L’Union sociale pour l’habitat représente 755 organismes HLM en France. Cette confédération du logement social n’a cessé durant la campagne des élections européennes de mobiliser citoyens et politiques sur l’accès aux logements publics, avec la publication d’un manifeste «Quel logement social dans l’UE pour 2020?». Rencontre avec Laurent Ghekiere, son représentant à Bruxelles.
À Bruxelles, Laurent Ghekiere a défendu tout au long de la campagne électorale et continue de promouvoir auprès des eurodéputés la conception française du logement social face à une Europe qui adopte une politique «restrictive et libérale» en la matière. «Cela fait une dizaine d’années maintenant qu’on a ouvert un bureau à Bruxelles pour essayer que le droit européen soit favorable au logement public et social.»
Les enjeux sont énormes et le temps presse. Si l’Union européenne n’est pas compétente dans le domaine du logement public, le droit européen a un impact grandissant sur les politiques de logements sociaux des États membres, que ce soit à travers le régime de TVA applicable au logement social, à travers la question des marchés publics, la question des aides d’État, celle des agréments des organismes de logement…
«Nous devons en permanence justifier nos missions, nos financements, les aides que nous recevons. Il nous faut demander sans cesse des dérogations auprès de l’Union européenne pour accomplir notre travail en faveur du logement social. Par exemple, en France, les organismes HLM sont agréés par l’État, ce qui permet de bénéficier de fonds publics pour organiser le logement social. Pourtant, pour l’Europe, cet agrément est considéré comme une entrave à la liberté du marché intérieur.»
Des réalités différentes
Au moment des débats sur la directive Services, tout a été fait pour exclure les logements publics du champ d’application. «Mais la Commission a trouvé utile de définir le logement public. Pour la Commission, on revient à des thèses plus libérales : un logement social est un logement pour les pauvres, et pas forcément pour d’autres catégories qui sont exclues du marché du logement comme les classes moyennes, les salariés…»
En se basant sur cette définition, la Commission a remis en cause la conception du logement social qui prédominait aux Pays-Bas depuis 1920, dans laquelle l’accès à un logement public n’a jamais fait l’objet de plafonds de revenu. «Désormais, la Commission a la capacité de définir le rôle du logement public, le rôle du marché de logement social. D’où la nécessité d’introduire des recours devant la Cour de justice contre la Commission avec nos collègues néerlandais, belges, luxembourgeois. Selon nous, la Commission n’avait pas à définir ni à imposer aux États membres sa propre conception du logement social, puisque les traités continuent de donner aux États la capacité de définir ce qu’est une politique de logement public. Chaque État doit pouvoir conserver la liberté de définir sa propre politique de logement social. Mais la Commission ne souhaite qu’imposer une vision unique du logement public, en la limitant à un groupe cible de ménages défavorisés.»
Laurent Ghekiere en veut pour preuve les réalités très différentes d’un pays à l’autre, et même d’une région à l’autre. «On constate de fortes concentrations dans les grandes villes, comme c’est le cas à Bruxelles, en Île-de-France ou à Londres, où l’on rencontre des pénuries de logements, où l’on ne sait pas satisfaire à la demande, tant les prix sont élevés et les délais d’attente importants, là où dans d’autres régions comme en Allemagne, aux Pays-Bas ou au Danemark, vous avez un phénomène de rétrécissement puisqu’il faut démolir des logements sociaux.»
Entre la France et la Belgique, le cousinage est très fort, tant sur la nature du logement social que sur celle des opérateurs, rappelle Laurent Ghekiere. «Sauf qu’en Belgique, le taux de propriétaires est plus important qu’en France, là où chez nous, le nombre de locataires de logement social est plus important : 17% contre 7%.»
Autre différence, en Belgique, les loyers sont fixés en fonction des revenus des personnes, «et donc, il n’y a pas forcément d’équilibre économique de l’exploitation du logement, ce qui n’est pas le cas en France, où les loyers sociaux sont fixes». La France utilise aussi l’épargne des ménages pour financer le logement social, «ce qui nous met à l’abri de toute levée de fonds sur les marchés financiers, alors qu’en Belgique, les sociétés de logement empruntent et dépendent des conditions du marché pour se financer. C’est une difficulté supplémentaire qui n’existe pas en France», poursuit encore Laurent Ghekiere.
- Les investissements en matière de logement social et la régulation des marchés du logement doivent faire l’objet d’un traitement adapté (création de valeur sur les territoires, rénovation thermique, précarité énergétique…).
- Un encadrement communautaire favorable au développement du logement social dans le marché intérieur.
- Une politique de cohésion à grande échelle pour relever les défis du climat, de l’inclusion sociale et du développement urbain durable.
- Une stratégie d’inclusion sociale plus ciblée et lisible : promotion du «logement des jeunes» afin de favoriser l’insertion professionnelle.
- Un débat permanent avec les élus locaux, la société civile et les parties prenantes.
Interrogée sur les positions de l’Union sociale pour l’habitat, la Société wallonne du logement partage en tout point les cinq propositions que formule la confédération française. «Depuis la crise, la Commission européenne émet des recommandations de réforme pour les pays où elle constate une forte augmentation des prix du logement et de la dette privée des ménages. Or, ces recommandations se traduisent trop souvent par un appel à la libéralisation des marchés, ignorant les causes profondes des déséquilibres constatés et négligeant le rôle stabilisateur et contracyclique du logement social. Tout comme l’Union sociale pour l’habitat, la Société wallonne du logement appelle à une approche plus équilibrée, qui intègre également d’autres indicateurs (les dépenses logement des citoyens européens par exemple) et prenne en compte d’autres enjeux (la rénovation thermique, la lutte contre la précarité énergétique…) ainsi que la valeur créée par le logement social sur les territoires. Il est crucial que le Parlement européen soit pleinement associé à cette gouvernance, dont il est de fait aujourd’hui exclu.»