Pour faire société, on est capables de tout

 Une carte blanche signée Arnaud Bilande et Patrick Bodart, association Periferia, pour Capacitation Citoyenne

Où et quand avons-nous l’occasion de rencontrer des « étrangers », des « autres que nous » ? Non, pas ceux qui viennent d’autres pays, mais les « étrangers » à soi, à sa « tribu ». Toutes ces personnes que l’on voit, que l’on côtoie dans la rue, mais que l’on ne connaît pas, qui nous paraissent si étranges parce que différentes, alors que pourtant elles font société avec nous.

Sortons de l’entre-nous

Si on entend souvent crier haut et fort qu’il faut renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble, on ne peut que constater au jour le jour que nous vivons de manière toujours plus cloisonnée, enfermés dans nos vérités, rassurés de nous retrouver avec des personnes qui nous ressemblent. Si à certains moments, l’entre soi peut aider à trouver du sens à son existence et à se construire, il ne prend toute sa force qu’au travers de l’autre, de son regard et de sa reconnaissance. Comment dès lors faire société ensemble et non pas les uns contre les autres ? Peut-on imaginer une évolution de la démocratie qui s’appuie réellement sur l’altérité plutôt que sur la barbarie urbaine, qui inclut plutôt qu’elle n’exclut ?

C’est en tout cas l’intuition qui guide depuis douze ans le programme de Capacitation Citoyenne : ensemble on est capables de tout pour faire société et c’est en se reliant les uns aux autres qu’on peut arriver à faire changer les choses.

Rien ne prédisposait un syndicaliste à la retraite habitant dans le haut de Montreuil à côté de Paris à croiser la route des sans-abri de Charleroi, ni une citoyenne qui aidait les sans-papiers dans leur démarche à Valenciennes à aller à la rencontre des passants place Cathédrale à Liège pour se rendre compte ensemble qu’ils avaient un capital à déposer au guichet de la banque des richesses citoyennes. Et pourtant, ils ont compris qu’ils avaient des choses à se dire et qu’ensemble, ils étaient plus forts. Qu’ils se renforçaient l’un l’autre.

Relions nos coups de cœur et coups de gueule

« Si on est tout seul, on a l’impression qu’il n’y a rien à faire, que c’est comme ça. Quand on se réunit, on se fâche et on réagit ! »

Chaque jour, des femmes et des hommes se lèvent et résistent pour changer les conditions de vie inhumaines des sans toit, des sans-papiers, des malades du sida, des jeunes sans avenir ou tout simplement pour un meilleur avenir. Cependant, leurs actions restent souvent isolées, peu visibles et rarement reconnues. En tissant des liens insoupçonnés et improbables entre toutes ses forces, il devient possible de changer la société, de recréer des solidarités « chaudes ».

Depuis douze ans, une centaine de ces collectifs du Nord-Pas-de-Calais, de l’Île-de-France, de la Région Rhône-Alpes en France, de Wallonie ou de Bruxelles en Belgique, se rencontrent régulièrement pour échanger leurs expériences, mais aussi aller dans l’espace public pour se faire connaître et faire connaître leurs combats. En se renforçant mutuellement.

Si demain, on souhaite une ville durable, nous sommes convaincus qu’il faut se redonner accès à un espace public démocratique pour tous et se donner les moyens de se faire rencontrer les « tribus », sans quoi on court vers l’affrontement. Il nous faut (ré)inventer les moyens d’une appropriation par tous de la production urbaine comme de la délibération démocratique. En cela, Capacitation Citoyenne ouvre des pistes d’actions, à utiliser et à compléter par d’autres. Pour citer Edgar Morin : « Il ne suffit plus de dénoncer. Il nous faut désormais énoncer ».

Arnaud Bilande et Patrick Bodart, association Periferia, pour Capacitation Citoyenne