«Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l’oubli. Évoquons une situation on ne peut plus banale: un homme marche dans la rue. Soudain, il veut se rappeler quelque chose, mais le souvenir lui échappe. À ce moment, machinalement, il ralentit son pas. Par contre, quelqu’un essaie d’oublier un incident pénible qu’il vient de vivre, accélère à son insu l’allure de sa marche comme s’il voulait vite s’éloigner de ce qui se trouve, dans le temps, encore trop proche de lui.» Dans «La lenteur», sorte d’essai «philoso-fictif», Milan Kundera dissèque notre société contemporaine, peuplée d’existences appauvries par une avidité de vitesse et d’efficacité. Une société où l’éphémère sans cesse renouvelé a écrasé la force d’empreinte du souvenir. Où les informations se chassent, passent et s’effacent.
Depuis 1993, année d’écriture du roman, le monde s’est indéniablement encore accéléré de quelques dizaines de nanosecondes. Les temps morts sont devenus un luxe. Opposer aux fils d’infos qui s’actualisent en continu la plongée suspendue dans l’écrit statique d’un magazine constitue presque un acte politique.
Car ce privilège de la lenteur est de plus en plus rare et difficile à s’octroyer. Dans notre enquête de lectorat réalisée à l’automne dernier, 48% des répondants reconnaissaient ne pas avoir le temps de lire Alter Échos dans son entièreté chaque mois. Pour 67%, un passage au bimestriel aurait davantage correspondu à leurs pratiques de lecture.
Alors nous-mêmes, nous avons décidé – essayé – de ralentir. Ralentir pour réfléchir. Ralentir pour nous souvenir de cet engagement pris il y a deux ans, à l’occasion de la parution de notre 500e numéro, de faire du «journalisme debout», de rester fidèle à ce journalisme social qu’Alter Échos défend depuis 28 ans – un journalisme qui questionne, qui enquête, qui écoute, qui transforme. Un journalisme qui ose se remettre en question aussi.
Alter Échos va faire peau neuve dès son prochain numéro, le 516.
La démarche était essentielle, presque de l’ordre de la survie. Or, si l’on en croit Darwin, cette dernière ne relèverait ni de la force, ni de l’intelligence, mais plutôt de la capacité à s’adapter aux changements. Des changements marqués par la dégradation constante du paysage dans lequel évolue la presse aujourd’hui, singulièrement celle que l’on qualifie d’indépendante: hausse des coûts (énergie, papier), concurrence des réseaux sociaux, décisions politiques au niveau fédéral parfois assassines, comme le dernier épisode sur la concession à la Poste l’illustre encore.
Alter Échos va donc faire peau neuve dès son prochain numéro, le 516. Changement de périodicité d’abord: le magazine paraîtra désormais tous les deux mois. Une formule ralentie, mais densifiée, ensuite, comme un café à infusion lente laissant pleinement le temps aux arômes de se dégager: de nouvelles rubriques feront la part belle aux enquêtes, aux reportages, aux illustrations et photographies. Le tout en veillant à une rémunération plus juste pour les journalistes indépendant(e)s qui nous aident à produire chaque numéro de votre magazine.
Longuement mûrie, cette nouvelle formule n’a plus besoin que d’une seule chose pour faire florès: des lecteurs et lectrices fidèles au rendez-vous. Alors, avec hâte cette fois, lisez-nous, abonnez-vous, parlez d’Alter Échos autour de vous, continuez à nous soutenir!