On peut être salarié, fonctionnaire, propriétaire d’une belle maison et se retrouver du jour au lendemain en médiation de dettes. Les difficultés financières touchent désormais aussi la classe moyenne. Mais cette dernière ne se retrouve pas forcément dans les circuits d’aide spécialisés comme les centres de médiation et les CPAS.
Le constat n’est pas nouveau: le profil des personnes surendettées a changé. Les causes du surendettement aussi. «Le travail n’est plus une protection», constate Caroline Jeanmart, sociologue à l’Observatoire du crédit et de l’endettement. Les médiateurs de dettes, observe-t-elle, sont de plus en plus confrontés à des ménages dont les revenus ne sont pas suffisants pour couvrir de manière structurelle leurs besoins vitaux et les dossiers sont devenus de plus en plus complexes. Les problèmes rencontrés débordent l’aspect purement financier pour toucher celui du logement, de la santé… On est loin du cliché du ménage qui a contracté trop de crédits à la consommation par incapacité à gérer son budget.
Les classes moyennes ne sont plus épargnées, mais leurs stratégies pour se faire aider diffèrent peut-être. Le conditionnel reste de mise. Les professionnels de la médiation de dette constatent que certaines personnes préfèrent ne pas faire appel aux centres spécialisés, encore moins aux CPAS et se tournent vers d’autres acteurs, les avocats principalement. Pourquoi? En raison de leur respectabilité sociale plus marquée? Parce que ces personnes veulent éviter des filières trop «connotées»? Caroline Jeanmart a examiné le profil socioéconomique des personnes qui font appel à un avocat plutôt qu’à un centre de médiations de dettes(1).
Un surendettement différent
Conclusions? Le profil est assez semblable dans les deux publics. Un peu plus de locataires et d’actifs chez les avocats. Deux fois plus de locataires de logements sociaux dans les centres de médiation. Est-ce ce réseau social qui les mettrait en contact avec les centres spécialisés? C’est l’hypothèse que fait la sociologue. Mais c’est surtout dans le type d’endettement et les facteurs déclencheurs que les différences apparaissent. Les personnes qui font appel à un avocat seraient deux fois plus nombreuses à avoir contracté une ouverture de crédit. Cela peut être révélateur «de situations antérieures plus favorables notamment en termes d’activité professionnelle ou de revenus ayant rendu possible l’accès au crédit. Dès lors, lorsque survient une perte d’emploi, les échéances liées à l’emprunt restent à payer et la situation plus difficile à gérer. On peut supposer que se retrouveraient alors davantage chez les avocats des personnes qui viennent de perdre leur emploi, notamment celles qui ont subi des licenciements collectifs ces dernières années».
De fait, lorsqu’on analyse la fréquence des éléments déclencheurs des difficultés financières, on constate que, dans les dossiers des avocats, c’est la maladie d’un proche, la perte d’emploi, la séparation, le divorce, bref les «accidents de la vie» qui arrivent en tête. Dans ceux des centres de médiation, ce sont les difficultés à gérer le budget, des revenus trop faibles pour couvrir les besoins du ménage, un mode de vie en décalage par rapport aux revenus qui figurent dans le top trois. L’histoire du surendettement semble donc différente.
Quid des personnes à hauts revenus et à hauts niveaux de diplômes, qui constitueraient 12% de ceux qui se retrouvent en forte difficulté financière? L’Observatoire du crédit fait l’hypothèse qu’elles tenteraient d’abord de trouver des solutions par elles-mêmes en mobilisant leur réseau interpersonnel. Ces personnes échappent davantage aux radars des organismes qui collectent des données sur le profil des surendettés.
«Les ménages pour lesquels interviennent les avocats dans le cadre de la médiation de dettes: quelles spécificités?», colloque de l’Observatoire du crédit, 5 décembre 2013.
Classes moyennes : attention la chute !
Avec leur nouveau webdocumentaire Les nouveaux pauvres, réalisé à la demande du Forum bruxellois de lutte contre les inégalités Patrick Séverin et Michael De Plaen s’attellent à décortiquer le phénomène « de la première génération qui vit moins bien que ses parents ». Des difficultés à se générer un revenu aux obstacles pour se dénicher un toit, de la jeunesse à l’âge mûr, le journaliste et le photographe épluchent les multifacettes de cette nouvelle précarité (lire «Le maçon, l’intello et la mère célibataire dans le même bateau»). Une exploration à laquelle Alter Échos s’est associé dans ce dossier spécial (lire «Le 123 : royale occupation» et «Le surendettement n’épargne plus personne»). Les classes moyennes seraient-elles donc menacées ? Si la situation est difficile à objectiver, elle trouve sa principale source dans un marché du travail en mutation (lire «Jean Faniel : ‘La classe moyenne ? Un concept fourre-tout’» et «Classes moyennes menacées ? La Sécu en guise de parachute»). Les acteurs de l’emploi sont-ils prêts à faire face à la métamorphose? Pas si sûr… (« Des syndicats pour tous ? » et «Smart : la cannibalisation du salariat ?»).