectiver le «côté» faible du travailleur et proposer des solutions en termes de formation ou de mobilité. Par ailleurs, des cellules de maintien pourraient aussi voir le jour. Elles s’adresseraient aux travailleurs en fin de carrière pour leur permettre de rester en entreprise en dehors des contraintes de production. Elles prépareraient aussi les travailleurs à leur sortie. Un budget de 50.000 euros est d’ailleurs déjà prévu pour 2017 pour instaurer leur mise en place. Si employeurs et partenaires sociaux insistent sur l’obligation de maintenir au moins 20% des travailleurs de catégorie E et F, les plus faibles, il s’agit aussi d’inclure la mission socioéconomique de l’entreprise. «Cela signifie que leur travail doit avoir une part de rendement pour l’ETA. Or, cet objectif est difficile à atteindre étant donné le très faible niveau de productivité de certains travailleurs», précise le rapport final dans ses recommandations.
Des clients volatils
Une situation d’autant plus difficile, reconnaît Benoît Ceysens, président de la Febrap (Fédération bruxelloise des entreprises de travail adapté), que ces travailleurs faibles accomplissent avec efficience les tâches les plus simples, celles qui ont tendance à disparaître dans les entreprises bruxelloises. «Bruxelles s’est complètement désindustrialisée avec une perte de nos clients historiques pour lesquels on faisait de la sous-traitance de masse. Avec la crise, les clients sont devenus plus volatils.» Conscient que cette tension entre la dimension sociale et le rendement économique se vivra de plus en plus durement, Benoît Ceysens évoque une solution: l’imposition des quotas de personnes handicapées dans les entreprises, avec des pénalités en cas de non-respect et la possibilité de sous-traiter au secteur des ETA si le quota n’est pas atteint. «C’est une solution qui inverse la donne. Nous ne serions plus obligés de courir après les clients. En Belgique, il n’y a actuellement aucun incitant auprès du secteur privé pour avoir recours à nos services.»
Mais à Bruxelles, l’urgence est autre. Si un protocole d’accord a été signé il y a plus d’un an avec les partenaires sociaux, il n’est pas encore d’application, la Région n’ayant pas donné son feu vert sur une série de mesures comme les congés d’ancienneté, par exemple. «Les impacts budgétaires de cet accord doivent être évalués dans le cadre des budgets qui nous sont accordés», rappelle la ministre Céline Fremault, responsable des ETA. «Grâce aux efforts faits ces derniers temps, l’ensemble des 1.450 emplois prévus est réparti entre les ETA. Il existe même une demande de certaines ETA d’augmenter leur niveau d’emplois», ajoute-t-elle. Ces efforts ont permis d’ailleurs de faire baisser le chômage économique, moins élevé en 2016 qu’en 2015, et cela grâce à la solidarité entre les ETA qui collaborent pour trouver du travail à certains des travailleurs des autres ETA en cas de pic d’activité. «À Bruxelles, la dimension sociale des ETA reste bien présente, avec un accent mis sur les travailleurs les plus faibles», poursuit la ministre, qui en veut pour preuve le chiffre des travailleurs les plus faibles. Un chiffre de 36,86% qui reste stable en 2015 en regard des chiffres de 2002 (35,88%).
«Entreprises de travail adapté : des dispositifs… et des sous ?», Alter Échos n°381, 5 mai 2014, Julien Winkel.
«L’inclusion, un décret, des doutes», Alter Echos n°381, 14 mai 2014, Cédric Vallet